Inauguré en 1972, le site abrite l’École nationale supérieure d’art, le Centre national d’art contemporain et des résidences d’artistes. Visite guidée de ce lieu atypique labellisé « Architecture contemporaine remarquable », où le béton et les galets dialoguent avec les cyprès centenaires et les stucs baroques d’une ancienne demeure de campagne, en surplomb de la ville.
C’est dans un lieu chargé d’histoire que le projet d’une école internationale des beaux-arts voit le jour au début des années 1960. La propriété a été durant les XVIIIe et XIXe siècles l’une des plus réputées de la ville. Elle tire son nom de l’un de ses propriétaires, Pierre-Joseph Arson, riche banquier avignonnais installé dans le comté au début du XIXe siècle, à qui le roi de Sardaigne Charles-Félix Ier de Savoie confère en 1824 le titre de comte de Saint-Joseph, avant de le nommer consul de Nice en 1830.
Arson, ensuite relayé par son fils Louis-Gonzague, parviennent à faire du domaine de plus de 6 hectares une véritable référence. Citée dans les guides touristiques de l’époque, la villa Arson, qui porte toujours l’emblème familial du phœnix sur le faîte du, toit est alors visitée par les touristes de passage.
Au XIXe siècle, les habitants successifs du domaine l’ont agrémenté de statues et de colonnades dans un style italianisant. Ils ont également adjoint au potager un superbe jardin régulier d’agrément complété par des espèces méditerranéennes, ainsi que restauré et décoré la villa, en faisant notamment appel à des stucateurs italiens. Suite à la mort de Louis-Gonzague Arson, en 1865, la demeure connaît durant plusieurs décennies une succession de propriétaires et d’affectations (hôtel, maison médicale…) qui vont conduire à des modifications importantes et à un certain déclin des jardins.
Un lieu inédit voué à l’art contemporain
Il faut attendre les années 1920 pour que l’opinion s’émeuve du morcellement progressif des grands domaines niçois. Le contexte économique repousse néanmoins la protection du domaine Arson qui ne compte plus que 2,3 hectares de jardin. Il sera finalement inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1943 et acheté par la Ville en 1948. On projette alors d’y installer un lieu voué à l’enseignement artistique.
Mais après la guerre, la Ville connaît d’autres priorités. Et ce n’est qu’en 1962, après la visite enthousiaste du ministre des Affaires culturelles André Malraux, que le projet se concrétise. Dans un contexte de décentralisation artistique et portée par la renommée des artistes de l’École de Nice, la Ville fait donation du terrain à l’État en 1965, en vue d’accueillir cette expérience inédite de lieu pluriel dévolu à l’art contemporain. Le projet résulte de la collaboration concrète de Pierre Olivier, directeur de l’École des arts décoratifs de Nice, et de Michel Marot, architecte désigné par Max Querrien, directeur de l’architecture au ministère.
Né en 1926, Michel Marot est diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts en 1950 et Grand Prix de Rome en 1954, ce qui lui vaut de séjourner à la villa Médicis jusqu’en 1958. Fin connaisseur de la Méditerranée, et de l’Italie en particulier, il n’en demeure pas moins ancré dans la modernité et ouvert aux influences du style international. En 1959, il crée avec Daniel Tremblot l’agence MTA, qui réunit sept architectes et sera active durant plus de trente ans. Au début des années 1960, deux programmes emblématiques amènent Marot à travailler sur la Côte d’Azur : Marina Baie des Anges à Villeneuve-Loubet (avec André Minangoy) et la villa Arson à Nice (avec Georges Fidon et Pierre Allard).
Commencé en 1967, le chantier de la villa Arson est particulièrement ambitieux, advenu dans le contexte des réformes de l’enseignement et des révoltes étudiantes de Mai 1968. Si le projet de Michel Marot a été retenu parce qu’il était le plus attentif à la dimension patrimoniale du lieu, cela n’a pas été simple pour autant. La Commission nationale des monuments historiques s’est notamment opposée à la réalisation de l’immense vaisseau de béton imaginé par l’architecte sur une propriété protégée. Le projet n’a pu aboutir que grâce à l’intervention de Max Querrien. En 1970, la villa Arson est achevée. Elle sera inaugurée deux ans plus tard.
