Véritable acropole, Langres est de ces cités qui marquent immédiatement l’esprit et le regard. Sa ceinture de fortifications, qui continue d’entourer un cœur urbain dont les deux tiers du bâti sont antérieurs au XIXe siècle, constitue le plus important ensemble complet d’Europe. La valorisation de ce patrimoine est, pour cette ville moyenne en récession démographique, un axe majeur de réflexion et de développement.
Solidement campée sur son promontoire calcaire s’avançant entre les vallées de la Bonnelle à l’ouest et celle de la Marne à l’est, qu’elle domine d’une bonne centaine de mètres, Langres est un carrefour. Sur le plan hydrographique, la ville se situe sur la rupture de charge entre les bassins de la Marne, de l’Aube, de la Seine, de la Saône, également de la Meuse. Par ailleurs, sa position aux confins de quatre régions historiques, Bourgogne, Franche-Comté, Champagne et Lorraine, explique l’importance constante accordée à la défense de celle qui avait réputation d’être sous l’Ancien Régime « la ville la plus haute du royaume ».
Gros plan sur le bossage de la double tour de Navarre et d’Orval (20 mètres de haut et 28 de large). Derrière ses murs de 7 mètres d’épaisseur, on compte quatre niveaux, dont deux salles voûtées et puissamment casematées. L’édifice témoigne des remaniements opérés sur l’enceinte urbaine de Langres à l’époque de la Renaissance, afin de l’adapter aux progrès de l’artillerie.
UNE VILLE BIEN PROTÉGÉE À L’ABRI DE SES MURAILLES
La conquête romaine bouleverse le destin d’Andematunnum, capitale du peuple gaulois des Lingons. Sa fidélité à César lui vaut de devenir le chef-lieu d’un vaste territoire ainsi qu’un foyer de romanisation au carrefour de voies militaires et commerciales importantes. Langres se pare d’une première ceinture de fortifications dans la seconde moitié du IIIe siècle lorsque les invasions barbares commencent à mettre à mal la stabilité de l’Empire. Durant le haut Moyen Âge, la cité et son territoire se trouvent ballottés entre les différents royaumes franc et burgonde. Dans ce contexte tumultueux, l’évêque, gage de stabilité, acquiert une puissante autorité. Afin d’échapper aux ambitions champenoises et bourguignonnes, il choisit de se rapprocher du royaume de France. Grand feudataire de la Couronne, il devient pair de France en 1216 puis duc en 1354.
Au milieu du XIIIe siècle, l’initiative revient d’ailleurs à l’évêque d’élargir le périmètre fortifié afin d’intégrer et de contrôler fiscalement le champ de foire, actuelle place Diderot. Un siècle plus tard, vers 1350, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, les Langrois obtiennent le droit de prélever l’impôt afin d’assurer l’édification d’une nouvelle enceinte de mille deux cents mètres englobant les quartiers sud. Celle-ci va délimiter pour six siècles le périmètre de la cité. Tours, portes et courtines constituent une véritable entité urbaine au point de bénéficier d’une juridiction municipale spécifique. Les délits qui y sont commis font l’objet de jugements rendus par les capitaines à masse, ainsi dénommés car une massette en argent symbolise leur fonction. Élus pour une durée d’un an, ces quatre juges siégeaient au sein d’un auditoire aménagé dans la tour Saint-Didier. Cette juridiction originale cessa d’exister au moment de la Révolution.
