Au Mans, préserver c’est casser…

Par Nicolas Chaudun Directeur de la publication

Date de publication : 07/02/2020

Temps de lecture : 6 minute(s)

En principe, projeter l’inscription d’un secteur urbain au titre du patrimoine mondial devrait obliger à une sauvegarde rigoureuse et réfléchie. Pas au Mans. Cette ville qui s’est consciencieusement autodétruite depuis une soixantaine d’années conserve néanmoins nombre de joyaux, resserrés pour la plupart dans l’enceinte gallo-romaine. Celle-là même est miraculeusement préservée sur la majorité de son tracé. Elle l’est si bien, que la Ville entend, depuis 2015, lui décrocher le précieux label de l’Unesco.

Dans les années 1970, son dégagement partiel avait eu raison d’anciens faubourgs, insalubres, mal famés, qu’on aurait pu toutefois sauver… On leur a préféré un aménagement végétalisé des quais de la Sarthe, autant dire des parkings. Tout au moins la muraille de la fin du IIIe siècle dévoile-t-elle ses parements polychromes, d’une rare variété. Aujourd’hui, c’est au chevet de la cathédrale Saint-Julien qu’il s’agit de retrouver les fastes de Rome. Complètement reconstruit à partir du XIIIe siècle, le chœur gothique a débordé de l’enceinte gallo-romaine ; à dire vrai, il l’a proprement enjambée de ses arcs-boutants arachnéens qui vont se dédoublant. Ce n’est qu’au siècle suivant, en pleine guerre de Cent Ans, qu’une nouvelle muraille est venue enfermer cette extension.

Et c’est ce rempart, aujourd’hui, qui fait les frais de fouilles archéologiques. Une large brèche, en effet, y a été pratiquée, afin d’accéder à d’éventuels vestiges du Bas-Empire. Qu’a-t-on découvert, coincée entre le mur médiéval et les chapelles rayonnantes du chevet ? Une tour antique, tiens ! polygonale, artistement parée de calcaire, de brique et de grès roussard, une pierre typique du pays. N’en demeure que la section inférieure, et encore, pas sur la totalité de son tracé, un fragment quoi, lisible, éloquent, peut-être, mais un fragment tout de même… Folle excitation. On décide de poursuivre les investigations. Et cette fois, c’est un ensemble datant de 1854 qu’il s’agit de bouleverser : un charmant escalier à double révolution, entourant de son accolade la non moins charmante fontaine du Jet d’eau, et malheureusement assis sur le tracé fantôme de l’enceinte gallo-romaine.

Cet ensemble, chéri des Manceaux, fait le lien entre le Vieux Mans, juché sur son éperon rocheux, et la vaste esplanade des Jacobins, en contre-bas. Certes, la fontaine néo-gothique avait subi un premier outrage, en accueillant en son bassin une baigneuse en bronze doré, grassouillette, gratinée, qui pourrait être à Aristide Maillol ce que Pikachu est à la Victoire de Samothrace. C’est maintenant le mur d’échiffre de la volée droite de l’escalier qu’on a « démonté à la main, pierre par pierre », nous assure-t-on à la mairie. Pourquoi tant de soin ? Pour le remonter à l’identique, bien évidemment ! Eh bien non ! Enfin, pas tout à fait… « La question de savoir si [le mur] sera remonté après la période de fouilles n’a pas été tranchée », déclarait fin 2019 Stéphane Le Foll, maire du Mans. Et, très en verve, il avait ajouté : « Ce mur qui date de 1854 […] ne possède aucune valeur patrimoniale. Il y a bien un aspect esthétique puisqu’il entoure de façon quasi symétrique la fontaine mais on ne le fait pas tomber complètement. »

Qu’un élu municipal ne démontre pas plus de conscience historique qu’un catalogue de robinetterie, nous pourrions, hélas ! nous y résigner. Mais que l’ancien porte-parole du gouvernement de François Hollande nous dispense une leçon d’esthétique urbaine, alors là, permettez-nous de rigoler ! Parce que, voyez-vous, cher Monsieur, c’est précisément parce que vous ne le faites pas tomber complètement, ce mur, que la « symétrie » fatalement « esthétique » de l’ensemble risque d’être ruinée ! Le plus triste, c’est que l’architecte des Bâtiments de France ici concerné, le très sage et très sagace Nicolas Gautier, n’ait pas de religion bien arrêtée sur la question, s’interrogeant encore sur « ce qui prime ici » : le demi-périmètre d’une tour aux deux tiers abolie ou un ensemble urbain parfaitement harmonieux ?

Nous rappellerons ceci : le principe d’une fouille archéologique, c’est qu’une fois qu’on en a tiré tous les enseignements possibles on la recouvre et on passe à autre chose. Règle d’une infinie sagesse. Sans quoi, un territoire comme le nôtre ne serait que murets arasés, culs-de-basse-fosse et chaussées éreintées. Alors, Monsieur le maire, remontez le mur de l’escalier et, si vous tenez vraiment à ce que nous venions nous prosterner devant le vestige antique, faites de la brèche pratiquée dans le massif médiéval une entrée digne de l’ensemble patrimonial qui l’environne – un portail cintré, par exemple !

Et promettez-le nous sans tarder, car, vous le savez sans doute, le dossier municipal d’inscription de l’enceinte à l’Unesco a du plomb dans l’aile, retoqué il y a peu par le ministère de la Culture, faute d’universalité. Imaginons un instant le dossier enterré : vous resteriez le maire qui a mité, et pour rien ! un ensemble urbain d’une rare beauté. Ce qui ne vous écarterait guère, il est vrai, d’une longue tradition locale…

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