Flèche de Saint-Denis : les bâtisseurs à l’ouvrage

Par Agathe Archambault

Date de publication : 17/06/2020

Temps de lecture : 5 minute(s)

« Ce n’est pas la simple restauration d’un patrimoine, on veut aussi la faire vivre aux gens ». À Saint-Denis, au pied de la basilique a pris place une petite troupe de passionnés qui, à l’ombre de leurs cabanes en bois, mijotent un grand projet …  « On a tout ce qu’il faut pour remonter la flèche ! » s’exclame Benjamin Masure, chef de projet de l’association « Suivez la flèche ».

La flèche en question ? Celle de la tour nord de la fameuse nécropole des rois de France, 90 mètres de haut et 2 400 tonnes de pierre. Véritable chef-d’œuvre d’architecture gothique qui durant plus de sept siècles a dominé l’Ile-de-France. Fragilisée par un ouragan, elle avait dû être démontée au milieu du XIXe siècle, pierre par pierre.

Aujourd’hui, c’est pierre par pierre que l’association Suivez la flèche veut la remonter. Et comme si ça ne suffisait pas, ils veulent utiliser les mêmes techniques que les bâtisseurs de cathédrales qui l’ont faite sortir de terre au XIIe siècle. Pas de chronomètre heureusement pour eux, contrairement à la flèche de Notre-Dame, avec un chantier qui devrait s’étaler sur dix ans « au minimum ». En commençant par des fouilles archéologiques sous la tour nord à l’endroit où vont être ajoutées de nouvelles fondations. Car pour la coiffer à nouveau de sa flèche la belle doit être au préalable consolidée. « Un coulis qui va servir de liant va être injecté dans les murs de la Basilique pour les renforcer » explique Benjamin Masure à la dizaine de personnes inscrites aux ateliers participatifs installés dans le petit parc qui jouxte l’édifice. Au programme : découverte des métiers de forgerons et de tailleurs de pierre, avec des exercices pratiques !

La basilique est à l’origine de la ville, elle fait partie de notre ADN. 

Benjamin Masure

« Cloutier, fourbisseur, tréfileur … La forge c’est plein de métiers différents ! » explique Mathieu, forgeron de 34 ans qui a fait ses armes sur le chantier médiéval de Guédelon avant de s’embarquer sur le projet de Saint-Denis. « C’est chaud ? » lance t-il à son comparse qui vient tout juste d’obtenir son diplôme de ferron et qui attise le soufflet sur les braises du foyer. Le fer rougi est ensuite retiré du feu à l’aide d’une pince, maintenu sur l’enclume et frappé en cadence par les marteaux des deux forgerons.  « En ce moment c’est la taillanderie qui nous occupe, c’est à dire qu’on fabrique tous les outils qui vont être nécessaires au chantier ». Broche, ciseau, pic-taillant, chasse … tous façonnés d’après des enluminures médiévales.

« Tu veux qu’on te jette des pierres ? » lance en plaisantant Frédéric Thibault, l’un des deux tailleurs installé dans le cabanon juste en face de la forge. Suite de la visite dans leur petit atelier, où pour l’instant on teste les outils et on sélectionne le type de pierre qui va être utilisé pour telle ou telle partie de l’édifice. « Ça fait 25 ans que je restaure Paris » explique Délivrance Makingson, l’autre tailleur de l’association qui déroule un CV impressionnant : Pont-Neuf, Versailles, Louvre, Bastille, Notre-Dame… Une vie à sculpter les pierres pour ce passionné dont le père possédait une carrière en Haïti.  Après quelques explications sur les pierres utilisées au Moyen Âge, direction un troisième cabanon où les visiteurs peuvent à leur tour s’improviser tailleurs. Ciseau et massette en main, chacun peut laisser libre cours à sa créativité sur un petit bloc de pierre, avec l’aide de Délivrance et Frédéric qui dispensent conseils et ficelles du métier. « La taille de pierre c’est la géométrie et la magie de la lumière…»

Des ateliers estivaux que les ouvriers conçoivent comme une sorte de répétition générale avant le lancement de la restauration en 2022. Un chantier qui se veut donc d’abord « pédagogique » et dont l’ouverture au public sera partie prenante d’un modèle économique innovant, dans lequel le billet d’entrée finance directement la restauration. Rampe, ascenseur et belvédère permettront d’approcher le chantier au plus près, et même de « discuter avec les ouvriers en plein travail ». Ils seront alors huit tailleurs de pierre et quatre forgerons à travailler à temps plein sur le chantier, assistés d’une armée de médiateurs chargés d’expliquer ces techniques d’un autre temps aux touristes et visiteurs curieux de les découvrir en live. Mais aussi et surtout aux dionysiens, précise Benjamin Masure qui veille à l’ancrage local du projet : « La basilique est à l’origine de la ville, elle fait partie de notre ADN. »

« Les ateliers de la flèche », de juin à octobre 2020 à la basilique de Saint-Denis, accessible gratuitement sur réservation.

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