Architecture contemporaine remarquable, maisons des illustres, jardin remarquable, ville et pays d’art et d’histoire, patrimoine européen… L’occasion de rencontrer ces estampilles au cours de nos pérégrinations culturelles va croissant. De fait, le ministère de la Culture n’attribue désormais pas moins de cinq labels patrimoniaux, sans compter ceux décernés par les organismes privés. À quoi servent-ils exactement ? Et pourquoi se sont-ils multipliés ?
Si les labels décernés par l’État trouvent leur origine dans la création des « Villes et Pays d’art et d’histoire », en 1985, force est de constater que le phénomène a pris de l’ampleur dans les années 2000. Conséquence de l’extension permanente de la notion de patrimoine et du besoin toujours plus grand d’identifier et de le mettre en valeur, la prolifération des labels interroge, jusque dans le monde de la recherche, comme en témoignent les colloques organisés à Clermont-Ferrand en 2011 ou à Orléans en 2016.
À la création de l’Inventaire général, en 1964, André Chastel considérait que cette notion devait couvrir « du patrimoine à la petite cuillère ». Un long chemin parcouru depuis 1790, quand Aubin-Louis Millin fut l’un des premiers à employer l’expression « monument historique » pour désigner un élément fixant, illustrant ou précisant l’histoire nationale. Des enjeux beaucoup plus larges, où le rôle des labels n’est pas anodin, sont dorénavant convoqués, à l’image de l’aménagement urbain ou du développement touristique.
L’éclectique quartier de La Havane, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), rassemble des villas de la fin du XIXe siècle. Il a résisté aux bombardements de la Seconde guerre mondiale. © Ville de Saint-Nazaire Le port et le pont de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Ce dernier a été mis en service en 1975. © Ville de Saint-Nazaire Dans son dossier de candidature au label « Villes et Pays d’art et d’histoire », la ville de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) a notamment mis en avant le patrimoine lié à la Reconstruction. © Ville de Saint-Nazaire
« Je ne savais pas que c’était aussi exigeant », reconnaît Emmanuel Mary, chargé de mission patrimoine à la Ville de Saint-Nazaire, qui a participé à la constitution du dossier de candidature au label « Villes et Pays d’art et d’histoire », soit deux ans de travail et plus de 300 pages. Après un passage devant le Conseil national des Villes et Pays d’art et d’histoire le 4 décembre 2019, Franck Riester, ministre de la Culture, a finalement décidé que la ville portuaire ferait bien partie des 202 territoires labellisés. Pour Emmanuel Mary, ce lourd dossier, qui n’est rien moins que la formulation d’une politique globale du patrimoine, n’est toutefois pas le seul objet de la reconnaissance de l’État.
Le label est un aboutissement car le projet nazairien est issu d’une lente maturation. Jean-Jacques Lumeau, adjoint à la culture de la Ville, rappelle que la sollicitation du label figurait dans le programme de la liste conduite par le maire David Samzun, lors de l’élection municipale de 2014. Elle s’inscrivait dans la continuité d’un travail de longue haleine autour des patrimoines de la ville, accompagné par un tissu associatif dense. Ces démarches avaient déjà permis la redécouverte et l’appropriation d’un patrimoine parfois insoupçonné, relatif à la Reconstruction mais aussi à l’architecture Art déco, à des espaces naturels préservés et à un patrimoine culturel immatériel généré par l’industrie navale. Le moment était donc venu pour les élus d’obtenir la reconnaissance par l’État de cette politique ambitieuse qui serait aussi un encouragement à poursuivre leurs efforts.
L’obtention du label « Villes et Pays d’art et d’histoire » implique la mobilisation d’une partie du budget de la collectivité. La métropole Rouen Normandie consacre ainsi 101 000 euros par an rien que pour l’embauche de guides conférencier (41 000 euros) et le développement de différents projets comme les Journées du patrimoine (60 000 euros). Ces sommes, d’une faiblesse relative, pourraient toutefois freiner des collectivités plus modestes, d’autant que, comme le signale Jean-Jacques Lumeau, le patrimoine est un domaine si transversal qu’il est difficile de comptabiliser tous les fonds qui lui sont consacrés.
Les labels ne peuvent toutefois pas être présentés comme une simple charge. Et l’on ne peut manquer de remarquer la détermination des candidats pour les obtenir. La plupart de ceux décernés par l’État (Architecture contemporaine remarquable, Maisons des illustres, Jardin remarquable, Villes et Pays d’art et d’histoire, Patrimoine européen) prévoient un accompagnement des directions des affaires culturelles (Drac) qui fournissent des financements et surtout une expertise et une méthodologie précieuses. Véritables marques de qualité d’un lieu à visiter, les labels sont aussi d’excellents outils de communication, dans un contexte de marketing territorial exacerbé, ainsi que d’intéressants moteurs de constitution d’identités locales. Maire de Pontivy et présidente de Pontivy Communauté (Morbihan), Christine Le Strat déclarait ainsi à la presse locale, en janvier 2020, que le travail aboutissant à l’obtention du label « Pays d’art et d’histoire » pour le pays des Rohan « a permis de réfléchir sur l’identité partagée des communes ».
