Exposition Albert-Kahn : le vieux Paris en couleur

Par Maïlys TRUBERT

Date de publication : 11/08/2020

Temps de lecture : 9 minute(s)

En septembre 2020 se tiendra au palais de Chaillot une exposition qui ravira tant les amateurs d’histoire que les amoureux de la Ville Lumière : « Paris 1910-1937. Promenades dans les collections Albert-Kahn ». Une vision inédite et en couleur de la capitale au début du XXe siècle.


L’héritage photographique d’un banquier humaniste 

Fruit d’un partenariat entre la Cité de l’architecture et du patrimoine et le département des Hauts-de-Seine, l’exposition tire profit d’une documentation unique, le fonds parisien des Archives de la Planète, la vaste entreprise photographique lancée et financée entre 1909 et 1931 par le banquier Albert Kahn (1860-1940).

En captant la mémoire de son temps, Albert Kahn avait pour ambition de « contribuer à la paix dans le monde » : sous son mécénat, cette galerie de l’histoire mondiale est devenue un précis de géographie humaine.

Pour immortaliser paysages et sociétés, ses opérateurs envoyés dans plus de 60 pays ont employé des techniques innovantes pour l’époque : les autochromes, premier procédé de photographie couleur inventé en 1903, et le cinématographe.

L’aventure photographique se poursuivra jusqu’en 1937, malgré la banqueroute en 1932 d’Albert Kahn suite à la crise de 1929. En 1936, ses collections sont acquises par le département de la Seine qui s’attache à les valoriser dans son ancien hôtel particulier de Boulogne-Billancourt, devenu le musée Albert-Kahn.


Le fonds consacré à Paris méritait bien une exposition à part entière que les trois commissaires, Magali Mélandri et David-Sean Thomas du Musée départemental Albert-Kahn et Jean-Marc Hofman de la Cité de l’architecture, ont présentée à la presse le 1er juillet 2020. L’échange avait lieu dans un endroit atypique, Aux belles poules, dernière maison close de Paris à avoir conservé ses décors d’origine.

Située au 32, rue Blondel, dans une ruelle du IIe arrondissement, elle était très fréquentée dans les années 1920 avant d’être fermée, comme toutes les maisons de tolérance, à la suite de la loi Marthe-Richard de 1947.

Caroline Senot, qui l’a rachetée en 2011, y a fait une découverte étonnante : celle de panneaux de céramique des années 1920 composant des scènes érotiques. Elles étaient recouvertes par les panneaux de bois d’une société d’import/export asiatique, en dépit de l’inscription de l’ancienne maison close à l’inventaire des Monuments historiques. Après avoir rénové les décors, la jeune femme enthousiaste a fait du rez-de-chaussée des Belles Poules un lieu de réception.

L’ici vu d’hier

La collection d’Albert Kahn sur Paris a été étonnamment peu montrée auparavant, sans doute parce qu’elle n’était pas considérée comme assez « exotique » pour faire partie des projections organisées par le banquier à Boulogne pour ses hôtes de marque, artistes et diplomates. Seule une plaque autochrome sur cinq avait été développée. Ce fonds peut pourtant être considéré comme le premier inventaire moderne du patrimoine parisien, en couleur de surcroît. Dix-huit mois de travail ont été nécessaires aux commissaires d’exposition pour sélectionner parmi les 5 000 plaques autochromes, 600 Filmcolor Lumière et 200 plaques stéréoscopiques noir et blanc les images les plus instructives, surprenantes, inattendues, émouvantes de la capitale. 


Le fonds contient aussi quelques films en couleur naturelle, rares témoignages de l’agitation des rues de Paris sur les Grands Boulevards ou la place de la Madeleine. Jean-Marc Hofman, adjoint au conservateur de la galerie des Moulages de la Cité de l’architecture, évoque face à ces films un sentiment de « familier brisé par l’étrange ». Les monuments n’ont pas changé mais les passants sont radicalement différents : on ne croise plus guère de dames en chapeaux ni de messieurs en costumes… Au milieu d’une circulation chaotique, chacun traverse comme il peut, jetant un regard intrigué à la caméra. 

