Le centre de Reims vient d’être classé Site patrimonial remarquable (SPR). Un classement voué à protéger et valoriser un patrimoine moins renommé que les monuments phares de la célèbre ville des sacres, mais non moins important : celui de la reconstruction moderne qui vint réparer les ravages de la Première Guerre mondiale. Un « sacre » audacieux puisqu’il s’agit du premier classement SPR décerné à un patrimoine du XXe siècle.
« Il n’est cité que je préfère à Reims, c’est l’ornement et l’honneur de la France ! » proclamait déjà Jean de La Fontaine au XVIIe siècle. Depuis, la ville des sacres a bien changé. Détruite à 80 % pendant la Première Guerre mondiale, elle va se relever au cours des années 1920 en restaurant son patrimoine et en reconstruisant ses édifices publics et privés dans un bel esprit de modernité. Aujourd’hui c’est ce patrimoine XXe siècle que la ville veut mettre à l’honneur. En commençant par le protéger, grâce notamment à ce classement Site patrimonial remarquable qu’elle convoite depuis sa création par le ministère de la Culture en 2016. Et qu’elle a obtenu le 7 juin dernier. Première étape d’une mise en lumière programmée pour ce patrimoine de la reconstruction qui n’a rien à envier à ses voisins médiévaux…
Rue du Général-Sarrail. Cette maison particulière à la façade étroite, ponctuée de deux avant-corps encadrant une partie centrale traitée en loggia, adopte un vocabulaire néo-Renaissance déjà anachronique dans cette époque de reconstruction. © Pascal Stritt – VMF Façade sur rue du 9, cours Anatole-France. Le concepteur de cet immeuble, l’architecte Paul Bouchette, puisa son inspiration dans le style gothique anglais Tudor du XVe siècle. Le règlement de voirie interdisait pour cette rue, au chevet de la cathédrale, toute référence à l’architecture gothique française. © Pascal Stritt – VMF Occupant l’angle des rues de Mars et Henri-IV, face aux halles Boulingrin, cet immeuble (1923) porte la signature des deux architectes Herbé et Deffaux, qui construisirent à Reims plusieurs bâtiments ainsi que la cité-jardin de la Maison-Blanche. Le rythme des décrochements, le jeu des ouvertures, la qualité des ferronneries participent à la réussite de cette construction. © Pascal Stritt – VMF
La zone nouvellement protégée s’étend depuis la colline Saint-Nicaise (rues Montlaurent, des Carmes et des Moulins), jusqu’aux Promenades puis des rives du canal de la Vesle jusqu’aux boulevards Lundy, Paix et Pasteur. Concrètement, ce nouveau classement instaure une stricte réglementation sur tous les travaux susceptibles de modifier l’état extérieur et intérieur des immeubles de la zone, les éléments d’architecture et même les espaces non-construits comme les cours ou jardins. Des travaux qui devront désormais bénéficier de l’accord de l’architecte des Bâtiments de France (ABF). Et qui, en cas de restauration complète d’un édifice, pourront bénéficier d’aides financières.
