Indissociables éléments du front de mer et de la plage de la ville, les Bains pompéiens ont bien failli disparaître. Désormais inscrits au titre des Monuments historiques et en attente d’une restauration, ils comptent, avec le casino et l’hôtel Le Normandy, au nombre des joyaux architecturaux de la station.
Œuvre de Charles Adda, les Bains pompéiens de Deauville témoignent de la période d’apogée du développement de la commune, peu de temps avant la crise économique de 1929. Cette crise contribuera à l’effondrement du modèle économique qui la sous-tendait, rendant obsolète la trilogie des équipements jusque-là indispensables à toute cité balnéaire : l’établissement de bains, le casino et le grand hôtel.
Les Bains pompéiens sont un exemple remarquable de ce que furent ces établissements, ici d’un genre bien particulier. Leur intérêt réside dans l’association de cabines de plage et de cabines de bain en plein air, formule en adéquation avec une pratique des loisirs balnéaires désormais plus sportive, du fait de l’introduction de la natation, mais toujours mondaine. Peu d’éléments de ce type et de cette taille subsistent sur les plages françaises, la plupart ayant été victimes des bombardements, à l’instar des Bains du Lido à Royan, ou détruits parce que désaffectés et devenus inutiles.
Exceptionnels par la qualité de leur architecture et de leur décoration, les Bains de Deauville sont l’œuvre de l’architecte parisien Charles Adda (1873-1938), une des figures importantes de la station qui y bâtit quantité d’édifices. En élevant les Bains pompéiens dans la cité balnéaire, l’architecte contribua à embellir la promenade des Planches, dont on dit qu’il serait également le concepteur. En 1921, Adda remporta le concours pour la construction de nouveaux bains, en lieu et place de l’établissement de bois construit en 1912 par Georges Wybo, à qui l’on doit aussi le casino.
Béton et mosaïque
Construit en béton armé, le bâtiment de Charles Adda s’élève sur un seul niveau. Il est couvert par un toit-terrasse n’entravant pas la vue sur la plage depuis la terrasse du casino. Édifice polyvalent, il regroupe de nombreux services. Outre les cabines de bain proprement dites, la clientèle avait en effet aussi à sa disposition un syndicat d’initiative, un café, un coiffeur, un cabinet médical et des boutiques, accessibles à tous car distribués sur le pourtour extérieur. À l’intérieur, l’établissement offrait diverses prestations : bain d’eau douce ou de mer, en baignoire ou en douche, bain de vapeur… Les baigneurs avaient le choix entre des cabines de luxe, de première ou de seconde classe, pour dames ou messieurs. Les cabines de luxe étaient doubles : une première pièce servait au déshabillage et au repos, la seconde renfermait la baignoire et le lavabo. Les cabines de première classe ne comportaient, quant à elles, qu’une seule pièce dans laquelle la douche était séparée par une simple cloison.
Détail de l’une des vasques disposées aux angles des balustrades délimitant l’atrium. Au second plan, on aperçoit le départ de l’un des segments de l’allée centrale, qui dessert les autres cours. L’allée centrale est ponctuée de bancs adossés à des panneaux de mosaïque et protégés du soleil par de petits toits.
Les cabines de luxe et de première classe sont réparties autour de la première cour, la plus vaste, qui donne accès à l’ensemble de l’établissement. Bordée de portiques à colonnes pseudodoriques permettant de circuler à l’abri du soleil ou de la pluie, cette cour est traitée à la manière d’un patio et évoque l’impluvium des maisons romaines. Son centre est creusé d’un bassin avec fontaines et jardinières. Le sol, les parois et les bancs sont intégralement recouverts de mosaïques aux tons bleus réalisées par la société parisienne Gentil & Bourdet – spécialisée dans ce genre de décor pour bâtiments privés et édifices publics, dont plusieurs établissements thermaux (Dax, Vichy, Cambo, Aix-les-Bains, Plombières, Contrexéville…) et des piscines. Charles Adda fit appel à plusieurs reprises à cette fabrique de céramique pour des travaux dans des hôtels particuliers ou des magasins.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’établissement de bains s’agrandit et, sous la direction de l’architecte Guy, deux nouveaux îlots sont construits de part et d’autre du complexe créé par Charles Adda. Des portiques forment des passages couverts desservant deux longues plages intérieures, entourées de cabines et dotées chacune d’un grand bassin.
Les cabines de seconde classe ou ordinaires sont réparties autour de huit autres cours, quatre pour les hommes, quatre pour les femmes. La séparation entre les sexes était assurée par des palissades et un mur contre lequel sont appuyés des portiques avec des bancs. La décoration est un peu moins riche que celle de la première cour, les mosaïques se concentrant sur le sol des trottoirs, sous forme de lignes et surtout de médaillons agrémentés en leur centre d’éléments stylisés évoquant des motifs régionaux (drakkar, moulin, phare…) ou des moyens de locomotion modernes (avion, bateau, automobile…). Une frise de carreaux de grès flammé disposés en damiers court sur l’ensemble des murs, interrompue par les portes et les oculi éclairant les cabines. Sous cette frise, la partie basse du mur est en béton lavé laissant apparaître les gravillons alors que la partie haute est recouverte d’un enduit. Une corniche débordante vient couronner les élévations.
Face à la plage, en bordure de la promenade des Planches, Adda aligna les cabines familiales louées à l’année. Largement ouverte par des portes à deux battants afin de constituer un abri contre le soleil et le vent, chaque cabine disposait d’un petit espace privatif extérieur séparé de celui de ses voisins par des barrières ajourées en béton. Une piscine était également prévue afin de favoriser la pratique de la natation qui faisait, dans les Années folles, de plus en plus d’adeptes. L’ambition était alors de concurrencer la plage de Trouville, voisine directe de Deauville et rivale depuis les origines du phénomène balnéaire sur la Côte fleurie.
Adda à Deauville
Les Bains pompéiens ont fortement contribué à la notoriété de leur auteur, auquel un hommage a été rendu en 2015 par le biais de la pose d’une plaque. Cet établissement est incontestablement l’une des réalisations les plus remarquables de Charles Adda, qui a par ailleurs beaucoup donné à Deauville. Architecte de la Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux, il travailla en effet aussi à l’aménagement du champ de courses de la Touques entre 1921 et 1937. Outre des bâtiments de service, il y construisit les maisons Le Thym, Botton of the Hill, Punta Gorda et Les Polos, destinées à l’hébergement des propriétaires d’écuries. Contrairement au vocabulaire Art déco des Bains, pour ces maisons ainsi que pour les deux autres villas qu’il réalisa à Deauville, Adda s’inspira de l’architecture régionale normande, à la mode dans les stations balnéaires des années 1930.
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