Autour d’une bastide construite entre les XVe et XVIIe siècles, les jardins de la Chabaude, dans la campagne d’Apt, déclinent une végétation méditerranéenne tout en rondeur et en douceur, qui s’intègre magnifiquement dans son environnement de collines boisées. Dans l’un de ces paysages de rêve dont le Luberon a le secret, une réalisation d’exception a été mise en lumière en 2014 par le premier prix VMF Jardin contemporain et patrimoine.
Philippe Cottet a la chance et le talent de créer des jardins d’exception de chaque côté de l’Atlantique. Dans ces édens peu fleuris, il privilégie les associations de feuillages sur un écrin minéral ou aquatique. En Californie, ce sont des feuillages luxuriants, tropicaux, qui tranchent sur le bâti contemporain ; dans le Luberon, le camaïeu de verts et de gris est en harmonie avec les vieilles pierres de la bastide. « Je conçois avant tout des jardins où il fait bon vivre », insiste le paysagiste.
Une douzaine d’espaces intimes
De fait, la Chabaude compte une douzaine d’espaces conviviaux tout autour de l’habitation, des lieux intimes séparés par des murets ou des différences de niveau, rythmés de topiaires globuleuses et de colonnes fuselées de cyprès, parfois ombragés par des figuiers, des arbres de Judée, des chênes ou d’immenses platanes. La végétation de ces jardins est celle de la nature environnante, les topiaires sont forgées dans des arbustes méditerranéens persistants (santoline, romarin, cinéraire maritime, laurier-tin, germandrée…).
Il n’y a aucune note exotique. Les jeux de topiaires confèrent une unité à l’ensemble, des masses globuleuses qui rappellent celles du jardin de la Louve, tout proche, à Bonnieux. Sa créatrice, Nicole de Vésian (1916-1996), a été l’amie des propriétaires de la Chabaude. Près de vingt-cinq ans après la disparition de la styliste, son jardin, entretenu par l’Américaine Judith Pillsbury, reste un modèle de perfection et de sophistication, et fait encore l’objet de publications.
Des jardins ouverts
Les jardins de la Chabaude s’étalent sur sept hectares et, à l’image du jardin de la Louve, semblent en outre se prolonger infiniment vers les collines boisées du parc naturel du Luberon et la plaine en contrebas, sur lesquelles ils s’ouvrent largement. L’art de Philippe Cottet a été de concilier la réalisation d’un paysage emprunté avec des jardins très travaillés autour de l’édifice par le biais d’une transition « agricole ».
Il y a une vingtaine d’années, il s’attaque sérieusement aux jardins en procédant partie par partie. « Je voulais retrouver l’esprit d’antan de la bastide provençale avec ses jardins nobles d’agrément pour le propriétaire et une activité agricole autour », explique Philippe Cottet. Défi relevé avec un incontestable brio comme on le constate aujourd’hui, où l’on jurerait que la bastide a traversé les siècles dans cette sobre magnificence. On a vraiment du mal à imaginer que la bâtisse était une ruine, entourée de friches à l’abandon lorsque Scott Stover acquit la propriété il y a trente ans !
L’art de la progression
À l’entrée de ces jardins de la Chabaude, une façade à moitié drapée de lierre, vestige d’une ancienne habitation, se dresse sur une pente assez forte. Voilà une présence théâtrale quelque peu baroque et plutôt insolite devant la silhouette imposante de chênes. Puis la pente abrupte est laissée sauvage, entre garrigue et prairie fauchée de temps en temps. En mai, les genêts omniprésents y scintillent de leur or intense sous la floraison rose tendre des arbres de Judée (Cercis siliquastrum) qui colonisent peu à peu le vallon naturel.
Les essences deviennent de plus en plus imposantes à mesure que l’on s’approche de la maison. Il y a d’abord l’ombrage bienveillant de cinq chênes quadricentenaires dont la charpente massive est révélée par une taille douce, assez récente. Au pied de ces chênes, trois fauteuils accueillants constituent un premier salon de jardin dominant la grotte où arrivent les eaux souterraines. C’est un havre de fraîcheur bienfaisant l’été où l’on bénéficie en outre du murmure des sources.
Mariage entre les siècles
Rectangle formel, très dépouillé avec ses vagues de verts ciselés, le jardin nord répond à l’austérité de la façade noble de la bastide. Les deux piliers de pierre d’origine qui en marquent l’entrée ont été remontés comme au temps jadis. Un premier axe mène de ces colonnes anciennes à une fontaine contemporaine. Mariage des siècles dans une belle sobriété. Si le mur ouest a été rebâti comme autrefois, en face l’astuce a consisté à remplacer le mur effondré par un rempart végétal : régulièrement espacées sur une pente assez forte, cinq haies de laurier-tin maintenues assez trapues, composent un escalier de verdure, de part et d’autre du rideau d’eau simplement encadré de colonnes de cyprès.
