Ils croyaient leur cathédrale éternelle. En manquant de la perdre les Parisiens ont découvert qu’ils l’aimaient. Alors ils ont levé le nez vers les autres églises de la capitale. Ils ont vu les filets de protection autour des décors de pierre, les statues mutilées, les intérieurs sombres, les fresques lépreuses… et ils ont compris qu’elles étaient en mauvais état. Leur entretien est un gouffre financier, le budget de la Ville insuffisant.
Lorsque le taureau sculpté par Henri-Alfred Jacquemart, qui accompagne saint Luc sur la façade de l’église Saint-Augustin, s’était fracassé sur le parvis le 5 novembre 2013, la colère avait commencé à gronder. Les élections municipales approchant, plusieurs voix s’étaient fait entendre pour dénoncer l’état de délabrement d’un grand nombre d’églises parisiennes. Car Saint-Augustin n’était pas la seule à souffrir. La Madeleine, La Trinité, Notre-Dame-de-Lorette, Saint-Philippe-du-Roule et tant d’autres, avaient besoin de soins urgents.
Comment avait-on pu en arriver là ? Même si 30 millions d’euros avaient bien été dépensés pour restaurer la tour nord de l’église Saint-Sulpice en 2011, aucune équipe municipale, de droite comme de gauche, n’avait visiblement anticipé cette avalanche de travaux obligatoires. L’entretien des églises, surtout celles du XIXe siècle dont l’architecture n’intéressait personne, était négligé. Or, sur les 85 églises catholiques que possède la ville (dont 43 sont classées), beaucoup datent de cette époque.
« Elles ont toutes le même âge. Elles subissent donc toutes les contraintes du temps au même moment et elles ont beaucoup souffert de la pollution due à la révolution industrielle. »
Pierre-Henri Colombier, sous-directeur du patrimoine et de l’histoire à la direction des affaires culturelles de la ville
Qui finance ?
En avril 2015, Anne Hidalgo annonçait un « plan églises » de 80 millions d’euros sur six ans. Il était temps. Quelques semaines plus tôt, un morceau de la croix de Saint-Louis-en-l’Ile était tombé près du curé à la sortie de la messe. Ce budget est encore largement insuffisant pour financer les restaurations nécessaires. Didier Rykner, fondateur de La Tribune de l’Art et grand pourfendeur de la politique patrimoniale de la Mairie de Paris, le martèle depuis quatre ans : « Il est faux de dire que la mairie a récemment fait un effort en la matière. En effet, les 80 millions d’euros sur six ans, soit 13,3 millions d’euros par an, excèdent à peine les sommes allouées lors des mandats précédents ! Sur les sept ans du premier mandat Delanoë, il y avait eu 90 millions, soit 12,9 millions par an, puis sur les six ans de son second mandat, 67 millions avaient été débloqués, soit 11,2 millions par an. » L’Observatoire du patrimoine religieux, quant à lui, estime qu’un budget de 500 millions est nécessaire pour financer les restaurations.
Au « plan églises » de la municipalité, il faut ajouter 11 millions de financement de l’État sur la mandature pour les travaux concernant les églises protégées ainsi que l’aide du mécénat. Depuis 2014, la Fondation Avenir du patrimoine à Paris, créée à l’initiative du diocèse de la capitale, affectataire des bâtiments, sous l’égide de la Fondation Notre-Dame, cherche ainsi des mécènes et des donateurs.
« Juste avant l’incendie de Notre-Dame, nous avions récolté 11 millions, dont 3 millions pour Notre-Dame et 8 millions pour les autres églises. »
Robert Leblanc, président de la fondation Notre-Dame
D’autres initiatives sont lancées, comme celle du Fonds de dotation pour le rayonnement de l’église Saint-Germain-des-Prés. Grâce aux mécènes, les peintures du chœur des moines et de la nef sont à l’heure actuelle éblouissantes.
Chantiers compliqués
« Aujourd’hui, la Ville de Paris a engagé des travaux partout où il y avait de véritables urgences », reconnaît Robert Leblanc. Mais les professionnels ont parfois de mauvaises surprises en cours de chantier. La Madeleine souffre ainsi de désordres structurels générés par le creusement de la ligne 14 du métro, l’installation de parkings et de magasins sous ses fondations. Depuis des années, des filets de sécurité empêchent la chute de pierres et une longue fissure court sur la façade d’entrée qui donne sur la rue Royale. Un chantier de restauration du pronaos et de son haut-relief pourra démarrer l’année prochaine si des financements privés viennent compléter les subventions publiques. Des travaux ont déjà commencé sur une des colonnes.
« La durée du chantier initial a été allongée, explique Pierre-Henri Colombier, parce que nous avons découvert dans l’assise haute d’énormes armatures métalliques, dont aucune trace ne figurait dans les archives. Elles allaient jusqu’au chœur du chapiteau. Des pierres avaient été largement creusées pour installer ces armatures et comblées ensuite avec du ciment. Conformément à la demande de la Conservation régionale des monuments historiques, nous avons décidé de remplacer l’intégralité des blocs de pierre. Il a fallu partir à la recherche d’une carrière capable de sortir de grands blocs de bonne qualité et compatibles avec les caractéristiques attendues pour les chapiteaux. Notre maçon en a trouvé une, mais elle ne sort que des blocs bruts. Il va falloir les transporter chez le façonneur à Blois, pour les tailler avant de les sculpter, puis renforcer les échafaudages, et établir une méthodologie pour mettre en place ces blocs d’une tonne et demie… »
Après avoir étudié l’église de La Trinité sur laquelle un autre échafaudage a été installé il y a quelques mois, les équipes l’ont aussi trouvée plus malade que prévu. « Je suis persuadé qu’elle a beaucoup souffert à cause de la fumée des locomotives de la gare Saint-Lazare toute proche », reconnaît Pierre-Henri Colombier.