« Comme un lézard au soleil »
Subtil et complexe sans en avoir l’air, le plan de Michel Marot est lié aux trois fonctions imbriquées du lieu, mais également au souhait de l’architecte de conserver la villa et la topographie globale du site – rendant toute élévation supérieure à deux niveaux impossible. Ce dernier a en effet décidé de développer le programme, de l’étaler « comme un lézard au soleil » selon ses propres termes. 17 000 mètres carrés sont en fin de compte bâtis sur les 23 000 que compte le terrain. Marot a pensé son projet de l’extérieur vers l’intérieur. On entre dans le domaine par le nord. À l’ouest, se trouvent réunis dans un même bâtiment le pavillon d’accueil, les résidences d’artistes et la cafétéria des étudiants.
À l’est, un second bâtiment accueille les logements de fonction. Ces deux édifices se déploient autour d’un jardin, le Bosco. Après avoir traversé ce bel espace verdoyant et ombragé par les oliviers et les pins parasols centenaires, on pénètre dans l’école à proprement parler. Il est alors possible de visiter les galeries d’expositions temporaires ou de rejoindre les quelque 5 000 mètres carrés de terrasses. Le cheminement en trois terrasses successives vers le sud est inspiré du plan originel des jardins. L’architecte a néanmoins surélevé le niveau du terrain naturel de quatre mètres pour créer une dalle recouvrant l’école.
Outre la recréation d’un jardin sec méditerranéen, cette promenade extérieure est animée de jeux de hauteur, d’un labyrinthe, d’amphithéâtres extérieurs et de placettes. Des points de vue sur la ville et sur la baie des Anges ont été ménagés en divers endroits, suivant la déclivité de la butte de Saint-Barthélémy et dans le respect du caractère minéral et boisé du lieu lorsqu’il est perçu à distance.
La villa Arson elle-même est conservée au cœur de l’école, comme enchâssée. Elle abrite aujourd’hui les services administratifs. Son enduit ocre-rouge visible sur les gravures du XIXe siècle a été ravivé, accentuant le contraste avec l’intervention contemporaine de Michel Marot, qui a laissé le béton brut de décoffrage sur la terrasse et dans les espaces de circulation et plaqué de millions de galets gris du fleuve Var pour les façades. Ce jeu de textures et de volumétrie accentue les effets d’ombre et de lumière avec les grands arbres centenaires préservés.
Une lumière zénithale
Sous cet immense vaisseau-muraille triangulaire et allongé, se trouvent les salles de cours, les amphithéâtres ainsi que les ateliers de l’école d’art. Desservis par des volées d’escaliers et une très longue rue intérieure, ces espaces sont baignés de lumière zénithale via des pyramidions qui émergent sur les terrasses. Dans les salles, des baies verticales étroites viennent apporter une luminosité diffuse, tout en ménageant les pans de mur pour l’accrochage des œuvres. Très obscure lorsqu’on la rejoint depuis le vaste hall d’entrée, la rue intérieure s’anime et s’éclaire, au fur et à mesure du parcours, par un jeu d’ouvertures zénithales et latérales dont certaines évoquent les pans de verre ondulatoires de Le Corbusier.
Après plus de cent mètres de parcours, une légère pente permet de rejoindre les espaces extérieurs. Ce passage, avec ses changements de luminosité, son effet de rétrécissement puis de dilatation et son traitement intégral en béton brut et pavement de galets, constitue l’une des richesses du projet. L’étudiant dispose d’espaces extérieurs d’une grande qualité, ouverts sur le paysage et sur la mer, verdoyants, parfois secrets, mais lorsqu’il entre dans cet espace dévolu à l’enseignement, l’architecture l’incite à plus d’intériorité.
Aujourd’hui, la villa Arson perpétue le triple programme qui lui a été assigné dans les années 1960, permettant aux étudiants de rencontrer des artistes en résidence et d’avoir accès à la création contemporaine la plus récente au sein des galeries d’exposition ou grâce aux œuvres in situ installées de façon permanente à l’intérieur et à l’extérieur de l’école. Pour les quelque 200 élèves inscrits à l’école d’art, cette opportunité, ainsi que le cadre qui les accueille, constitue une opportunité unique en France.
© VMF/MAP
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