En Ardèche méridionale, au coeur de la garrigue, une maison blanche aux curieuses formes sphériques percées de hublots évoque une soucoupe volante faisant corps avec le rocher. Il aura fallu plus de 30 ans à Joël Unal, pour parachever à travers une démarche d’autoconstruction le projet d’une vie : concevoir, dans le respect du climat et des caractéristiques du site, une maison adaptée aux besoins de ses habitants.
Dans l’entre-deux-guerres, des rapports inédits s’élaborent entre l’architecture et la sculpture qui, tour à tour, se prennent et se donnent comme modèle l’une à l’autre. Issue de cette combinaison des arts, en rupture avec la tradition, s’organise progressivement ce que le critique et historien Michel Ragon appellera l’architecture-sculpture, héritière des avant-gardes du début du XXe siècle.
Au cours des années 1960, le développement technologique comme la montée des revendications sociales, illustrée notamment par les événements de mai 68, favorise une réaction au conformisme architectural. Les recherches autour de l’architecture courbe s’inscrivent dans ce contexte. La démarche entreprise par le plasticien Joël Unal (disparu en 2018) et son épouse Claude, institutrice, fait écho à ce mouvement. Ne parvenant pas à faire construire par un tiers la maison dont ils rêvent, ils décident de la réaliser eux-mêmes.
Pour Joël Unal, « quitte à concevoir et réaliser entièrement son logement, autant l’adapter au maximum à ses besoins, qu’il soit le reflet de nos envies et devienne le lieu de notre sensibilité. » L’autoconstruction permet de réaliser cet habitat idéal. Certains architectes partagent le désir de suivre des particuliers dans leurs démarches d’autonomie en les conseillant pour favoriser le bon déroulement de leur projet. Inventeurs de la technique de construction du voile de béton, Pascal Häusermann et Claude Häusermann-Costy le guideront dans la réalisation de son chantier. Le voile de béton est une technique relativement simple qui consiste à projeter une mince couche de ce matériau sur une ossature en ferraillage. Le béton durci, la structure devient autoportante. Cette solution sans coffrage permet de réaliser n’importe quelle forme in situ et s’adapte facilement à tout type de terrain.
UNE MAISON QUI ÉPOUSE LE TERRAIN
C’est entre 1972 et 2008 que Joël Unal et son épouse mènent leur projet, dans des conditions difficiles : leurs moyens financiers sont limités, le prix d’achat des matériaux ne cesse de croître à la suite du premier choc pétrolier de 1973, et la parcelle qu’ils ont élue, à proximité du hameau de Chapias, est isolée, sans raccordement à l’eau ou à l’électricité. Pour bien comprendre l’essence de cet édifice, il faut garder à l’esprit l’idée primordiale des propriétaires : la maison ne doit pas simplement occuper le terrain mais faire corps avec lui.
Joël Unal, qui a ressenti très tôt une sensibilité particulière pour l’écologie, souhaite profiter au maximum de la nature et vivre en osmose avec elle. Construite sur un terrain calcaire en dénivelé, la maison est conçue pour être en harmonie totale avec les alentours, la première étape étant le respect absolu du sol. Elle s’adapte au relief avec l’impératif d’avoir un impact minimal sur l’environnement. Aucune pierre, aucun arbre n’est déplacé. Conçue comme une entité autonome, la maison est chauffée par cinq cheminées. L’eau est acheminée par une pompe à main avec un réservoir en toiture.
Ouvrant à l’ouest sur une terrasse et une piscine ovoïdes, la maison est constituée de bulles blanches juxtaposées, reposant sur quatorze pilotis plantés perpendiculairement dans la roche, ce qui évite de marquer les différences de niveaux d’une pièce à l’autre. Le choix de la sphère s’explique aisément : il s’agit en effet de la forme la plus économique, garantissant un maximum de surface pour un minimum de matière. La construction est orientée en fonction des points cardinaux, des pentes, des arbres et des vents dominants. Préalablement, le mouvement du soleil a été observé afin que la maison profite d’une bonne luminosité à toute heure de la journée.
L’absence de repères traditionnels, de symétrie, interroge le visiteur : où se situe la porte d’entrée ? Où mènent les différents escaliers extérieurs ? Passés ces questionnements, il faut parcourir la maison pour l’appréhender aussi bien visuellement que physiquement. Ses formes architecturales invitent au mouvement, à la promenade. Mais c’est en pénétrant à l’intérieur que l’on comprend toutes les intentions du bâtisseur. De forme sphérique, les pièces ont été conçues pour le confort et la détente. Elles sont pour la plupart ouvertes les unes sur les autres. La couleur chaude du pastel orangé des murs unifie les espaces. La continuité visuelle entre le plancher et le plafond favorise la création d’une atmosphère calme et reposante.
UN HYMNE DYNAMIQUE AU DIVERTISSEMENT
Tout dans cette maison est une ode à la récréation, au divertissement. Cette architecture organique fait appel aux sens et à l’imagination, elle séduit par la simplicité de ses volumes et la découverte progressive des pièces. Contrairement aux habitations à angles droits, une grande partie des meubles est intégrée au ferraillage. Ils ont été modelés au moment de la construction des murs. L’esthétique soignée du mobilier participe pleinement à l’architecture intérieure.
Grâce au voile de béton, les toitures deviennent également des espaces accessibles et variés. Les nombreuses terrasses permettent de découvrir le paysage environnant, de changer de perspective. Ces espaces extérieurs d’une grande plasticité créent des jeux entre les vides et les pleins, la matière blanche et le ciel, ils dynamisent l’ensemble de la maison.
La maison individuelle demeure un type de chantier propice à des expressions formelles et des techniques innovantes. L’architecture-sculpture a permis à ses adeptes de trouver le juste équilibre entre leur désir d’expérimenter de nouvelles formes et leur volonté d’offrir une meilleure qualité de vie. Les lumières changeantes, l’expression du rythme naturel des mouvements permettent de retrouver l’ambiance des origines de la vie, une enveloppe souple et évolutive, une matrice élargie.
Autoconstruction militante qui constitue une incontestable réussite esthétique, la maison Unal a reçu en 2003 le label Patrimoine du XXe siècle. Depuis 2010, « en raison de sa qualité de la qualité de sa réalisation et de son intégration dans le site », elle est en outre inscrite au titre des Monuments historiques. L’étonnant vaisseau est en passe de devenir un classique…
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