Les travaux pour achever la colossale entreprise de restauration de l’un des plus beaux hôtels particuliers parisiens ont repris progressivement, dès le 11 mai 2020. Mais avec seulement 86 compagnons, au lieu des 450 prévus courant avril, difficile de dire aujourd’hui quand pourra être inauguré le nouvel Hôtel de la Marine. Pas avant 2021, assurément ! Qu’importe, il deviendra rapidement l’une des curiosités patrimoniales majeures de la capitale, offrant depuis sa majestueuse loggia la plus belle vue qui soit sur la place de la Concorde, œuvre de Ange-Jacques Gabriel dans les années 1760. Pour border de sa superbe la nouvelle place royale aménagée pour Louis XV, avec son pendant à l’ouest : l’Hôtel de Coislin (résidence privée), l’Automobile Club de France et l’Hôtel de Crillon.
Monument complexe, aux mille vies, l’hôtel parisien a abrité l’ancien Garde-Meuble de la Couronne puis, longtemps, les bureaux de la Marine nationale. « Plus témoin qu’acteur », comme aime le préciser Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN), finalement affectataire de ce joyau après maintes polémiques liées à plusieurs tentatives infructueuses de le céder au privé, suite au départ de l’état-major de la Marine vers le quartier Balard en 2015. Pour mener à bien le chantier, le CMN a contracté un emprunt à hauteur de 80 millions (sur les 130 millions estimés avant la crise sanitaire), remboursé par la mise en location d’une aile de bureaux (sur le versant nord du quadrilatère) attribuée à Morning Coworking, spécialiste de la location de bureaux partagés.
La partie publique sera articulée autour de la cour d’honneur, bordée de plusieurs espaces de restauration très haut de gamme et rouvrant les circulations depuis la rue Royale, et de la cour de l’Intendant, aujourd’hui couverte d’une stupéfiante verrière signée Hugh Dutton. Ce joyau technologique facetté redonne de la lumière à un espace longtemps resté très sombre et, surtout, restitue les élévations d’origine, en dissimulant le disgracieux attique du XIXe siècle.
C’est de là que partiront les circuits de visite, qui permettront de déambuler dans les anciens appartements, alternance de décors XVIIIe et XIXe, judicieusement restaurés sans pour autant être refaits à l’identique, sous la direction de l’architecte en chef des Monuments historiques Christophe Bottineau. Y sera évoquée l’histoire de l’ancien Garde-Meuble, où furent conservés et exposés, entre 1774 et 1789, meubles, objets d’arts et joyaux des collections royales, et de celles de certains intendants. En particulier du libertin Fontanieu, qui décora un cabinet des glaces de danseuses nues, repeintes à la demande de la femme de son successeur, Marc-Antoine Thierry, baron de Ville-d’Avray.
Un grand nombre de dépôts de meubles (dont quelques trésors de Riesener) et d’objets conservés dans divers musées nationaux (Sèvres, Versailles, Louvre…) augmenté de quelques acquisitions du CMN permettront de reconstituer l’art de vivre au XVIIIe siècle. Également évoquée, la Marine, installée officiellement en 1798, avec ses galeries des ports de France et de portraits d’amiraux célèbres. Les galeries nord seront quant à elles dévolues à la présentation des trésors des civilisations antiques de la collection Al Thani : 150 objets sur les quelque 7 000, selon un accord permettant d’apporter un concours financier substantiel à la restauration. Nul doute que le triangle d’or parisien retrouvera, grâce à l’Hôtel de la Marine restauré et rouvert au public, un réel lustre patrimonial !