Les jardins du château de Silières, à Cohons (Haute-Marne), sont titulaires du label Jardin remarquable. © Bernard Galéron Les jardins du château de Bournel, dans le Doubs, classés Jardin remarquable. © Bernard Galéron Abri végétal dans les jardins de l’ancienne abbaye de Combelongue (Ariège), classés Jardin remarquable. © Éric Sander
Mais alors pourquoi l’État consacre-t-il une place majeure aux labellisations dans sa politique culturelle et patrimoniale ? Parce que le label incite des acteurs en quête de reconnaissance à mettre en place des actions sans que l’État n’intervienne directement. Les détenteurs du label « Jardin remarquable » s’engagent par exemple à préserver des jardins et des parcs qui présentent un intérêt culturel, esthétique, historique ou botanique. Le ministère de la Culture, en maîtrisant la procédure d’attribution, peut ainsi guider les acteurs privés ou les collectivités territoriales dans ce qu’ils entreprennent en matière patrimoniale et valoriser les meilleures pratiques. Lors de l’annonce des nouveaux labellisés « Villes et Pays d’art et d’histoire », en janvier 2020, Franck Riester a insisté sur le lien entre patrimoine et création contemporaine ainsi que sur la nécessité de valoriser le patrimoine récent. Les grands traits de la politique du gouvernement orientent donc l’attribution de labels. Cette mise en œuvre par acteurs interposés sera perçue par certains comme un dessaisissement de l’État alors qu’il s’agirait, au contraire, d’une nouvelle manière d’agir plus intelligente.
Les grands traits de la politique du gouvernement orientent l’attribution de labels.
Les labels sont en effet des vecteurs d’innovation pour la conservation du patrimoine. Ils génèrent une circulation d’expériences et de bonnes pratiques grâce à la constitution de réseaux. Les gestionnaires de « Maisons des illustres » ont ainsi la possibilité de dialoguer entre eux, comme lors de la journée professionnelle organisée en Ile-de-France en juin 2019. Cette dernière a permis de réfléchir à différentes thématiques propres à ces édifices, comme les restaurations ou encore les commémorations liées à leurs anciens habitants.
Parmi les actions encouragées par les labels, l’implication de chaque acteur, en partant du public, est fondamentale. L’obtention de l’une de ces distinctions est l’occasion de révéler la qualité patrimoniale d’un lieu en développant des dispositifs de médiation auprès de la population et des visiteurs. La Ville de Troyes, depuis qu’elle est devenue « Ville d’art et d’histoire » en 2010, fait ainsi preuve d’un certain dynamisme pour la promotion de son patrimoine. Création d’un site internet, visites guidées et ateliers pédagogiques pour le jeune public, le service troyen de l’animation du patrimoine fait feu de tout bois pour remplir sa mission et respecter les engagements de la commune.
L’Harmas du célèbre naturaliste Jean-Henri Fabre, à Sérignan-du-Comtat (Vaucluse), possède le label Maison des Illustres. © Michel Vialle Dans l’appartement-musée du philosophe Auguste Comte, situé rue Monsieur-le-Prince à Paris et qui possède le label Maison des Illutres. © Isabelle Picarel Détail du décor extérieur de la Villa Lumière, à Lyon (Rhône), inscrite sur la liste des Maisons des illustres. © Bernard Galéron
L’obtention d’un label donne lieu à la signature d’une convention entre le ministère de la Culture et le détenteur, document où se concentrent tous les enjeux. Le droit souple, non contraignant, a donc gagné la politique de protection du patrimoine. Jusqu’à présent, cette dernière s’articulait principalement autour de la protection au titre des Monuments historiques, décision contraignante qui constitue une servitude d’utilité publique. Le dispositif de contractualisation sur lequel s’appuient les labels confère en revanche un rôle essentiel au propriétaire du patrimoine, et tend à le responsabiliser. « L’État n’est pas venu nous dire : “Nous allons vous labelliser” » reconnaît Jean-Jacques Lumeau, affirmant ainsi l’importance d’une démarche ascendante.
Ces dispositifs ne prévoient pas d’intervention de la puissance publique, ce qui fait leur force mais également leur faiblesse. Le label « Architecture contemporaine remarquable », qui distingue les immeubles de moins de cent ans présentant un intérêt architectural ou technique, a ainsi vu sa capacité à protéger ces biens être sérieusement mise en doute. Plusieurs affaires de dénaturation, voire de destruction, ont en effet surgi, à l’instar du démantèlement récent de bâtiments conçus par Jean Prouvé à Saint-Michel-sur-Orge (Essonne). L’exemple nazairien est là encore pertinent, la ville comptant sept édifices labellisés. Pour Jean-Jacques Lumeau et Emmanuel Mary, l’efficacité de la labellisation réside dans sa capacité à amener la population à découvrir et à prendre conscience de la valeur d’un patrimoine parfois négligé. En outre, si l’intérêt architectural est menacé, la puissance publique peut utilement classer ou inscrire le bien.
