Force est de constater que le patrimoine occupe moins que jamais le cœur des campagnes municipales bruyantes des métropoles. Il n’a d’ailleurs jamais été le fer de lance des candidats et des élus maires. Ces derniers se sentent d’autant moins concernés lorsque le patrimoine de leur commune n’en représente pas un moteur économique et social. Certains élus de communes rurales s’acharnent pourtant à faire vivre leurs villages ou leurs bourgs, à l’instar des cinq maires rencontrés pour cet article. Résistant aux pressions, ils déploient des réserves insoupçonnées d’énergie et de pédagogie pour unir les habitants autour de la préservation de leur patrimoine commun. Exceptions qui confirment la règle et exemples à suivre, ils méritent d’être salués.
Marie-Jo Margelidon-Fouquet, à Montoldre (Allier)
C’est la belle histoire, simple, d’une petite commune de l’Allier. À l’automne 2014, le village de 650 habitants (dont beaucoup vivent dans la maison de retraite installée dans l’ancien château de Gayette) est rassemblé dans l’église Saint-Éloi pour l’enterrement de sa doyenne. Le soleil oblique d’octobre traverse un vitrail, éclairant le mur nord du sanctuaire, moisi, lézardé, suintant d’humidité. Marie-Jo Margelidon-Fouquet, professeure d’économie et de vente, qui vient d’être élue maire, sent – ou imagine – tous les regards tournés vers elle… La voilà responsable du mauvais état de l’église !
À la sortie de la messe, ses yeux se portent sur la statue de Jeanne d’Arc. L’ancien curé de Montoldre l’a fait ériger en action de grâce parce qu’en 1945 tous les hommes du village étaient revenus vivants de captivité. C’est décidé, la maire va se battre pour sauver l’église. Mais comment ? Avec quel argent ? La commune, comme toutes ses sœurs rurales, est loin d’être riche. Marie-Jo Margelidon-Fouquet réunit les conseillers municipaux qui, sans hésiter, approuvent son projet. À eux quinze, ils mettent déjà 1 200 euros sur la table. Une commission municipale est créée et, deux par deux, les élus vont visiter les 200 foyers de la commune afin de leur expliquer le lancement d’une souscription pour la rénovation de l’église.
« Nous avons bien précisé qu’il n’y avait pas de petit don, que chacun avait de la valeur, précise Marie-Jo Margelidon-Fouquet, encore émue au souvenir de cette campagne. Nous avons rédigé un flyer avec l’assistance de la Fondation du patrimoine. L’aide de la déléguée de Clermont-Ferrand, Huguette Winckel, a été vraiment précieuse. » Et tous les habitants, croyants, ou non, ont donné de l’argent pour l’église, ce qui a permis de réunir près de 12 500 euros… Des chorales sont venues chanter bénévolement et les artisans ont rédigé des devis fort raisonnables. « La souscription, ajoutée aux subventions, nous a permis de réaliser les travaux indispensables, en deux tranches, en 2015 et 2016. Je ne l’oublierai jamais ! »
Jean-Pierre Morteveille, à Sainte-Suzanne (Mayenne)
Ici, le maire est un enfant du pays, du village même, comme l’était sa famille avant lui, fidèle depuis plusieurs siècles à ce petit joyau médiéval mayennais. Sainte-Suzanne, c’est un bout de paysage perché, intact, « Site classé » depuis 1947, « Petite Cité de caractère » depuis 1992 et « Plus Beau Village de France » depuis 2010. Le bourg possède six monuments historiques, un des derniers moulins à papier en activité, un musée municipal abritant la plus ancienne armure de France (le musée de l’Auditoire) et le nouveau Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine du département…
Pour préserver l’intégrité du village et de sa nature environnante, Jean-Pierre Morteveille n’a jamais relâché sa vigilance. Tout a été inscrit dans le PLU (plan local d’urbanisme) et le PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) avec les communes voisines de Saulges et de Saint-Pierre-sur-Erve. Ces dernières sont en train de finaliser la construction d’un PVAP (plan de valorisation d’architecture et du patrimoine), parce qu’elles deviennent « Sites patrimoniaux remarquables ».
