Depuis 31 ans, l’atelier de Ricou se consacre à la création de décors peints et à la restauration de peintures et d’éléments sculptés pour les monuments historiques. Stéphanie et Cyril de Ricou, entourés d’une équipe de spécialistes, œuvrent à réveiller l’esprit de lieux souvent prestigieux. Rencontre avec deux esthètes passionnés et passionnants.
C’est une passion commune pour les techniques picturales qui a réuni Cyril et Stéphanie de Ricou, dans la vie comme à l’atelier. La grammaire particulière du décor, ils l’ont apprise auprès de deux personnalités du monde de l’art : Cyril a fait ses gammes avec Michel Bourbon, restaurateur d’œuvres d’art, pensionnaire à la Villa Médicis, et Stéphanie aux côtés de la décoratrice de théâtre italienne Lila De Nobili, qui a travaillé notamment avec le réalisateur Luchino Visconti. Lors de cette période d’apprentissage, complétée respectivement par des études en peinture à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et un diplôme de l’Institut de peinture décorative Van Der Kelen, à Bruxelles, ils ont notamment développé une connaissance fine et intuitive des pigments. Smalte, minium, cinabre, malachite…. Près de 400 poudres colorantes, glanées au gré de leurs voyages, sont conservées précieusement dans de petits pots dans une pièce de l’hôtel de Guines, leur maison-atelier située à Courbevoie.
« Les décors évoluant avec la mode, la peinture originale est en général recouverte de plusieurs couches de repeints, blanc légèrement gris au XVIIIe siècle ou gris foncé au XIXe », explique Cyril de Ricou. Et l’étape du dégagement, par laquelle débutent souvent les chantiers de restauration, réserve parfois de bien belles surprises. Ainsi, au château d’Asnières (Hauts-de-Seine), ont été mises au jour dans l’antichambre de Madame des peintures en grisaille du XVIIIe siècle réalisées par l’artiste italien Paolo Brunetti. S’il arrive que le décor ait disparu, il reste toujours son fantôme, c’est-à-dire un dessin gravé sur le mortier, comme ce fut le cas à l’hôtel Richer de Belleval à Montpellier.
Des chantiers d’envergure
En 1989, Stéphanie et Cyril de Ricou montent leur atelier spécialisé dans la création de décors peints et la restauration de peintures et d’éléments sculptés pour les monuments historiques. Leur premier chantier fondateur, la restauration des repeints de la coupole de la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Roch, à Paris, réalisée au XVIIIe siècle par Jean-Baptiste Pierre, premier peintre de Louis XV, constitue un challenge technique de taille. Cette grande composition peinte à l’huile sur lés de toiles marouflées était sérieusement altérée par des restaurations successives. Cyril de Ricou a élaboré une méthode spécifique pour harmoniser chromatiquement les repeints du XXe siècle, devenus irréversiblement foncés et illisibles, avec la peinture originale plus claire du XVIIIe, tout en respectant le dessin.
Trente ans plus tard, l’atelier de Ricou a agrégé une « tribu », composée de spécialistes très pointus en restauration, dorure et reconstitution d’éléments sculptés. Cette équipe aguerrie est intervenue récemment à l’hôtel Lutetia sur la restauration de plusieurs décors peints et notamment ceux ornant le salon Borghèse, devenu bar Joséphine. Plus de 10 000 heures de travail ont été nécessaires pour retirer au bistouri, millimètre carré par millimètre carré, plusieurs couches picturales afin de mettre au jour une œuvre gigantesque d’Adrien Karbowsky, réalisée en collaboration avec Gustave Louis Jaulmes, comme lui ancien élève de Puvis de Chavannes. « Il ne restait de la fresque que des fragments dans un état lacunaire et dégradé. Nous l’avons consolidée et retouchée comme un puzzle dont on aurait perdu la moitié », raconte Stéphanie de Ricou.
Ces dernières années, l’atelier de Ricou a été mobilisé sur plusieurs chantiers de restauration majeurs : la salle des gardes du grand appartement de la reine et du salon de la Paix au château de Versailles, les salons d’apparat de l’hôtel Richer de Belleval à Montpellier ainsi que l’appartement de l’intendant du garde-meuble royal à l’hôtel de la Marine. Ce dernier appartement constitue. un des rares témoignages à Paris d’un ensemble conçu et orné selon les usages du XVIIIe siècle.
Dans les règles de l’art
Restaurer le dialogue entre le décor et l’architecture dans lequel il s’inscrit, telle est la philosophie de Stéphanie et Cyril de Ricou. Les grands décors, que ce soit un badigeon sur un mur de château ou les marbres polychromes du salon de la Paix au château de Versailles, participent à l’harmonie d’un bâtiment. S’ils concèdent volontiers être puristes, les Ricou sont avant tout guidés par le souci de comprendre la technique pour la reproduire dans les règles de l’art, tout en veillant bien sûr à la réversibilité de leur action. « Il ne faut jamais se prendre pour un peintre quand on restaure, prévient Stéphanie de Ricou. Une fois nettoyée et mise au jour, une œuvre doit être replacée dans son contexte architectural. Il s’agit de comprendre ce qui a été fait, pourquoi nous intervenons et comment nous allons procéder. » Et Cyril de Ricou d’ajouter : « Pour garder l’écriture et la cohérence d’un décor, il est important de réutiliser la technique native. »
Ainsi, au Palais-Royal, lors de la restauration des décors du bureau du président du Conseil constitutionnel, ancienne chambre à coucher de la princesse Marie-Clotilde de Savoie, épouse de Jérôme Bonaparte, il a restitué certains éléments en carton-pierre, matériau léger et souple pouvant épouser la forme d’une voussure. « Cette technique est aujourd’hui perdue. J’ai donc expérimenté différentes recettes, souvent empiriques au XVIIIe siècle, les ingrédients utilisés tels que la pâte à papier, le blanc de Meudon et la colle de peau de lapin étant rarement purs comme aujourd’hui », raconte-t-il.
Stéphanie et Cyril de Ricou semblaient prédestinés à vivre et travailler à l’hôtel de Guines. Cette demeure du XVIIIe siècle, propriété du sculpteur et ornemaniste Jean-Baptiste Boiston (1734-1814), dispose en effet dans son grand salon d’un extraordinaire décor polychrome stuqué d’époque Louis XVI. Depuis 10 ans, le couple restaure les décors intérieurs des salons classés de l’hôtel particulier, avec humilité, rigueur et intégrité, qualités développées auprès de leurs mentors respectifs.
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