PARCELLAIRE MÉDIÉVAL, PARURE CLASSIQUE
Pour David Covelli, directeur du service patrimoine de la ville, « il existe presque un rituel, un code, une méthode pour aborder Langres : depuis la vision lointaine, avec les tours de la cathédrale que l’on peut apercevoir à plus de quarante kilomètres de distance, jusqu’au musardage dans le dédale des rues tortueuses du cœur de ville, la découverte s’effectue en plusieurs étapes ». Car si Langres offre en premier lieu la vision d’une cité puissamment fortifiée, une fois franchie l’une de ses portes se révèle un tissu urbain fait d’hôtels particuliers, de demeures bourgeoises – dont l’exceptionnelle maison Renaissance située rue du Cardinal-Morlot –, d’habitations plus modestes et de fondations religieuses. Ayant échappé aux incendies et bombardements, Langres, dont deux tiers des immeubles ont été bâtis entre le XVIe et le XVIIIe siècle, offre un ensemble urbain préservé où l’empirisme du positionnement des places et l’imbrication des bâtiments au sein d’un parcellaire en lanières demeurent un héritage médiéval. La pierre est omniprésente, le pan de bois assez rare.
Détail de la façade sur cour de l’une des plus belles maisons Renaissance de la ville, rue du Cardinal-Morlot. Au premier plan, un élégant puits décoré de pilastres et coiffé d’un dôme chevauche la balustrade servant de clotûre. Il donne accès à une citerne. Propriété de la ville de Langres, la maison abrite aujourd’hui une école de dessin.
Dans cette trame urbaine, les hôtels particuliers, dont plus de quatre-vingts sont conservés aujourd’hui, signent la présence d’une élite bourgeoise et aristocratique, tenant à la robe mais aussi à l’Église puisque le chapitre cathédral compte une quarantaine de chanoines. Rarement édifiés le long des axes commerçants principaux, ils occupent des rues adjacentes plus calmes tout en se tenant à l’écart des remparts et de leur chemin de ronde, espaces réputés mal fréquentés.
Si bandeaux moulurés et corniches soulignent les différents niveaux, le décor sculpté se concentre sur les portails, dont les menuiseries font coupure avec la rue, au XVIIIe siècle notamment. Et David Covelli de souligner qu’à Langres « on préfère définitivement le bois à la ferronnerie. Rétive à toute démonstration ostentatoire, l’élite langroise a toujours fait le choix de la discrétion ».
Au XVIIIe siècle, l’hôtel du Breuil de Saint-Germain (actuelle Maison des Lumières, espace consacré à l’œuvre de Diderot et au siècle des Lumières) fut entièrement remanié. Une nouvelle façade fut créée. Le perron fut surélevé et doté d’un portail sculpté, dont les deux oculi vinrent éclairer l’escalier rampe sur rampe du logis. Dans l’escalier de la maison Renaissance située au n°20 de la rue du Cardinal-Morlot.
Autre spécificité langroise, les passages couverts, mentionnés dans les textes depuis la fin de l’époque médiévale qui constituent tout à la fois des axes piétonniers en lien avec le chemin de ronde et des accès étroits aux cours intérieures dans les îlots urbains les plus denses. Preuve de l’attachement local à ces ruelles apaisantes invitant à la flânerie, les aménagements urbains contemporains ont été menés en les préservant. De surcroît, Guy Baillet, maire de 1977 à 2001, sensible à la conservation de ces chemins de traverse, a souhaité en aménager de nouveaux en préemptant au titre de la Ville certaines maisons dont une partie du rez-de-chaussée a été retraitée en passage public. Ces voies étroites offrent de belles surprises : l’enchevêtrement des cours intérieures et des arrière-cours des habitations ouvrent sur des façades Renaissance, des citernes avec margelle hors du temps.
UN NOUVEL ÂGE D’OR ARCHITECTURAL
Temporairement, avec la signature, en 1678, du traité de Nimégue qui rattache la Franche-Comté au royaume, Langres perd son statut de place forte stratégique. Les habitants en profitent pour conquérir les glacis verdoyants au pied des remparts et y installer d’agréables promenades telle celle de Blanchefontaine, qui mène par une belle allée d’arbres à la fontaine de la Grenouille dans le prolongement de la porte méridionale des Moulins. Né à Langres où il vécut jusqu’à son départ pour Paris, en 1728, Diderot, qui revenait voir sa famille de temps à autre, appréciait particulièrement la vue depuis cette promenade, qu’il qualifia dans une lettre à Sophie Volland de « plus beau paysage du monde ».