Ce projet, que Jean-Pierre Morteveille veut laisser à son successeur puisqu’il ne se représente pas aux élections municipales de mars 2020, le passionne : « Nous travaillons avec, entre autres, l’architecte des Bâtiments de France, un urbaniste, un historien, un géographe, l’Association des amis de Sainte-Suzanne. Nous sommes repartis de la carte de Cassini… » Le maire a aussi consulté la chambre d’agriculture et les agriculteurs de la commune qui ont contribué à recenser toutes les haies, désormais protégées. L’alignement des corniches en brique dans une rue du XIXe siècle le sera bientôt.
Grâce à ces outils, le maire possède un garde-fou qui lui permet de convaincre les habitants ou les futurs propriétaires de respecter les obligations : taille des fenêtres de toit, couleurs des volets, jardins clos de murs en pierres et non en grillage… « Nous proposons la consultation gratuite d’un architecte-conseil avant que les gens commencent leurs travaux. Parfois ils renoncent à acheter la maison, mais tant pis… Ce qui est difficile, c’est de devoir toujours recommencer à expliquer aux habitants qu’ils ne peuvent installer ni fenêtres en PVC ni volets roulants… ou de démontrer au patron du café, par exemple, que le parasol de sa terrasse serait mieux en tissu uni qu’avec le calicot Kronenbourg. »
Jean-Pierre Morteveille, qui va rester vice-président de l’association des « Plus Beaux Villages de France », se souvient encore de la fierté des habitants lorsqu’en 2013 leur commune est arrivée troisième au concours des Villages préférés des Français, animé par Stéphane Bern !
Patrick Brault, à Sainte-Marie-d’Attez (Eure)
Ses murs commençaient à s’écarter. Il fut un temps où l’effondrement guettait son porche et ses chapelles. Mais aujourd’hui, l’église de Saint-Ouen-d’Attez est sauvée. Commencés à l’automne 2019, les travaux de restauration seront terminés en juin 2020. Huit mois de chantier et un budget de 400 000 euros bouclé grâce à l’énergie d’une commune unie autour de son maire.
Patrick Brault est le premier élu de Sainte-Marie-d’Attez, commune née le 1er janvier 2016 de la fusion de Saint-Ouen-d’Attez, Saint-Nicolas-d’Attez et Dame-Marie. « Nous n’étions rien, s’exclame en riant cet ancien professeur de mathématiques, nous sommes devenus trois fois rien ! » Les trois villages ont chacun apporté une église et un morceau de leur nom et, surtout, ils ont cumulé leurs énergies ! « Cette démarche a été appréciée des financeurs », précise Patrick Brault. Sainte-Marie-d’Attez a bénéficié des aides de l’État, du département, de la Fondation du patrimoine, de la Sauvegarde de l’art français et même du quotidien Ouest-France, qui a offert pour la restauration de l’église 3 200 euros, issus des fruits de la vente d’un hors-série sur Notre-Dame de Paris. Mais ce qui a le plus touché le maire, c’est de voir les 599 habitants de la nouvelle commune donner eux aussi 15 000 euros pour sauver l’une de leurs trois églises !
Patrick Brault avait déjà reçu le label « Terre saine » pour avoir été l’un des premiers à supprimer les pesticides quand il n’était maire « que » de Saint-Ouen-d’Attez, laissant pousser l’herbe entre les pierres et les fleurs dans le cimetière. Il a aussi recréé un verger avec les enfants de l’école, dédié aux disparus dont les noms figurent sur le monument aux morts. Et il compte bien poursuivre les travaux après les élections avec la même équipe municipale. « Réunir nos trois villages n’a pas seulement été bénéfique pour nos finances, cela a renforcé l’entraide. Il devrait exister un guide pour les maires des toutes petites communes comme je l’étais avant, car ils sont trop seuls pour se lancer dans les travaux sur le patrimoine et les demandes de financement. »
Patricia Rochès, à Coren-les-Eaux (Cantal)
Fille d’agriculteurs, Patricia Rochès s’est retrouvée élue au conseil municipal de Saint-Flour en 2001, à 26 ans à peine ! « On venait de voter la première loi sur la parité dans les villes de plus de 5 000 habitants », dit-elle en riant. En 2008, elle est nommée adjointe à la culture et se passionne pour le magnifique patrimoine de la ville, puis pour celui de toute sa région. Elle monte une maison d’édition, La Vache qui lit, et publie un premier livre sur le viaduc de Garabit, ouvrage d’art magnifique et méconnu, dû au génie de Gustave Eiffel. Une dizaine d’autres publications suivront, qui lui ont valu un Prix aurhalpin du patrimoine.
