Depuis ses ateliers situés près de Périgueux, sur les berges de l’Isle, la Socra défend un savoir-faire français toujours vivant. L’entreprise œuvre pour « la conservation et la restauration du patrimoine français et international » dans une région fière de ses merveilles naturelles et bâties. Des châteaux de Dordogne à la cité persane de Shahrisabz sur la Route de la soie, l’expertise de la Socra est partout sollicitée.
Dans les ateliers de restauration de la Société de conservation et de restauration archéologique (Socra, fondée en 1964) à Marsac-sur-l’Isle, les points de repères de la géographie nationale semblent n’avoir plus cours. On y a vu se côtoyer sous un même hangar l’archange du Mont-Saint-Michel, la statue de Saint-Martin-de-Tours ou celle de Napoléon Ier qui trône habituellement sur une place de Cherbourg. Nombre de trésors effectuent un séjour en Dordogne où des mains savantes s’attellent à effacer l’usure que le temps leur a infligée. Des ingénieurs, des compagnons du devoir et des restaurateurs composent une équipe qui varie en fonction des mouvements de chacun sur les chantiers. « Nous avons un logement dans les ateliers pour les stagiaires de l’Institut national du patrimoine ou les compagnons, qui ne restent parfois que quelques mois », explique Patrick Palem, l’ancien président de la Socra aujourd’hui dirigée par Richard Boyer. 30 collaborateurs, dont 18 restaurateurs, s’attachent à travailler la pierre, le métal, la mosaïque, le pavement, la peinture murale et le stuc.
Patrick Palem devient directeur de l’entreprise en 1980 puis la rachète à Vinci en 2014, en association avec l’industriel périgourdin Thierry Civetta. Selon le premier, « La faible synergie entre les domaines d’activité des deux entités ainsi que leur différence de taille expliquent cette cession ». Les salariés ont notamment restauré 230 mètres carrés de fresques en provenance de la résidence gallo-romaine de Seviac, dans le Gers. L’entreprise ouvre ses portes depuis une dizaine d’années aux associations locales qui peuvent venir y réparer des œuvres, religieuses ou profanes. Elle délivre à leurs membres bénévoles une formation leur permettant de comprendre les basiques en matière de restauration.
UNE VOLONTÉ DE TRANSMISSION
« Nous travaillons aussi avec des écoles primaires pour initier les enfants à la mosaïque. C’est une volonté de s’intégrer dans la région où nous sommes implantés », souligne Patrick Palem, qui insiste sur l’importance de transmettre le goût des arts dès le plus jeune âge. Toujours dans la volonté d’ouvrir ses portes et de faire connaître ses métiers, la Socra a conclu un accord avec l’office de tourisme qui organise des visites des ateliers tous les deux ou trois mois. Associations et touristes peuvent ainsi découvrir les différents chantiers en cours et observer les professionnels à l’œuvre. Et la Socra de marquer son appartenance au tissu économique du Périgord, fortement lié au monde du patrimoine et de l’artisanat. « On observe des spécificités régionales, avec la présence des carrières et donc des tailleurs de pierre, note Patrick Palem. Il y a également un savoir-faire en métallerie, avec l’Atelier d’œuvres de forge à Hautefort. » L’association des artisans d’art de Périgueux, qui organise un salon bisannuel, communique elle aussi autour de la richesse des métiers que l’on trouve dans le centre de la ville, au pied de la cathédrale Saint-Front et alentour.
Préparation de la peau de cuivre de l’archange du Mont-Saint-Michel qui s’apprête à recevoir une nouvelle dorure à la feuille. Cette œuvre d’exception a été recouverte de feuilles d’or plus lourdes que d’ordinaire : 32 grammes au lieu des 23 habituels, et ce de manière à ce que le métal précieux puisse mieux résister aux conditions climatiques, notamment aux vents chargés de sable qui battent le site. © Socra
Enracinée, la Socra se veut aussi mobile, comme le relève Patrick Palem : « Nous disposons d’une antenne à Nanterre, d’une part car nous sommes en charge de l’entretien des fontaines de la capitale, et d’autre part pour être au plus proche des sources financières. C’est aussi à Paris que nous avons le plus de projets. » La société périgourdine a été missionnée par exemple pour restaurer les sculptures des façades de l’Opéra Garnier et les marbres et les bronzes de la Galerie des glaces à Versailles. Selon les sites, l’entreprise réalise des études préalables, établit des constats et élabore un protocole de restauration. Du dessalement de la pierre à son nettoyage par microgommage, du polissage au lustrage des marbres, la Socra redonne vie aux monuments les plus prestigieux.
L’entreprise a développé un pôle axé sur la restauration d’ouvrages métalliques depuis 1979. En fonte, la fontaine des fleuves et celle des mers qui célèbrent le génie naval de la France face à l’Hôtel de la Marine, sur la place de la Concorde, ont ainsi bénéficié de son savoir-faire entre 2000 et 2001. L’entreprise assure le démontage partiel ou total des œuvres, la réfection des parties internes, la reprise des fissures ou des déchirures et l’application de complexes anti-corrosion. Avant l’archange du Mont-Saint-Michel, celui de Saint-Michel-Mont-Mercure a quitté la Vendée pour la Dordogne en 2012. Il a retrouvé son clocher le 29 septembre 2013, jour de la Saint-Michel, devant 20 000 venues célébrer son retour. 8 500 feuilles d’or, pour un poids total de 200 grammes, sont venues recouvrir l’archange au terme de la réfection. Le même enthousiasme a saisi les Tourangeaux lorsque la statue de saint Martin, restaurée et dorée, est venue coiffer à nouveau la basilique de la cité ligérienne.
