Victimes de pillages, de la pêche intensive et de la pollution, les trésors engloutis au fond des eaux sont menacés. L’Unesco lutte pour leur sauvegarde, ainsi qu’un ensemble de professionnels, d’associations et de particuliers sensibilisés et mobilisés. Mais beaucoup reste encore à faire.
« Nous sommes aujourd’hui vis-à-vis du patrimoine subaquatique exactement au point où en étaient nos aïeuls il y a 150 ans pour le patrimoine terrestre, quand chacun pouvait partir piller les tombes égyptiennes à sa guise ! » Secrétaire de la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique rédigée en 2001 par l’Unesco, Ulrike Guérin se bat depuis plus de dix ans pour que les pays la ratifient et que le grand public découvre l’importance de ce patrimoine. À ce jour, seuls 61 États sur 190 ont signé ladite convention. « Nous devons vraiment éduquer les populations pour qu’elles comprennent l’importance de ce patrimoine. C’est pour cela que nous encourageons tous les projets de sensibilisation, de médiation. Il y a plus de trois millions d’épaves au fond des océans, et cent cinquante villes sont immergées rien que dans la Méditerranée. En mer du Nord, par exemple, reposent des vestiges archéologiques majeurs. Nous allons peut-être trouver des restes d’êtres humains, découvertes qui seraient précieuses pour les anthropologues. Pourtant, il y a quelques années de cela, des squelettes apparus au fond d’une grotte mexicaine ont été volés avant que les archéologues n’aient eu le temps de les étudier. »
La France, qui a ratifié la convention en février 2007, est l’un des pays qui protège le mieux son patrimoine sous-marin grâce, entre autres, à l’inlassable travail des services du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) dirigé par Michel L’Hour. Celui-ci s’est démené pour qu’ait lieu, à Brest, en juin 2019, une conférence internationale sur le patrimoine culturel subaquatique, sous l’égide de l’Unesco, et en présence de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Le but ? Convaincre les représentants des pays résistants, dont le Royaume-Uni et les États-Unis, de ratifier la convention. « Il s’agit de notre histoire collective, explique Michel L’Hour. Nous avons été choqués en apprenant les destructions de Palmyre, mais les types qui pillent des épaves, c’est le même phénomène ! À force de me battre pour la protection de ce patrimoine, des gens connaissent mon nom, et je suis parfois prévenu lorsque des pillages sont en cours. Mais il arrive que je ne puisse joindre personne ! Il faut absolument qu’il existe au moins un individu par État que l’on puisse contacter immédiatement en cas d’alerte. »
Les États s’en mêlent
Le 24 juin 2019, l’Unesco a désigné, sur la recommandation de son conseil consultatif scientifique et technique, cinq nouveaux projets qui participent de manière très concrète à la protection du patrimoine sous-marin. En 2018, le gouvernement portugais a ainsi établi une charte dans les Açores, qui autorise un itinéraire de plongée très encadré sur une trentaine de sites inventoriés et protégés par la loi. Des visites sont organisées sur des bateaux à fond plat pour sensibiliser le public. Le Mexique a également été salué pour ses efforts continus menés depuis 2006 afin de documenter le cimetière d’épaves du Banco Chinchorro, un récif corallien à la biosphère très riche dans le Yucatan. Des programmes d’études et de conservation ont été lancés, l’accès responsable du public est encouragé : sensibilisation des pêcheurs, formation des voyagistes, encadrement des plongées…
Le site de la Natière, à Saint-Malo, a fait l’objet de 10 campagnes de fouilles dirigées par Michel L’Hour et Élisabeth Veyrat, entre 1999 et 2008. Elles ont permis d’identifier 2 épaves de frégates corsaires : La Dauphine, perdue en 1704, et L’Aimable Grenot, coulée en 1749. © Frédéric Osada – Thierry Seguin/Drassm Michel L’Hour, directeur de la Drassm, sur le chantier de La Lune (2012), vaisseau de Louis XIV ayant sombré en 1664 en rade de Toulon et découvert par 90 mètres de fond, en 1993. © Teddy Seguin/Drassm
L’Unesco a tenu à encourager les efforts soutenus de la Slovénie pour veiller sur les richesses archéologiques de la Ljubljanica. Sur la vingtaine de kilomètres entre Ljubljana et Vrhnika, la rivière et les marais des alentours regorgent de vestiges, s’étendant de la fin du paléolithique au haut Moyen Âge. Ce site facile d’accès a été malheureusement largement pillé entre 1980 et 2010, alimentant le trafic international d’objets d’art. Heureusement, la Slovénie s’est dotée d’une loi sur la protection du patrimoine culturel en 2009 qui a mis fin aux pillages. Entre 2012 et 2014, un projet de gestion durable, de sauvegarde et de promotion du patrimoine de la Ljubljanica a été élaboré, permettant, entre autres, la sauvegarde d’une pirogue du IIe siècle av. J.-C.
