La commission nationale du patrimoine et de l’architecture s’est réunie le 9 juillet 2020. À l’ordre du jour notamment, l’examen de l’étude et le projet de restauration de Notre-Dame de 3 000 pages réalisés sous la direction de l’architecte en chef des Monuments historiques Philippe Villeneuve. De passionnants et riches débats ont permis de fixer les grands axes de la restauration du monument parisien abimé par les flammes au printemps 2019, validés au sommet de l’État le soir même. Récit et point de vue de Philippe Toussaint, président de l’association VMF et membre de ladite commission.
Pouvez-vous nous raconter votre journée du 9 juillet 2020 ?
Cela a été une journée très particulière, à plus d’un titre. J’ai assisté à la réunion de la 3ème section de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA), intitulée « Projets architecturaux et travaux sur immeubles ». Une vingtaine de personnes y participaient : le sénateur Jean-Pierre Leleux, président de la commission, Mme Constance Le Grip, députée, M. Grasser, adjoint au maire d’Epinal, divers experts et spécialistes des monuments historiques ainsi que les représentants de quatre associations de défense du patrimoine et de l’environnement – La Demeure historique , Rempart, Sites & Monuments et les VMF. Le programme de la matinée était dévolu à la création de nouveaux vitraux dans la cathédrale de Metz et au sauvetage du château de Lignières (Cher). La nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot est venue ouvrir la séance et encourager la commission, démarche assez rare pour être soulignée. Et tout l’après-midi a été consacré au projet de restauration de Notre-Dame.
De quelle manière se sont déroulés les échanges au sujet de la cathédrale parisienne ?
La première phase a consisté dans la présentation des études et du projet de restauration menés par les maîtres d’œuvre, les architectes en chef des Monuments historiques Philippe Villeneuve et ses deux associés, Rémi Fromont et Pascal Prunet. La documentation rassemblée est à tout point de vue exceptionnelle, je tiens à insister sur ce point. Elle a démontré, s’il était besoin, qu’il faut toujours se replonger dans l’Histoire ! Après avoir parcouru les huit siècles de vie de Notre-Dame de Paris, nous sommes revenus sur les grands monuments historiques qui ont été victimes d’incendie par le passé puis restaurés. Soit six cathédrales depuis la Révolution (Rouen, Chartres, Metz, Reims, Soissons, Strasbourg), ainsi que le parlement de Bretagne à Rennes (en 1994) et le château de Lunéville (2003). Naturellement, la prise en compte des techniques de restauration mises en œuvre dans chacun de ces chantiers post-incendie, ainsi que des analyses dont elles ont pu faire l’objet a posteriori, est très enrichissante. Ces données seront précieuses à l’élaboration du projet de restauration de la cathédrale parisienne. Enfin, une évaluation assez fine des dégâts causés par l’incendie a été présentée. Elle devra être complétée quand l’échafaudage surplombant le transept aura été démonté et que les voûtes pourront être examinées de près.
Quel était l’enjeu de cette réunion ?
Les trois questions à l’ordre du jour étaient : Quelle charpente choisir ? quelle couverture ? et quelle flèche ? Je me permets de rappeler à ce sujet que la question du parti à prendre a été posée dès le soir de l’incendie, par le Président de la République lui-même, puis peu après par son premier ministre, Édouard Philippe. À l’époque, j’avais fait campagne pour que la CNPA se réunisse très vite et qu’elle se positionne à ce sujet. Nous nous sommes effectivement tous retrouvés au début de l’été 2019, et avons demandés aux architectes en chef des Monuments historiques affectés à Notre-Dame de dresser un état des lieux précis de la situation, et d’avancer des partis pris de restauration argumentés. C’est cette évaluation qui a été présentée et discutée lors de la commission du 9 juillet 2020.
Quelles décisions y ont été prises ?
Après avoir été longuement discuté dans ses différents axes et ses principales directives, le parti proposé a été approuvé à l’unanimité. Il ne s’agit pas d’une reconstruction – l’essentiel de la cathédrale, tours, nef, orgue, rosaces, étant intact –, mais d’une restauration qui respecte l’extraordinaire travail des bâtisseurs médiévaux remis en valeur par Viollet-le-Duc, à la faveur des matériaux d’origine. En l’occurence une charpente et une flèche en bois, et une couverture de plomb. S’agissant de la flèche, il est important de rappeler que lorsqu’elle a été reconstruite par Viollet-le-Duc, au XIXe siècle, la voûte du transept avait été démontée à cet effet. Nous sommes aujourd’hui dans une situation bien différente : une partie de la voûte a été détruite suite à l’effondrement de la flèche, configuration qui aura des répercussions dans le calendrier des travaux de sa reconstruction. L’échelonnement des travaux reste à affiner et à programmer dans le détail.