« Qui va apprendre aux enfants le patrimoine local ? Je voudrais donner les moyens à ceux qui, comme moi, ne savaient pas lire les paysages et le patrimoine, de les découvrir », explique-t-elle. Élue maire de son village de Coren-les-Eaux en 2014, Patricia Rochès s’attelle tout de suite à la rénovation et à la revitalisation du bourg. « Le patrimoine bâti et naturel, c’est ce qui fait l’âme du territoire », assure-t-elle. La Mairie a ainsi aidé un jeune couple de la commune à racheter l’ancien presbytère inoccupé, à le restaurer et à ouvrir un restaurant en juillet 2018. Une partie des réseaux vieillissants, ceux secs du téléphone et de l’électricité, ont été refaits et enterrés. Et Patricia Rochès souhaite également mettre sur pied des ateliers pour restaurer les murs en pierres sèches de la commune, classée à 75 % en zone Natura 2000. Elle est en quête de partenaires, indispensables à la concrétisation d’un tel projet.
Des parcours de promenade sont imaginés pour découvrir la biodiversité. Un verger pédagogique a été créé à l’école, qui, du reste, a ouvert sa cantine aux anciens de la commune pour tisser des liens entre les générations. Les 450 habitants de Coren-les-Eaux disposent désormais d’une bibliothèque, d’une petite galerie d’exposition, d’une artothèque, d’un atelier où les enfants peuvent s’initier à la couture avec une machine à coudre… Et la maire voudrait mener un travail pédagogique sur les nombreuses zones humides du territoire, qu’elle sait si importantes pour la sauvegarde de la biodiversité.
Bertrand Ollivier, à Joinville (Haute-Marne)
Si l’on décernait un prix aux héros du patrimoine, Bertrand Ollivier serait sans aucun doute sur le podium. Maire de Joinville, en Haute-Marne, depuis 2006, il a décidé de se battre contre la tristesse, apparemment inéluctable, qui lézardait les murs de sa commune d’à peine 4 000 habitants, pourtant troisième aire urbaine du département après Saint-Dizier et Chaumont. Lorsqu’il a pris la tête de cette petite ville de l’Est, berceau des Guise, déjà laissée-pour-compte d’un pays qui ne se rêvait pas encore en start-up nation, il s’est demandé ce qu’il pouvait faire pour la sauver. Une situation économique préoccupante et 30 % de la population partie en trente ans…
Restait le patrimoine de la cité du sieur de Joinville, ses hôtels Renaissance, ses maisons à pans de bois. Mais beaucoup étaient en mauvais état, certaines vidées de leurs boiseries et de leurs cheminées par des acheteurs sans scrupule, et le centre-ville continuait de se vider pendant que des pavillons poussaient en périphérie… Alors Bertrand Ollivier a décidé d’utiliser tous les dispositifs légaux, réglementaires, juridiques possibles pour faire du patrimoine le socle de la revitalisation de la ville : aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (Avap) aujourd’hui devenue « Site patrimonial remarquable » labellisé « Petite Cité de caractère », charte d’aménagement, droit de préemption sur l’habitat en péril ou abandonné et les commerces, Fondation du patrimoine.
Aux 20 et 22, rue des Marmouzets, à Joinville, avant restauration. La commune de Haute-Marne a racheté plus de 20 maisons depuis 2012 et aidé à la restauration de 8 maisons à pans de bois depuis 2017. © Ville de Joinville Aux 20 et 22, rue des Marmouzets, à Joinville (Haute-Marne), après restauration. © Ville de Joinville
« Nous avons surtout aidé les propriétaires privés, explique Anthony Koenig, chef de projet urbanisme de la Ville. Depuis 2012, la commune a racheté vingt maisons, et depuis 2017 elle a aidé à la restauration de huit maisons à pans de bois. La Mairie donne des subventions, centralise les autres aides, trouve les entreprises mécènes, organise les chantiers participatifs. Quand les habitants constatent que des maisons commencent à être rachetées, rénovées, cela leur redonne confiance, comme de voir renaître l’hôtel de ville et l’église. » La Mairie a aussi entrepris un inventaire de tout le patrimoine de la ville, maison par maison, fait enlever presque tous les panneaux publicitaires, réinstallé un magasin de chaussures et un salon de thé au cœur du bourg. Et maintenant, elle encourage les habitants à fleurir leurs façades… Joinville reste fragile mais revit. « Si nous y sommes arrivés, conclut Anthony Koenig, d’autres communes peuvent le faire ! »