En France, c’est un chaland gallo-romain qui a été primé, ou plutôt le renflouage, la restauration et la présentation au public de cette épave presque complète datant du Ier siècle et découverte à Arles en 2004. La barge Arles-Rhône 3, classée Trésor national par l’État, a été installée dans une nouvelle aile du musée Arles antique, où elle est présentée de manière très pédagogique dans une fosse, entourée de près de 500 objets liés à la navigation et aux activités portuaires de l’époque gallo-romaine.
Une frégate espagnole
Enfin, le projet du Nuestra Senora de las Mercedes, présenté par l’Espagne, est emblématique de la lutte menée contre le pillage du patrimoine subaquatique des grands fonds marins. Touchée par un boulet de canon le 4 octobre 1804, la frégate Nuestra Senora de las Mercedes a fait naufrage à 34 milles marins de la côte sud du Portugal et gît depuis par 1 138 mètres de fond… à l’abri des pillages. Mais, depuis une vingtaine d’années, de nouveaux et redoutables chasseurs de trésors sont apparus : des sociétés possédant de puissants robots sous-marins capables d’aller fouiller les épaves que l’homme ne peut atteindre. L’entreprise américaine Odyssey Marine Explorations a ainsi remonté en 2007 quatorze tonnes de cargaison trouvées sur la frégate, dont 600 000 pièces de monnaie.
Affirmant que le bateau en question était un navire de commerce, le Black Swan, et non le Nuestra Senora de las Mercedes, elle s’était attribué la propriété du butin. C’était sans compter sur la mobilisation des archéologues, des historiens, des scientifiques et de l’État espagnol qui s’est lancé dans une véritable bataille juridique qu’il a gagnée en présentant de nombreuses archives. À l’appui de ces documents, l’avocat James A. Goold a réussi à prouver que la frégate était bien le Nuestra Senora de las Mercedes. La cour d’Atlanta, en Floride, s’est appuyée sur la Convention sur la haute mer de Genève de 1958 pour déclarer que tout épave qu’il fût devenu, le bateau n’en demeurait pas moins un navire militaire, donc propriété de l’État souverain qui l’avait armé. Odyssey a été condamné, en 2012, à rendre tout le butin à l’Espagne, et à payer une amende d’un million de dollars. Depuis, un certain nombre d’objets pillés par Odyssey sont exposés au Musée national d’archéologie subaquatique de Carthagène où est présentée in extenso l’histoire de cette frégate et du sauvetage de son trésor.
Plus encore que les 4 autres projets, cette affaire prouve l’importance de la convention de l’Unesco. Les États qui la ratifient s’engagent en effet à renforcer leur coopération mutuelle, à renoncer à appliquer la règle anglo-saxonne qui attribue aux habitants de la côte la propriété des navires échoués dans leurs eaux territoriales, à privilégier la conservation du patrimoine in situ au fond de la mer où les qualités de conservation sont bien souvent meilleures que sur terre.
Les mentalités commencent toutefois à changer. La France a obtenu, à l’été 2018, une victoire juridique similaire à celle de l’Espagne. En 2016, la société américaine Global Marine Exploitation avait reçu l’autorisation de fouiller trois sites archéologiques découverts l’année précédente au large de la Floride. Elle a trouvé un navire abandonné avec des ancres, ses canons… et a prétendu qu’il s’agissait d’un navire marchand espagnol. Alerté par Michel L’Hour et soutenu par l’avocat James A. Goold, l’État français a pu démontrer qu’il s’agissait de La Trinité, le navire amiral de la flotte de Jean Ribault, parti de Dieppe en 1565 pour soutenir la colonie française de Fort Caroline. Le tribunal d’Orlando, en Floride, a tranché le 29 juin 2018. Les armoiries royales sur les canons sont bien celles du roi des Français, ainsi que la fleur de lys sculptée sur la pierre de balisage. Cette épave-là, au moins, ne sera pas pillée par les chercheurs de trésors !