Pendant que des femmes et des hommes s’affairent jour et nuit derrière les palissades à panser les plaies de Notre-Dame de Paris, quel bilan peut-on faire sur les causes et les conséquences de la tragédie ? Des réponses ou éléments de réponse aux dix questions que vous vous posez peut-être…
1. Notre-Dame peut-elle encore s’effondrer ?
En partie. Le chantier actuel de sécurisation, qui devrait durer au moins jusqu’au printemps 2020, n’est pas terminé. Les quelque 130 professionnels présents sur le site se battent encore pour limiter les risques d’effondrement et suivent anxieusement le bulletin de santé donné par les capteurs installés un peu partout dans l’édifice. La cathédrale est hors d’eau, mais deux problèmes importants demeurent. D’une part, il reste des morceaux de charbon et de poutres sur la voûte. Pour les retirer, il va falloir installer un plancher par-dessus et se suspendre au toit que formera ce plancher pour récupérer les gravats un par un. Les architectes en chef ignorent l’état des pierres et des joints des voûtains. Ils ne savent ni comment ils ont réagi au choc thermique provoqué par l’incendie puis par l’eau déversée, ni quelle quantité d’eau s’est évaporée lors de la canicule, ni comment les joints vont réagir au séchage progressif. Ceux-ci peuvent se rétracter ou entièrement se vider, provoquant un effondrement. Pour cette raison, des cintres de bois ont été posés sous les vingt-huit arcs-boutants de la cathédrale, annulant leur effet de poussée. Ainsi, une chute éventuelle d’un morceau de la voûte n’entraînera pas celle des murs. D’autre part, il faudra retirer l’échafaudage métallique installé pour la restauration de la flèche, opération très délicate. En effet, la structure, conçue pour ne toucher ni la flèche, ni la charpente, ni la couverture, s’est déformée sous le feu et les chocs. Fort heureusement, elle a tenu bon. Impossible néanmoins de la démonter. Un nouvel échafaudage doit être construit autour pour permettre de la découper et de l’ôter. Il tarde cependant à être construit dans l’attente de l’installation d’un ascenseur.
2. Quelles œuvres ont été sauvées des décombres ?
Grâce à une chaîne humaine exemplaire dans les heures qui ont suivi l’incendie, les trésors, dont la couronne d’épine, et tous les tableaux, sauf les trois plus grands formats (La Visitation de la Vierge de Jouvenet, entre autres), ont été mis à l’abri. Puis les serruriers et maîtres verriers se sont relayés pour déposer les panneaux de vitraux et les serrures métalliques afin de les mettre en lieu sûr dans leurs ateliers où ils seront nettoyés et éventuellement restaurés. Le 19 avril, le coq de la flèche abritant trois reliques est sorti des décombres. Deux jours après, c’était au tour de l’immense tapis de chœur, conservé dans des caisses de part et d’autre de l’autel, d’être rapatrié. Séché et restauré, il est conservé au Mobilier national en attendant de pouvoir retrouver sa place dans la nef. Un angelot de l’oculus signé Nicolas Glaise a également été retrouvé parmi les débris du transept. Enfin, une réplique de l’horloge détruite a été découverte en mai dans une petite salle de l’église parisienne de La Trinité.
De très grandes dimensions, La Visitation de la Vierge, peinte par Jean Jouvenet en 1716, est l’un des rares tableaux à n’avoir pas pu être déplacé.
© Pascal Lemaître/CMNRéalisé au xixe siècle par la manufacture de la Savonnerie, l’immense tapis du choeur (200 m2 environ) est désormais à l’abri au Mobilier national.
© Yves Baudouin
3. La restauration sera-t-elle terminée dans cinq ans ?
C’est le souhait du président de la République. L’objectif du ministère de la Culture est donc officiellement de tenir ce délai. Mais il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le temps nécessaire à la restauration puisqu’on ne connaît pas encore l’état de la voûte… On sait déjà que la toiture, la flèche, la charpente, les pignons et au moins 15 % de la voûte devront être reconstruits. Les sculptures de la tour sud ayant été léchées par les flammes, il faudra certainement restituer une partie des chimères. Frédéric Létoffé, vice-président du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), se dit sceptique sur l’échéance de 2024, compte tenu de l’état de délabrement avancé du chevet sud. Il pense possible de rouvrir la cathédrale pour le culte à cette date, mais, selon lui, les travaux devraient durer entre dix et quinze ans.