Les métamorphoses d’une ville

Plus que le Paris haussmannien, c’est le Paris médiéval et populaire qui intéresse les opérateurs, conscients de sa fragilité en ces temps de grandes mutations. En ce sens, que ce soit au bout du monde ou au cœur de Paris, les Archives de la Planète constituent un véritable travail de mémoire, architecturale et humaine. 

Fixer une fois pour toutes des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps.

Albert Kahn, janvier 1912 

Magali Mélandri, conservatrice du patrimoine et directrice déléguée à la conservation du musée départemental Albert-Kahn, a souligné que le regard porté par les opérateurs témoignait de la « tension entre patrimonialisation et modernisation » perceptible dans la capitale. Les clichés évoquent ainsi la construction des HBM (habitations bon marché) sur les vestiges de l’enceinte de Thiers, édifiée entre 1841 et 1844 et démantelée entre 1919 et 1929 car elle gênait la progression de la ville. 

De la crue de 1910 à l’inauguration du palais de Chaillot lors de l’Exposition universelle de 1937, le directeur scientifique du projet, le géographe Jean Brunhes (1869-1930), manifeste sa sensibilité pour une vision éternelle et patriotique de Paris qu’il appelle « la capitale par excellence […] qui dépasse même son propre rôle national ». Une série de clichés est par conséquent consacrée aux protections des monuments contre les bombardements de 1918.

Par ailleurs, dans le cadre de la prévention de la syphilis, le regard des opérateurs s’est arrêté devant les façades de quelque 70 maisons closes, dont Aux belles poules. D’où le choix du lieu pour la présentation à la presse de l’exposition.

Un défi muséographique 

La collection Albert-Kahn obéit à des contraintes techniques particulières. Les plaques autochromes, constituées de grains de fécules de pomme de terre teintées pour capter la lumière, sont en verre. Du fait de la fragilité de ce support, ce sont des fac-similés, accompagnés de rétroéclairages, qui seront exposés au palais de Chaillot. Dans cette promenade qui se veut « immersive et poétique », les visiteurs pourront se repérer grâce à une carte interactive tandis qu’une application proposera quatre parcours géolocalisés à la redécouverte du Paris de la Belle Époque. À noter que les 72 000 autochromes de la collection d’Albert Kahn sont déjà consultables en ligne en basse définition. 

Le musée Albert-Kahn bénéficie d’un ambitieux chantier de rénovation, entrepris il y a déjà cinq ans. Suite à la défaillance d’un prestataire, sa réouverture a été reprogrammée à l’automne 2021. L’étage du bâtiment conçu par le Japonais Kengo Kuma comprendra entre autres un auditorium de 100 places pour projeter les autochromes, comme le faisait il y a un siècle le banquier philanthrope. Quant aux jardins à scènes paysagères de quatre hectares créés par Albert Kahn (forêt vosgienne, jardin japonais, verger-roseraie…), ils sont à nouveau ouverts à la visite depuis septembre 2019.

Les commissaires d’exposition ont eu une pensée émue pour Patrick Devedjian, le président du Conseil départemental emporté le 29 mars 2020 par le coronavirus et si investi dans la rénovation du musée Albert-Kahn, projet phare de la Vallée de la Culture des Hauts-de-Seine. 

Rendez-vous le 16 septembre 2020 à la Cité de l’architecture pour un formidable voyage à travers le Paris familier et disparu capté par les autochromes d’Albert Kahn. 

« Paris 1910-1937. Promenades dans les collections Albert-Kahn ».
Du 16 septembre 2020 au 11 janvier 2021
Cité de l’architecture et du patrimoine
Palais de Chaillot
1, place du Trocadéro, Paris XVIe

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