Fin 2015, les ateliers de la Socra ont restauré la statue équestre de Napoléon Ier conçue par Armand Jules Le Véel (1821-1905) pour la ville de Cherbourg (Manche). Pour retrouver sa patine, le bronze doit atteindre la température de 60°C avant l’application du nitrate de cuivre qui lui donne sa couleur verte. © Socra Partie haute de la statue équestre de Napoléon Ier après restauration. L’Empereur, monté sur son cheval arabe Marengo avec lequel il a combattu à Waterloo, désigne de la main le port militaire de Cherbourg, et non l’Angleterre, comme on le croit souvent. © Socra
Une telle diversification ne saurait faire oublier que la mosaïque fut la raison d’être originelle de la Socra. La Mosaïque aux cervidés du musée d’Art et d’Archéologie du Périgord (MAAP, IVe siècle), est l’une des très nombreuses œuvres restaurées en Dordogne. Dans un tout autre style, les mosaïques parées de scarabées, de frises de lotus, de papyrus et de disques ailés du cinéma parisien Le Louxor (inscrit au titre des Monuments historiques), brillent de nouveau à Barbès grâce à la Socra. Autre champ d’action dans le prolongement des mosaïques, la céramique et les pavements antiques. Loin du Nil, la Socra a envoyé ses collaborateurs en Asie centrale, à Shahrisabz, en Ouzbékistan, entre 2012 et 2013 dans le cadre d’un chantier-école soutenu par l’Unesco. Permettant au palais de l’Ak Saray de retrouver la splendeur passée d’un de ses pavements. Des conservateurs français et des archéologues et muséologues ouzbeks ont restauré ce monument du XIVe siècle. Les carreaux de céramiques glaçurés illustrent le raffinement de l’art timouride.
Au mur, des grotesques ornant habituellement les modillons du Pont Neuf font escorte à la statue de Claus Sluter, grand sculpteur du XVe siècle, auteur entre autres du célèbre Puits de Moïse conservé au Musée archéologique de Dijon. Éric Pallot, ACMH, a assuré la maîtrise d’œuvre pour la restauration de cette statue en bronze d’Henri Bouchard (1875-1960), qui appartient aux collections du musée des Beaux-Arts de Dijon. © Tristan Deschamps
La Socra s’implique également dans le cadre de projets artistiques de création, pour le Louvre ou la Fondation Louis-Vuitton. Les ensembles patrimoniaux comme les grands magasins du Printemps, la Samaritaine ou le palace parisien The Peninsula imposent une approche transversale : tous les métiers de la pierre, de la ferronnerie ou de la mosaïque sont concernés. L’entreprise s’associe dès lors avec les maîtrises d’œuvre et d’ouvrage et tous les partenaires nécessaires à de tels chantiers. En Dordogne, à une autre échelle, l’entreprise a restauré et assaini le cloître de l’abbaye de Cadouin entre 2007 et 2010. Et elle a offert une nouvelle vie aux statues et au mobilier liturgique de la cathédrale Saint-Front de Périgueux (2014), à l’autel en marbre de l’église Notre-Dame de Montcuq, à Belvès (2015), ainsi qu’aux sculptures des façades du château de Montréal à Issac et de l’église de Trémolat (2017).
LA FORCE DE L’ÉMOTION
« Nous sommes périgourdins et il y a un côté affectif à être ici, à Marsac-sur-l’Isle. En revanche, économiquement, cela ne fait pas sens car nous restaurons seulement deux ou trois monuments par an en Dordogne. » Et Patrick Palem de regretter la perte de temps liée aux transports entre Paris et Marsac : « De nombreuses entreprises de restauration en France ont dû mettre la clef sous la porte. Il y a certes moins de concurrence, néanmoins le montant des travaux baisse, tout comme les dotations de l’État et des collectivités. Il devient difficile de gagner de l’argent. » Des sources privées comme le mécénat permettent de pallier les baisses de dotations, inévitables selon le professionnel. Il déplore la complexité du système administratif en matière de répartitions des partenaires, des budgets et des compétences pour la sauvegarde du patrimoine local. « Il y a aujourd’hui un goulot d’étranglement pour les prises de décision, trop longues, en raison de la création des nouvelles régions. »
Cette sculpture de faune en plomb réalisée par Paul Dardé (1888-1963) a séjourné dans les ateliers de la Socra durant l’automne 2016. Le commanditaire, un particulier, a souhaité la faire restaurer avant de l’installer dans l’atelier de Paul Dardé, à Lodève (Hérault), et transformé en résidence d’artistes. © Tristan Deschamps
Au fil de ses trente années d’expérience, Patrick Palem a observé un attachement croissant du public vis -a-vis des métiers d’art et des œuvres qui jalonnent le territoire national. De plus en plus de personnes viennent assister dans un esprit festif aux reposes d’oeuvres, comme en Vendée ou en Touraine. « Les gens sont concernés par le patrimoine. Il existe des amis des monuments, des associations. Les gens s’identifient et les élus ne peuvent qu’adhérer à cet état d’esprit. » La mémoire d’une ville ou d’un village s’incarne à travers un monument, un édifice, d’où l’importance de les préserver. Patrick Palem regrette la saturation des images et le tout numérique en défendant une certaine idée du réel. « Nous n’avons pas les mêmes émotions quand nous visitons un édifice, avec le bruit, les odeurs, les sensations. Quelle que soit la qualité atteinte par la copie d’un monument, en 3D ou pas, l’émotion est difficile à reproduire. » C’est le fragile trésor de cette émotion sur lequel l’entreprise périgourdine veille jour après jour.