L’État est néanmoins loin de détenir un monopole sur l’attribution des labels. D’autres organismes ont fait de ces reconnaissances un moyen d’intervention parallèle, dans un secteur où, en France, l’action publique est centrale. Ainsi l’association VMF, depuis 1967, décerne le label « VMF – Patrimoine historique ». Une manière pour les VMF de souligner l’intérêt architectural d’édifices pas encore protégés au titre des Monuments historiques. La sélection opérée par l’association est aussi exigeante que celle pratiquée par l’État. Et une telle appellation permet de créer un autre système de légitimation, complémentaire de celui mis en œuvre par la puissance publique. Les VMF insistent sur le fait que l’obtention de leur label constitue un tremplin vers le classement ou l’inscription.
Il s’agit donc d’une action anticipant, dans une certaine mesure, celle du ministère de la Culture. La Fondation du patrimoine décerne elle aussi un label aux biens non protégés, offrant aux propriétaires des déductions fiscales pour les restaurations, dans une coopération affirmée avec la puissance publique. La capacité de certains acteurs privés à décerner leurs propres distinctions, et ainsi à détenir une légitimité suffisante pour reconnaître l’intérêt d’un bâtiment, ne manque pas d’interroger sur leur place dans le système patrimonial mais également, in fine, sur celle de l’État.
Différents niveaux de protection ou de mise en valeur du patrimoine peuvent permettre de cerner les spécificités de chaque type de bien.
La demande de patrimoine émanant du public et le besoin de reconnaissance des différents acteurs du secteur patrimonial ont rendu nécessaire la mise en place de dispositifs de mise en valeur et de protection du patrimoine. Or, ces missions ne peuvent être uniquement absorbées par la protection au titre des Monuments historiques. Réservée aux « immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public » selon la loi de 1913, et lourde de conséquences, une telle protection s’avère inadaptée pour certains édifices qui méritent tout de même d’être distingués. La solution pourrait donc se trouver dans le recours à la contractualisation par l’intermédiaire des labels, à la faveur d’une protection plus souple que celle des Monuments historiques tout en signalant l’intérêt patrimonial du lieu. Différents niveaux de protection ou de mise en valeur du patrimoine peuvent permettre de cerner les spécificités de chaque type de bien. Chacun fonctionnant selon son propre système et ses propres normes, le risque étant toutefois de voir naître des disparités selon le patrimoine protégé.
Escalier principal de l’immeuble Gloria Mansions, bâti à Nice (Alpes-Maritimes) entre 1932 et 1934. L’ensemble est détenteur du label « Architecture contemporaine remarquable ». © Michel Vialle Luminaire Art Déco de la célèbre bibliothèque Carnégie, à Reims (Marne), titulaire du label « Architecture contemporaine remarquable ». © Pascal Stritt La Maison Rouge, construite à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) en 1911 par l’architecte Edmond Durandeau, a reçu le label « Architecture contemporaine remarquable ». © Bernard Galéron
Les labels sont désormais incontournables et ont montré leur utilité pour le patrimoine. Sans représenter la panacée, ils peuvent permettre une gestion plus efficace des protections et ainsi renforcer les Monuments historiques. Dans la loi LCAP de 2016, la modernisation du droit du patrimoine passe notamment par la création d’un label intitulé « Centre culturel de rencontre ». Chaque label possède une démarche et des finalités différentes qui reposent sur une relation d’échanges, de confiance et de responsabilité entre le détenteur et l’autorité émettrice. Elle est primordiale pour que les objectifs initiaux soient respectés et ne soient pas dévoyés en de simples outils de communication. La rigueur imposée par les procédures d’attribution puis par celles de conservation d’un label, qu’il émane de l’État ou d’organismes privés, permet largement d’évacuer une potentielle utilisation subversive.
Chaque label possède une démarche et des finalités différentes qui reposent sur une relation d’échanges, de confiance et de responsabilité entre le détenteur et l’autorité émettrice.
La véritable limite des labels tient aujourd’hui à la faiblesse des indicateurs permettant de les évaluer. Il est en effet nécessaire de connaître leur impact sur la protection et la connaissance du patrimoine, de savoir s’ils permettent de développer des synergies positives entre l’organisme qui les décerne et leurs détenteurs ainsi que leur visibilité auprès du public. Seconde limite : la cacophonie qui pourrait résulter de leur prolifération. Une uniformisation s’avère nécessaire et la présence de standards dans l’attribution de chacun est un impératif, faute de quoi de tels dispositifs perdent toute efficacité. Enfin, une réflexion doit également être menée au sujet de la complémentarité entre les différents outils de connaissance et de protection de notre patrimoine que sont les labels, les Monuments historiques et l’Inventaire général du patrimoine culturel. D’autres labels naîtront dans les prochaines années et doivent continuer à interroger la capacité de notre système à appréhender et protéger de manière satisfaisante tous les patrimoines.