Au royaume du cheval fumeux : le haras du Pin

Par Nicolas Chaudun Directeur de la publication

Date de publication : 23/03/2020

Temps de lecture : 7 minute(s)

C’aurait pu être un « bonnet d’âne », un de ces billets d’humeur qui visent l’incurie d’un élu, d’un administrateur, en somme d’un vandale pris d’importance… Malheureusement le haras du Pin, encore qualifié de « national », mais du bout des lèvres, cristallise les rêveries de tant de ploucs et de jobards qu’il eût fallu, pour rendre compte de la gabegie, autant de bonnets à deux oreilles que les hôpitaux ne réclament de masques FFP2. Quel sortilège frappe donc le royaume du cheval fumeux ? Un mauvais sort à la française : une direction tripartite, une gouvernance à six mains, c’est cela, un monstre à trois têtes. L’hydre, quoi.

En 2016, en effet, le haras national du Pin se muait en établissement public administratif (EPA), contrôlé à parts à peu près égales par l’État, la région Normandie et le département de l’Orne. Tandis que valsaient les directeurs du site, que des études successives et sans effets engloutissaient des millions, deux des principaux acteurs de l’établissement, Hervé Morin, président du conseil régional de Normandie, et Alain Lambert, président du conseil départemental de l’Orne, étalaient sans pudeur leur vieille inimitié. L’arrivée de Christophe de Ballore à la tête du département, au printemps 2017, laissait espérer des avancées. Et, de fait, le 12 juillet 2019, un projet de développement du Haras national du Pin plutôt cohérent était présenté au son des buccins par Morin, Ballore et Sébastien Leroux, bombardé « directeur du grand projet du haras du Pin ».

Cohérent, le projet le semble parce qu’il veut tirer parti de l’existant. S’il n’est plus un haras, Le Pin n’est effectivement pas complètement déserté pas les animaux qui l’ont fait. L’École du Pin enseigne avec succès les métiers de la reproduction ; l’hippodrome de la Bergerie accueille bon nombre de réunions ; des infrastructures suffisamment modernisées, dont le fameux parcours de cross en contrebas du château et de ses parterres en terrasses, accueillent des compétitions internationales – le site, choisi pour le championnat d’Europe de concours complet et le championnat du monde de poneys en 2021, attend néanmoins toujours le label olympique pour 2024.

Cohérent, le projet l’est encore parce qu’il prend en compte cette vérité naguère énoncée par Tanneguy de Sainte-Marie, mémoire vivante de l’institution : « le cheval, seul, ne sauvera pas cet exceptionnel domaine. » Imaginez : près de 1 200 hectares de prairie, de bois, de hameaux parfois très pittoresques, ici ou là, des stations d’insectes rares et de petites orchidées sauvages, le tout formant un paysage de rêve, hautement écologique et naturellement… touristique. Pas une éolienne, pas même une décharge. Vous riez ? Mais il y a tout juste cinq ans, y tournait encore un site d’enfouissement de résidus non recyclables, issus du broyage des épaves d’automobiles.

L’ambition de mettre en valeur chaque aspect de ce territoire, d’en rendre accessible chaque repli par des moyens de locomotions respectant sa quiétude, et cela en limitant les équipements criards que suscite immanquablement la fréquentation de masse, tous ces vœux exprimés laissent entrevoir un avenir. Des restaurants, des brasseries, il y en aura, mais là où il y en avait autrefois, la fameuse Auberge du Tournebride, notamment, fermée depuis plus de quarante ans. Et des hébergements, selon le même mode. Oh, l’on prévoit bien des « lodges » et des « cabanes perchées » dans les bois, mais le site est classé, dit-on. L’on se rassure… même si une aire de camping-cars devrait voir le jour (était-ce inéluctable ?).

L’énumération des projets pourrait fonder quelque espoir, mais à cette condition expresse, encore énoncée par l’intarissable Sainte-Marie, qu’on laisse ces activités multiples à des opérateurs dont c’est le métier, et que les politiques comme leurs conseillers en orbite rendent les rênes.

Mais ce qui fâche, en revanche, c’est qu’à aucun moment, depuis la divulgation du projet, il n’a été question du patrimoine « historique ». Ah si, une fois, au détour de cette phrase qui laisse rêveur : « le château sera réaménagé pour proposer des salles de réception qualitatives ». Comme si les salles d’une grande demeure du XVIIIe siècle n’offraient pas de qualités suffisantes ! Comme si cette même demeure, dont les plans avaient été jetés par Robert de Cotte, beau-frère et successeur de Jules Hardouin-Mansart, ignorait ce que réception veut dire ! Or le château est en triste état. Et, forcément, les écuries aussi ; celles des « grands » comme des « petits » chevaux… Et préserver intactes les écuries qui n’ont pas été avilies par un musée indigent ou une boutique sans surprises pose un problème insoluble : les mettre aux normes, pour y accueillir à nouveau des chevaux, ruinerait leur dispositif historique.

Invité à s’exprimer le 18 mars 2020 sur l’évolution du site, Sébastien Leroux est resté muet à ce sujet. Il n’a rien dit non plus du financement des travaux ni même de leur programmation dans le temps. Le projet présenté l’été dernier prévoyait pourtant « une définition des programmes […] et des plans de financement » début 2020 au plus tard. Seule nouveauté, une évocation de partenariat avec le château de Versailles, dans la perspective d’expositions communes, ce que confirme Thierry Gausseron, administrateur du domaine de Versailles, mais sur un mode moins claironnant, évoquant des facilités de visites du palais de Louis XIV aux écoliers de l’Orne ou des « collaborations scientifiques » entre les deux institutions… Quant aux expositions… Et puis, quel genre d’expositions ? Quelle qualité d’œuvres ? Et provenant de quels fonds ? Quel espace, au haras, serait-il d’ailleurs assez sécurisé pour proposer des expositions de qualité ? Pas plus que Rio à nos services secrets, Versailles ne répond.

Le confinement ne frappe pas que les hommes, apprend-t-on en ces jours mornes, il retient également les idées, les volontés. Jean de La Varende avait écrit : « Maintenant, si les dénigreurs s’en prennent au luxe apparent, à la tenue générale, à ce qui choque l’envieux et le croquant dans un établissement comme le Pin, nous diront qu’il y a là une question de prestige national ; qu’aussi il s’y voit une nécessité d’exemple et d’éducation générale ; qu’en plus, l’éclat, le bon ordre, dès qu’on s’occupe du cheval, la beauté, la netteté, la couleur interviennent et s’imposent. Plus encore, une qualité humaine semble sourdre des qualités animales. La beauté, la générosité s’intègrent à l’homme. » C’est de tout cela qu’il faudra répondre, et vite, lorsque l’extinction du méchant virus nous rendra au grand air.

Partager sur :