Avons-nous tous, tous vraiment, bien saisi l’ampleur de nos obligations environnementales ? La brutalité écologique et sociale d’un projet immobilier en lisière de forêt, à trois coudées du domaine de Chambord, ne laisse aucune illusion.
Le projet du « Chambord country club » (mazette !), sur la modeste commune rurale de La Ferté-Saint-Cyr, tient en quelques chiffres : 400 hectares d’un terroir classé Natura 2000 ; à la place, 565 maisons, 160 hectares pour un golf de 27 trous (mazette ! derechef), 60 boxes d’un club hippique, autant de chambres d’un hôtel de luxe, et tout l’arsenal d’équipements propres aux stations de villégiature high life : club-house, piscines, marché, commerces, services, parkings, accès et ronds-points afférents, sans compter d’immanquables extensions à venir. Une ville nouvelle, en somme, en marge d’un village promis à un déclassement brutal.
Un rêve quoi, mais un rêve tout droit sorti du subconscient nicotiné d’un personnage de Claude Sautet. Ah ! et puis il y a le prix escompté des villas : de 500 000 à 1,5 millions d’euros, assure le promoteur du projet, M. Bernard Saunier. À cet « ingénieur environnemental » versé dans l’immobilier, on serait naïvement tenté de lancer un « Hey boomer ! » définitif. Mais le vaillant septuagénaire se défend, fort d’arguments mûris à loisir depuis que le projet a été retoqué une première fois en 2014. Le « Chambord country club » créerait peut-être 250 emplois ! Ha bon ! Quels éléments objectifs autorisent-t-ils de telles spéculations ? Il fixerait les touristes volatiles, attirés comme autant de phalènes dans l’orbite de Chambord, renchérit-on !
Mais non, puisque sur ce lotissement, seules 40 villas seraient dédiées à l’accueil de touristes de passage, les autres étant réservées au séjour de propriétaires privés. Quant à savoir si, vraiment, la région manque d’infrastructures touristiques, on rappellera qu’à quelques kilomètres gisent un Center Parc d’un autre temps, une multitude de clubs hippiques et de golfs dont le très sélect domaine des Bordes, promis à une extension résidentielle… Le promoteur bénéficie de soutiens, cependant, notamment celui de Jean-Paul Prince, un sénateur forcément rompu aux argumentations de camelots.
Aucun projet mercantile ne peut désormais se concevoir sans se soumettre à cette vertu cardinale, le tact environnemental !
Nicolas Chaudun
Mais quoi ! Le projet rappelle les « villes privées » américaines, repliées sur elles-mêmes, fort peu accueillantes, communément qualifiées de « ghettos de riches ». Il rappelle encore, et grossièrement, la cupidité qu’a toujours suscitée la proximité du château de François Ier, et plus particulièrement ce grand bazar de « Chamborland » qui, déjà, faisait se gondoler les chroniqueurs du XXe siècle. S’ils tiennent à parquer convenablement leur clientèle privilégiée, MM. Prince & Saunier devraient plutôt racheter un château en ruine, y aménager des chambres du dernier chic, avec des boxes dans ses écuries désaffectées, et, de sa pelouse en friche, faire un golf d’autant de trous qu’il y aurait de gogos pour y herboriser. Au moins, ils contribueraient – peut-être – à la sauvegarde de notre patrimoine.
Mais non ! Il leur faut s’étendre, s’épandre, même, sous prétexte que la nature a horreur du vide. Parole d’homme, assurément ! Car ce dont la nature a horreur, c’est surtout du bastringue envahissant des humains ! MM. Prince & Saunier ont-ils des oreilles ? Et leurs semblables ? Ont-ils entendu les propos du président de la République qui, inaugurant l’édition 2019 du salon de l’Agriculture, martelait qu’il fallait « rompre avec cette pratique du grignotage des terres agricoles » ? Ont-ils entendu ce mot d’ordre : « zéro artificialisation des sols » ? Et des yeux, en ont-ils ? Les ont-ils vus, ces millions d’hectares de forêts disparus en Australie ? Et ont-ils des doigts pour le décompter, ce milliard d’animaux carbonisés ?
L’alarme qui résonne délivre pourtant un message clair : aucun projet mercantile ne peut désormais se concevoir sans se soumettre à cette vertu cardinale, le tact environnemental !