Primitivement dédiée à Saint-Jean-l’Evangéliste, la cathédrale fut placée sous le vocable de Saint-Mammès au milieu du VIIIe siècle, après le don par un pèlerin d’une relique de ce saint originaire de Cappadoce. À partir de 1999, de grands travaux ont été engagés sur les toitures afin de leur restituer une polychromie qui existait peut-être dès le XIIIe siècle. © Jean-François Feutriez
Si la création en 1731 du diocèse de Dijon aux dépens de celui de Langres contribue au déclin lent et durable de la cité, Langres connaît pourtant au XVIIIe siècle un nouvel âge or architectural auquel la ville doit une grande partie de sa physionomie actuelle. Les couvents des Annonciades, des Carmes, des Dominicaines, comme le collège des Jésuites, sont bâtis dans le goût de l’époque. Lorsque l’édification d’un nouvel hôtel de ville est envisagée en 1774, on fait appel à l’architecte Nicolas Durand qui réalise dans les mêmes années l’hôpital de la Charité. Le vocabulaire architectural mis en œuvre, alliant symétrie, massivité, verticalité accentuée des colonnes, avant-corps central saillant surmonté d’un fronton triangulaire, entablements marqués, présente beaucoup de similitudes avec celui de la façade occidentale de la vénérable cathédrale Saint-Mammès, reconstruite dans les années 1760 d’après les plans de Claude-Louis d’Aviler en lieu et place de la précédente façade qui menaçait ruine.
UNE VILLE À LA CROISÉE DES CHEMINS
L’art de vivre langrois s’exprime aussi désormais par la nouvelle vocation des remparts. Les panoramas offerts par le chemin de ronde attirent et de belles demeures sont bâties à proximité. Cependant, après la capitulation française le 17 janvier 1814 devant les troupes autrichiennes, russes et prussiennes, la Commission de défense déclare dans un rapport que « Langres doit devenir une grande place forte fondamentale de la défense du royaume tant pour les deux frontières du Rhin et du Jura que pour l’intérieur ». À partir de 1832, à la faveur du rachat par l’armée de l’intégralité de l’enceinte urbaine, le Génie entame des travaux considérables de modernisation.
Entre 1842 et 1850 est engagé le chantier de la dernière citadelle française, qui double le périmètre fortifié de Langres. Dotée de huit bastions, elle est édifiée d’un seul jet à six cents mètres au sud de la ville afin de barrer définitivement le plateau. À l’heure où Viollet-le-Duc restaure Carcassonne et Pierrefonds qui n’ont plus aucune fonction défensive, les fortifications de Langres sont remises au goût du jour afin de servir à la défense nationale. Pas moins de trois mille soldats sont casernés à Langres en 1881.
L’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Mulhouse en 1858 puis celle du canal de la Marne à la Saône en 1907 ne parviennent pas à redonner à la ville – supplantée par Chaumont comme chef-lieu de département en 1790 – son dynamisme ancien et il faut attendre les années 1950 pour qu’elle ose s’étendre au-delà de ses fortifications. Au début du XXIe siècle, comme si l’histoire était un éternel recommencement, Langres se trouve une nouvelle fois à la croisée des chemins. Avec le départ définitif de l’armée, se pose la question de l’avenir du patrimoine fortifié, rare catalogue d’une cohérence inégalée à l’échelle européenne, élément d’identité fondamental de la cité. Chantiers de réinsertion, actions de sensibilisation, rénovation du quartier de la citadelle et meilleure lisibilité des ouvrages vont de pair avec toutes les initiatives menées autour de la mémoire de Diderot, illustre enfant du pays, et avec les actions de valorisation et médiation dans le cadre du label « Ville d’art et d’histoire ».
Cette « Carcassonne du nord », qui s’est dotée d’un secteur sauvegardé dès 1972, avait bien des arguments pour prétendre à un classement au patrimoine mondial de l’Unesco. La présence d’éoliennes visibles depuis les remparts a eu raison de cette ambition, mais la ville conserve d’inestimables atouts.
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