Bien que le massif d’entrée de l’église Saint-Augustin ait été récemment restauré, l’édifice conçu par Victor Baltard souffre de gros problèmes d’étanchéité, tandis que les façades intérieures et les vitraux nécessitent un nettoyage général.
© Chabe01La coupole de Saint-Augustin s’élève à 80 mètres de hauteur. Dû à Louis Bézard, Alexandre Denuelle et Charles Joseph Lemaire, son décor peint est actuellement occulté par un grand filet de protection.
© Guilhem Vellut
L’entretien des églises parisiennes est un véritable gouffre financier. Pour Saint-Sulpice, la municipalité s’est engagée à réparer le portail sud, le bas-relief et le vitrail endommagés après l’incendie causé par un sans-abri le 17 mars 2019. Cette plus vaste église de Paris après Notre-Dame fait fonction de cathédrale diocésaine depuis le drame du 15 avril. Mais il faudra aussi nettoyer la suie qui s’est répandue partout, restaurer les nombreuses chapelles, et refaire l’éclairage, ce qui permettrait aux visiteurs d’admirer enfin les voûtes dessinées par l’architecte du Régent, Gilles-Marie Oppenord, au début du XVIIIe siècle.
Si Saint-Augustin, le grand vaisseau de Victor Baltard, a retrouvé sa façade et, grâce au mécénat, la statue de saint Augustin le Vieux de Pierre-Jules Cavelier, son état intérieur nécessite également des soins. La coupole est dissimulée sous des filets de protection depuis des années, et l’étanchéité du bâtiment préoccupe les professionnels : alors que les chêneaux et la toiture ont été réparés à plusieurs reprises, chaque hiver apporte toujours son lot d’infiltrations.
Après la restauration extérieure du transept sud de Saint-Eustache par la Ville, la Fondation Avenir du patrimoine à Paris aimerait réunir les fonds pour que soit réalisé un sas en verre qui permette d’ouvrir l’église sur le jardin des Halles. Combien de Parisiens savent encore que Molière et Richelieu furent baptisés dans cette fille architecturale de Notre-Dame, et que s’y déroula la messe d’enterrement de La Fontaine ? Pour l’instant, le portail sud reste fermé car les variations de températures sont nocives pour son orgue de huit mille tuyaux.
Dirigée par Victor Baltard, la dernière restauration complète de l’église Saint-Eustache remonte au XIXe siècle. En très mauvais état, la façade ouest, qui date du XVIIIe siècle, est depuis des années en partie étayée et emmaillotée dans des filets pour éviter les chutes de pierre.
© Chabe01Détail du portail de l’église Saint-Merry en 2012, depuis restauré grâce au World Monument Fund. Toutefois, beaucoup reste encore à faire pour cette église.
© Didier Saulnier/Maxppp
Tandis que de l’autre côté des Halles, une autre des quatre filles de Notre-Dame, Saint-Merry, a été inscrite il y a quelques années sur la liste des édifices en péril du World Monument Fund. Sa façade a retrouvé une nouvelle jeunesse et l’une de ses verrières de la Renaissance – La Guérison du boiteux à la belle porte de Jérusalem, œuvre de Jean Chastellain – va être sauvée, mais l’arrière de l’église est très sale, sa balustrade fragile, son orgue historique en danger et ses peintures du XVIIe siècle abîmées.
Lambeaux de décor
Il faudrait encore ajouter que les vitraux baroques de Saint-Paul-Saint-Louis menacent de tomber, que les innombrables décors du XIXe siècle des églises parisiennes s’écaillent, même si la Ville s’en occupe progressivement… Alors quoi ? Faut-il augmenter le budget municipal consacré aux églises ? Oui, bien sûr. Pourtant, cela ne suffirait pas à résoudre le problème de leur entretien.
« Il n’y a pas assez de moyens humains, dénonce Robert Leblanc, et les procédures ne sont pas adaptées. La Mairie ne veut pas accepter de déléguer la maîtrise d’ouvrage, les délais sont trop longs. Quand j’avais parlé à l’ancienne adjointe au patrimoine de l’église d’Auteuil, par exemple, pour laquelle un million d’euros de dons ont été collectés, elle m’a répondu que rien ne pourrait être fait avant la fin de la mandature. En revanche, l’équipe paroissiale de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, particulièrement active, a obtenu la délégation de maîtrise d’ouvrage, et les travaux pour raccorder la chapelle des années 1960 avec le reste de l’église ont avancé très vite. » Travaux de raccordement nécessités, rappelons-le, par le fait que l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou a failli être intégralement rasée par la municipalité de l’époque, comme les Halles de Baltard, en 1971. Elle doit son salut à son classement l’année suivante…