De loin, l’effet est d’une simplicité admirable. Le jardin nord est découpé en croix avec un parterre de buis ciselés dans chaque carré. À l’intersection des deux allées, des topiaires argentées alanguissent leur rondeur, contrastant avec le vert dominant des pins qui ombragent ce jardin et des frondaisons denses d’arbres caducs aux alentours.
Une « muraille » végétale faite de haies de laurier-tin a remplacé le mur est du jardin nord, qui s’était effondré. Un « mur d’eau », encadré de cyprès soigneusement taillés, est aménagé́ en son centre. Le jardin nord et son ambiance formelle, avec ses volutes de buis dans chacun des quatre carrés. Au fond, la bastide.
Terrasses conviviales
Le contournement de la bastide s’effectue côté ouest le long d’une allée ombragée d’arbres de Judée notamment, bordée d’une haie de laurier-tin. Les jardins ouest juxtaposent une série de terrasses conviviales ornées de topiaires et rythmées de fines et élégantes sentinelles de cyprès de Provence. Une de ces terrasses est traitée à la japonaise avec des pins taillés en nuage. Un peu plus bas, au pied de deux majestueux platanes très âgés, une terrasse entièrement minérale accueille un salon de jardin constamment ombragé et égayé du bruit de l’eau qui se jette dans le vieux bassin reconstitué entre les deux platanes.
Alignements et sinusoïdes
Le jardin sud est traité de la même manière, avec des sinusoïdes de topiaires tout en douceur. De la porte d’entrée à la cour sud de la bastide, se déploie un axe monumental qui se poursuit dans le jardin par un alignement de micocouliers et qui se ferme par un arc de cyprès fuselés. En contrebas, un jardin fruitier (actinidias, vignes, amandiers…) assure la transition agricole avec le paysage naturel boisé des collines situées en ligne de mire. Il existe aussi tout un entrelacs de parallélépipèdes forgés dans du chêne vert qui se croisent à angle droit, créant des chambres vertes, comme celles des tisanes, mais aussi autant de perspectives et d’échappées vers l’environnement. D’une belle originalité, un bataillon de colonnes de cyprès décrit un gigantesque arc de cercle sur la prairie sud.
Land art
La vaste prairie est, qui monte en pente d’abord douce puis plus escarpée jusqu’aux confins boisés des jardins, relève pour sa part du land art : à mi-pente, un chêne imposant s’entoure d’un gigantesque anneau de pierre blanche. Sur la droite, une allée ourlée d’oliviers et de cyprès de Provence monte jusqu’à la route. Autre leitmotiv : en ces jardins, les amandiers morts sont laissés sur place. Avec leur bois noir tortueux, ils composent de séduisantes sculptures naturelles, qui s’ajoutent à de nombreux éléments décoratifs, à l’image de structures en pierre ou en métal.
Par le raffinement de ses jardins et leur végétation méditerranéenne, la Chabaude révèle l’une de ses sources d’inspiration, l’Italie si proche. D’une sophistication non ostentatoire, ces jardins demeurent attrayants douze mois sur douze grâce à leurs plantes, persistantes pour la plupart. La contrainte – non négligeable – réside dans l’entretien méticuleux qu’exigent les nombreuses topiaires et haies. Deux jardiniers y veillent avec passion toute l’année. Voilà pourquoi, en son jardin de Californie, – même s’il l’a composé pareillement avec des jeux de feuillages –, Philippe Cottet a voulu se simplifier la tâche. « Je souhaitais créer un univers totalement différent et surtout sans taille », s’exclame-t-il avec un grand sourire.
L’élégance d’une bastide
Située sur le trajet de la voie romaine reliant l’Italie à l’Espagne, la bastide se compose d’un bâtiment d’habitation orienté nord-sud et d’un corps de ferme apposé sur son flanc ouest. Les façades affichent une belle simplicité mais sont relevées d’éléments architecturaux en pierre de taille. Une cour fermée au sud relie les deux constructions édifiées entre les XVe et XVIIe siècles. Les ruisseaux souterrains qui coulent sous la propriété ont été canalisés dans des tunnels de pierre et alimentent notamment un large bassin de pierre dans cette cour.
Après avoir été utilisée seulement comme ferme, la bastide avait été laissée à l’abandon. Parmi les seuls vestiges du jardin noble d’antan, les propriétaires ont retrouvé des structures de pierre en partie effondrées – grotte, bassins d’eau, murs du jardin noble nord, piliers d’entrée – ainsi que des essences du XVIIe siècle, chênes et platanes, tandis que la présence de nombreux amandiers rappelait l’histoire agricole récente de la propriété.