4. A-t-on les moyens de reconstruire Notre-Dame à l’identique ?
Oui. Le Sénat a voté, à deux reprises, que la mention d’une restitution du monument « dans le dernier état visuel connu avant le sinistre » figure dans la loi qui a été adoptée le 16 juillet 2019. Mais les députés n’ont pas retenu cette mention. De nombreux professionnels prônent pourtant une telle reconstruction qui respecterait la Charte de Venise, dont la France est signataire. Notre-Dame est l’un des édifices les plus documentés au monde, y compris avec les modélisations 3D réalisées ces dernières années. La France possède une très vaste forêt de chênes (quatre millions d’hectares). Elle produit chaque année deux millions de m3 de bois quand les besoins pour Notre-Dame sont estimés à 3 000 m3. La charpente pourrait donc être reconstruite en chêne. La structure de la cathédrale a été conçue pour recevoir une charge précise. Si un matériau plus léger est choisi, cela entraînera un déséquilibre. L’Ile-de-France possède également six carrières qui ont la capacité d’approvisionner le chantier en pierres. Enfin, les professionnels des Monuments historiques : architectes en chef, charpentiers, tailleurs de pierre, etc., possèdent encore les savoir-faire nécessaires. Chaque jour, des robots vont chercher les pierres une à une dans le tas de gravats – une intervention humaine serait trop dangereuse – afin que les scientifiques puissent les trier et les numéroter. Elles sont ensuite mises à l’abri en banlieue parisienne et décontaminées. Depuis le début du chantier de sécurisation, vingt des vingt-trois unités du Laboratoire de recherche des Monuments Historiques (LRMH) de Champs-sur-Marne travaillent sur le site pour étudier le bois, le verre, la pierre. Les géologues vont tester la porosité et la résistance mécanique des pierres pour savoir si les architectes pourront ensuite les réutiliser.
5. La contamination au plomb est-elle une menace réelle ?
Le risque existe mais il est contrôlé. Lors de l’incendie, plus de 400 tonnes de plomb ont fondu, libérant des particules dans l’atmosphère. Des mesures de protection ont été prises immédiatement. Par précaution, l’inspection du travail a fait fermer le chantier le 25 juillet. Personne ne présentait apparemment de taux anormal dans le sang, à part les maîtres verriers qui ont déposé les panneaux de vitraux immédiatement après l’incendie et qui sont très surveillés. Depuis la reprise du chantier, le 19 août 2019, ceux qui se succèdent au chevet de Notre-Dame ont l’obligation de se soumettre à une procédure draconienne pour éviter toute contamination : entrée unique sur le chantier, passage par une unité de décontamination, déshabillage intégral, enfilage de sous-vêtements jetables, puis d’une tenue de chantier qui a été entièrement dépolluée la veille au soir par une entreprise spécialisée. Avant de quitter la cathédrale, chacun, ministre de passage compris, doit se doucher et laisser sur place les habits utilisés… Ce qui devrait garantir une sécurité sanitaire maximale. Les rues adjacentes et plusieurs écoles ont par ailleurs été décontaminées dans la foulée. Cinq établissements scolaires ont été fermés pendant trois jours à la rentrée, le temps que les contrôles soient correctement effectués.
6. Un concours sera-t-il instauré pour la nouvelle flèche ?
Oui, mais on ignore quand. Il sera l’occasion de décider si la flèche est reconstruite ou non à l’identique.
7. Quid de l’origine du sinistre ?
Un concours sera bien lancé pour remplacer la flèche héritée des grands travaux de restauration du XIXe siècle.
© Jean-Marc Barrere/Hemis.frDes capteurs ont été installés dans la cathédrale dévastée, afin d’anticiper au mieux les risques d’effrondrement qui sont toujours à craindre.
© Sylvain Merle/Photopqr/Le Parisien/Maxppp
Une centaine de témoins ont déjà été auditionnés par les enquêteurs. L’origine criminelle semble définitivement écartée. Le départ de feu aurait pu être provoqué par un mégot mal éteint ou un problème d’ordre électrique. Trois magistrats instructeurs poursuivent leurs investigations, tous les câbles et fils électriques n’ayant pas encore été extraits des gravats.
