Quatrième découverte de notre série « Cet été, racontez-nous la France ! » : Jacques nous décrypte les secrets du labyrinthe qui orne le sol de la nef de la cathédrale de Chartres. Une énigme qui exige de se replonger de l’histoire de cet édifice majeur de la chrétienté…
Qui ne connaît, qui n’a pas entendu parler de la plaine de Beauce et de ses blés dorés par le soleil de l’été ; de la somptueuse cathédrale de Chartres et de ses vitraux, avec ses pèlerinages attirant chaque année plus de fidèles, dans le souvenir de Charles Péguy ou pour prier la sainte Vierge ? Mais quand ils pénètrent dans la basilique, bien peu savent qu’ils vont inévitablement piétiner l’extraordinaire labyrinthe qui occupe le centre de la nef.
C’est un monument dans le monument. Il constitue le dallage d’une grande partie de la nef, entre les troisième et quatrième piliers ; c’est un immense chemin unique et sinueux sur lequel il est impossible de se perdre ; mais on ne le voit pas, car il est habituellement recouvert de chaises, et le bon catholique du dimanche, ignorant et sans vergogne, fait douloureusement crisser son siège sur l’un des méandres, tout en laissant futilement s’égayer la poudre de ses chaussures sur les pierres délavées.
Cet original et remarquable labyrinthe – qui a servi de modèle à des milliers d’avatars dans le monde entier – n’a pas toujours été oublié ou méprisé : les chanoines l’ont délibérément fait construire en même temps que l’actuelle cathédrale gothique, au tout début du XIIIe siècle. Ces deux monuments sont indissociables, à tel point que les mesures géométriques de celle-là se déduisent des paramètres de celui-ci : la situation de la façade ouest, la taille de la grande rose, l’emplacement de l’autel, la longueur de la nef ; ce n’est pas rien ! Et cela nous dit combien était considérable l’importance du labyrinthe aux yeux des chanoines constructeurs qui en furent les grands commanditaires.
Pourtant, il fallut moins de deux siècles pour que la signification profonde de ce labyrinthe chrétien s’estompât complètement dans la compréhension des chanoines successeurs : dès le XVIe siècle, il était méprisé. On a failli le démolir, car on n’y percevait plus que le mythe païen de Thésée en Crête. Et puis, c’était intolérable, les enfants jouaient une sorte de marelle sur ses méandres pendant les offices, rendez-vous compte. Il était urgent de l’oublier !
Heureusement, on s’est contenté de le couvrir, dès que possible, de chaises et de bancs et de le cacher aux yeux et, pire, à l’âme du bon peuple. Cela se passait dans les années 1970-80 : mai 68 était à peine calmé, Woodstock résonnait encore dans les oreilles. La cathédrale, craintive et en émoi, aurait pu se refermer comme une coquille Saint-Jacques et garder ses petites chaises bien rangées en l’état. Et des prêtres éclairés (notamment le chanoine Hercouët, puis avec beaucoup de force le chanoine Legaux), soucieux de mettre en lumière les motivations de leurs prédécesseurs des XIIe-XIIIe siècle, ont permis la renaissance du labyrinthe. Plusieurs femmes, parmi lesquelles deux pasteures protestantes, ont œuvré en ce sens et continuent à le faire. Le labyrinthe est vivant !
Grâce aux recherches menées par Gilles Fresson, historien et chaleureux spécialiste de la cathédrale, on en sait plus sur la création et la signification de ce mystérieux labyrinthe chrétien. On sait notamment que les chanoines y dansaient au cours d’une cérémonie qui avait toujours lieu à Pâques : le doyen était au centre et lançait à ses confrères une balle jaune figurant la lumière du Christ. La balle était une pelote constituée d’un fil de laine symbolisant le fil d’Ariane, c’est-à-dire la Grâce, la Rédemption.
Ainsi nos chanoines médiévaux christianisaient-ils le mythe de Thésée ! Le labyrinthe était le royaume des morts (les Enfers), que le Christ (Thésée) traversait le vendredi et le samedi saints pour pouvoir ressusciter après avoir tué le Mal (le minotaure). C’est un peu dans cet esprit que l’actuelle Communauté fait revivre le labyrinthe au moment de Pâques qui est, certes, la fête de la résurrection du Christ, mais aussi la fête de la renaissance de la nature… Le labyrinthe s’inscrit donc tout naturellement dans un acte de naissance et de baptême : on comprendrait fort bien que les catéchumènes, fraîchement baptisés pendant la nuit de Pâques, puissent entrer en ce chemin de renaissance après avoir quitté le baptistère de la crypte et accédé à la lumière bleue de la nef. Tel est le labyrinthe de la cathédrale de Chartres, bien vivant !
Jacques Paillot et les Amis de la Cathédrale de Chartres