La charpente a-t-elle suscité des débats ?
Au sein de la commission, non. Le parti du bois l’a emporté à l’unanimité. On peut en effet parfaitement trouver le bois nécessaire à cette charpente. C’est de surcroît le matériau le plus durable : la charpente disparue était en excellent état, 800 ans après sa pose ! De plus, il est apparu dans l’étude que le chêne vert a souvent été utilisé, au fil des siècles, taillé à la hache dans le sens du fil (c’est-à-dire des fibres). Un tronçon bien coupé est ainsi susceptible de se transformer en poutre en une semaine ! Notons au passage que la charpente ne sera pas nécessairement reproduite à l’identique. Celle qui a brûlé présentait des repentirs, conséquences de diverses interventions menées au cours des siècles, dont la reproduction n’aurait pas de sens. Il doit s’agir d’une restitution intelligente et non d’une restitution à l’identique stricto sensu.
L’usage du plomb a-t-il fait polémique ?
Non, pas plus que le bois pour la charpente, le plomb pour la couverture n’a fait l’objet de la moindre réserve. Entre 1830 et 1860, le plomb a été posé en bandes horizontales. Viollet-le-Duc a cependant fait le choix de couvrir la cathédrale de bandes verticales, pour souligner le mouvement ascendant impulsé par la flèche. La restauration devra conserver ce parti-pris intelligent et historique. Par ailleurs, l’étude dirigée par Philippe Villeneuve a établi que le plomb de la couverture avait surtout encombré les descentes d’eau, en s’y écoulant et en s’y solidifiant, et qu’il s’était très peu évaporé dans l’air…
Et la flèche, qui a fait tant parler d’elle ?
Le fait de restituer la flèche dans l’état de Viollet-le-Duc fait consensus. La discussion a porté sur d’autres éléments, historiques et contextuels, dont il faudra absolument tenir compte. Le fait notamment que la cathédrale s’inscrive dans le cœur historique de Paris, ensemble oh combien patrimonial ! Notre-Dame a en effet été classé au patrimoine mondial de l’Unesco dans le contexte élargi des rives de la Seine. Ce site inclut plusieurs vestiges médiévaux de premier plan, dont la Sainte-Chapelle, autre église insigne dont la flèche a également été restaurée par Viollet-le-Duc. Ces deux flèches conçues à l’époque de saint Louis avaient fait l’objet d’une enquête poussée avant leur reconstruction quasi simultanée et dans la même démarche. La question des abords a également été abordée, et elle va effectivement constituer un sujet à part entière…
Le parti pris de restauration prévoit-il de laisser des traces matérielles de l’incendie du 15 avril 2019 ?
Non, mais la question a été évoquée bien sûr. Cela n’a rien à voir avec la cathédrale de Reims, dont la restauration inclut des traces des bombardements, symbole politique de la brutalité des Allemands durant la Grande Guerre. L’épisode du feu ne sera pas tu pour autant, mais il ne s’inscrira pas directement dans l’architecture du bâtiment. L’idée d’un centre d’interprétation a été avancée, centre voué à retracer l’histoire pluriséculaire de l’édifice. Je me suis permis de faire allusion au coq-reliquaire de bronze, rescapé de la chute de la flèche et de l’incendie, et de proposer qu’un nouveau coq soit conçu pour la nouvelle flèche !
Que faut-il encore retenir ?
Il faut respecter un état parfaitement connu de Notre-Dame de Paris ! Ce qui est très rare pour un édifice de cette époque et de cette envergure. Il s’agit d’un chantier emblématique, scruté par le monde entier. Je tiens par ailleurs à souligner le sérieux et l’efficacité de l’équipe constituée pour réaliser l’étude et le projet de restauration : les architectes en chef des monuments historiques, les équipes de la Drac Ile-de-France, divers bureaux d’études techniques, spécialistes et experts internationaux. J’ai en outre le sentiment que cela fonctionne bien entre les trois partenaires de cette affaire : l’équipe des monuments historiques, le général Georgelin et l’archevêché de Paris, en dépit de quelques frictions ça et là. On sent qu’il y a un vrai consensus entre ces parties, et c’est le principal ! Il va évidemment falloir suivre tout cela de près, mais j’ai vraiment l’impression que l’orientation prise a été sérieusement réfléchie, qu’elle est très solidement fondée et que le chantier est entre de bonnes mains.