L’intérêt ? Ériger une vraie protection autour des presque 3 700 immeubles concernés par le classement. Car ils le méritent amplement : « Art déco, Art nouveau, régionalisme, néo-Renaissance, néo-gothique … La reconstruction de Reims a donné lieu à une vrai effervescence architecturale, qui est une part importante de notre patrimoine et qui, jusqu’à présent, n’était pas protégée » explique Catherine Coutant, conseillère municipale déléguée aux Patrimoines Rémois. Elle témoigne aussi de l’envie de valoriser une reconstruction qui a essaimé dans toute la ville ses immeubles aux façades étonnantes : « Reims est une ville où il faut se balader le nez en l’air ! »
Hall d’entrée de la bibliothèque Carnegie signée Max Sinsaulieu et financée par un don de la fondation américaine Carnegie. Les murs sont habillés de panneaux en onyx d’Algérie entourés de marbres verts dans lesquels sont incrustés de petits cartouches en mosaïques. Évoquant les activités intellectuelles et les activités physiques ou commerciales, ils ont été réalisés par les marbreries Merbès-Sprimont sur des cartons d’Henri Sauvage. © Pascal Stritt – VMF Le lustre qui éclaire le hall d’accueil de la bibliothèque Carnegie, œuvre du maître verrier Jacques Simon. © Pascal Stritt – VMF
Ce classement, Catherine Coutant le conçoit d’abord comme l’occasion de recenser et étudier ce patrimoine encore peu documenté. Une telle tâche, qui devrait durer jusqu’en 2021, a été confiée à des architectes et conservateurs du patrimoine missionnés par l’État et accrédités par la ville. Une étude historique et documentaire – indispensable à toute conservation intelligente – sera ainsi réalisée immeuble par immeuble, « extérieur comme intérieur ». Reims devient ainsi la première ville de France à se doter d’un Site Patrimonial Remarquable destiné à protéger un patrimoine du XXe siècle !
Et ce n’est pas tout ! Car la mairie envisage de redoubler encore cette protection avec la mise en place, dans le centre-ville classé, d’un plan de sauvegarde et mise en valeur (PSMV), « un outil d’urbanisme qui est la suite logique après un classement SPR » explique Catherine Coutant. Elle précise aussitôt que ce nouveau cadre réglementaire permettra de protéger le patrimoine historique tout en « continuant à construire » car « il ne s’agit pas de mettre la ville sous cloche, il faut qu’elle continue à vivre ! ». Et d’insister sur ce double objectif : « Il ne faut pas fermer les choses, Reims est la preuve que plusieurs patrimoines peuvent cohabiter dans la même ville. »
Médaillon ornant la façade du bâtiment qui fait face aux halles du Boulingrin. Elle est traitée dans le style classique avec quelques références à l’Art déco. © Pascal Stritt Porte d’entrée de l’immeuble situé à l’angle de la rue Linguet et de la rue de Marc. Une frise en céramique de style Art nouveau avec ses motifs de chardon court au niveau rez-de-chaussée. © Pascal Stritt – VMF
Ce qui ne veut pas dire que la ville délaisse son patrimoine médiéval. Reims compte en effet aussi sur une rénovation majeure de l’un de ses monuments phare : le palais du Tau qui jouxte la cathédrale Notre-Dame, ayant autrefois abrité à la fois le siège du pouvoir spirituel et la résidence privée de l’archevêque. Transformé en musée de l’histoire des sacres, l’édifice mérite effectivement d’être rénové, et sa muséographie repensée. Tel était en tout cas le projet qui devait démarrer en 2020 … jusqu’à ce que la crise sanitaire ne pousse le centre des monuments nationaux (CMN), propriétaire des lieux, à repousser les travaux en 2022, faute de finances.
Mais cette ville de l’est ne perd pas le nord pour autant, et poursuit résolument ses ambitions patrimoniales : prévu pour 2022-2023, le PSMV remplacera le plan local d’urbanisme existant, et permettra ainsi de fixer des normes fortes de conservation du patrimoine ancien, tout en s’adaptant aux évolutions contemporaines de la ville liées à l’habitat, l’emploi, le transport… « Une ville moderne, qui évolue tout en respectant son histoire », s’exclame la déléguée aux Patrimoines en détaillant de nouveaux projets en cours comme ce « musée des Beaux-Arts installé dans l’abbaye Saint-Denis qui va être restructuré par les très renommés architectes portugais Francisco et Manuel Aires Mateus ». Bref, un cadre réglementaire ni trop rigide ni trop laxiste pour que patrimoine et urbanisme se marient dans la cohérence et l’harmonie : « Depuis sa fondation par les Romains sur un site celtique, en passant par son exceptionnel développement au Moyen Âge puis sa reconstruction au XXe siècle, Reims est une ville de bâtisseurs ! Et elle a bien l’intention de le rester ! »