8. Peut-on parler de négligence des services de l’État ?
De nombreuses carences ont été établies, certaines portées à la connaissance du public par les révélations du Canard Enchaîné des 24 et 30 avril, qui n’ont pas été démenties. Ainsi, deux agents de sécurité étaient initialement prévus pour assurer la protection incendie de ce monument le plus visité d’Europe, unique cathédrale à bénéficier d’un PC de sécurité : le premier devant surveiller le système de sécurité incendie, pendant que l’autre faisait des rondes et disposait de cinq minutes pour lever le doute en cas d’alarme. Mais le dispositif avait été allégé après 2014, réduit à un seul employé de la société de sécurité Elytis, secondé par un surveillant de la cathédrale. De nombreux chefs d’équipe d’Elytis auraient alerté leur hiérarchie et la Drac Ile-de-France de dysfonctionnements du matériel de sécurité et du non-respect des consignes. En 2016, un rapport avait même pointé la mauvaise protection de Notre-Dame contre l’incendie. L’État l’a négligé. La Drac avait aussi permis l’électrification temporaire des cloches dans la flèche, mais ne l’avait pas enlevée. Des installations électriques non autorisées existaient dans la charpente, les colonnes sèches étaient insuffisantes. Il faut ajouter à cela que la Ville de Paris ne dispose d’aucun bras articulé de taille suffisante pour que les pompiers atteignent la charpente. Ceux-ci ont donc perdu quarante précieuses minutes à attendre que les deux bras achetés par le conseil général des Yvelines, en cas d’incendie du château de Versailles, se frayent un passage dans la capitale encombrée.
9. Les dons promis ont-ils été versés ?
Les promesses de dons ont bien dépassé les 850 millions d’euros qui seront versés au fil des besoins. Le 24 septembre 2019, la Fondation Notre- Dame avait reçu 36 millions de dons qu’elle a déjà remis à l’État pour financer le chantier de sécurisation dont le budget est estimé à environ 85 millions d’euros. Chaque semaine, en moyenne 140 particuliers envoient encore un don à la Fondation. La loi promulguée le 29 juillet 2019 a institué une souscription nationale, placée sous l’autorité du président de la République. Les fonds recueillis sont consacrés au financement de la restauration et de la conservation de Notre-Dame et de son mobilier, dont l’État est propriétaire, ainsi qu’à la formation aux métiers d’art et du patrimoine nécessaires à la conduite des travaux. Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent y participer, au-delà de leur périmètre de compétence territoriale. Les versements (dans la limite de 1 000 euros) effectués par les particuliers entre le 16 avril et le 31 décembre 2019 au Centre des monuments nationaux et à trois fondations reconnues d’utilité publique (la Fondation de France, la Fondation du patrimoine et la Fondation Notre-Dame), réunis sur le portail www.rebatirnotredame.gouv.fr, ainsi qu’au Trésor public, bénéficient d’un dispositif d’exception portant de 66 % à 75 % la réduction d’impôt sur le revenu. Un comité de contrôle dédié va également être créé pour garantir le bon emploi des fonds collectés.
10. L’État va-t-il déroger aux règles du patrimoine pour accélérer le chantier ?
Partiellement. Adoptée le 16 juillet 2019, la Loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris a été promulguée le 29 juillet. Un Établissement public à caractère administratif devrait voir le jour cet automne pour assurer la conduite, la coordination des études et des travaux avec l’aide d’un conseil scientifique. De plus, le gouvernement est habilité à prendre par ordonnance les mesures d’aménagement ou de dérogation à certaines dispositions législatives qui seraient nécessaires afin de faciliter la réalisation des travaux. Le Sénat a toutefois réussi à imposer que ces dérogations soient listées. Ainsi, la réalisation des fouilles archéologiques sera confiée à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). La publicité sera limitée aux dispositifs visant à informer le public sur les travaux en cours. Enfin, pour réduire les délais d’instruction, en cas de recours contre la position de l’architecte des Bâtiments de France sur les installations et constructions temporaires, la consultation de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture sera supprimée.