Querelle de clocher à Calais

Par Agathe Archambault

Date de publication : 26/09/2020

Temps de lecture : 5 minute(s)

L’église Sainte-Germaine de Calais dans le quartier du Pont-du-Leu est menacée. Trop coûteuse à entretenir, le diocèse veut vendre le terrain à un bailleur, ce qui entraînerait sa démolition. Riverains, paroissiens et associations se mobilisent pour sauver cette petite église Art déco et ses beaux vitraux. 

Construite entre 1928 et 1934, cette église de l’entre-deux-guerres dessinée par l’architecte Julien Barbier devait offrir une paroisse aux habitants de ce quartier résidentiel du sud de Calais, la ville étant alors en plein développement suite à l’implantation d’une usine de soie toute proche. Son architecture en brique est surmontée d’un clocher-porche édifié plus tardivement. L’intérieur adopte un style Art déco typique des années 30, avec notamment un beau chemin de croix orné de petits cartouches de mosaïques. 

Une église simple mais belle, qui comporte aussi des vitraux remarquables signés par le maître verrier Louis Barillet (1880-1948) et son atelier. Vingt-huit des cinquante et une verrières présentes dans l’église sont d’ailleurs inscrites à l’inventaire des Monuments historiques. Les deux rosaces du chœur, symbolisant l’Ancien et le Nouveau Testament, témoignent du style de ce vitrailliste qui cherchait à renouveler l’art du vitrail en s’inspirant notamment du Moyen Âge. Un « retour aux sources » auquel il insuffle une belle modernité à travers des formes qui se géométrisent ou des compositions misant sur l’émotion et la méditation plutôt que sur des représentations purement didactiques.

Louis Barillet est loin d’être un maître verrier mineur. Formé à l’école des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, il débute sa carrière comme médailleur avant de se tourner vers le vitrail religieux en 1912. L’atelier Barillet ouvre ses portes en 1919, en association avec Jacques Le Chevallier, puis Théodore Hanssen. Il a travaillé notamment avec l’architecte Robert Mallet-Stevens sur certaines constructions parisiennes, particulièrement sur la maison de Mallet-Stevens dans le XVIe arrondissement, ainsi que sur des décors pour le Salon d’automne de 1927 et 1929. 

Malgré l’indéniable valeur de ses vitraux et de ses décors, Sainte-Germaine est menacée. Le problème : le coût d’entretien de l’église est trop lourd à supporter pour le diocèse d’Arras, « un vrai gouffre », explique Lionel Delcroix, l’économe du diocèse. Plusieurs millions d’euros seraient nécessaires à sa rénovation, notamment pour refaire l’électricité, tandis que les sous-sols seraient « régulièrement inondés en raison du terrain marécageux sur lequel l’église a été construite ». Raison pour laquelle le diocèse envisage de se séparer des 4 500 mètres carrés du terrain en les vendant à un bailleur. Cette décision pourrait entraîner sa destruction car le bailleur envisagerait d’y construire des logements et, en partenariat avec le diocèse, de remplacer l’église disparue par un nouveau lieu de culte, plus petit. La décision devrait tomber en fin d’année. 

La mairie, malgré le récent classement « Ville d’art et d’histoire » de Calais, ne s’est pas prononcée dans cette affaire. L’EPAC, « Environnement et Patrimoines du Calaisis », association créée à la suite de la mobilisation pour défendre l’immeuble de l’architecte Roger Poyé a déposé une demande d’inscription à la Drac et lancé une pétition en ligne. Membre de l’EPAC et de l’association Urgences Patrimoine, Magali Domain témoigne de l’indignation des riverains et notamment des paroissiens qui regrettent déjà depuis quelques années que cette église soit si souvent fermée avec seulement une messe toute les trois semaines. « Le diocèse aiguille ses paroissiens vers une autre église », raconte cette défenseure du patrimoine calaisien en ajoutant : « Ce quartier résidentiel assez prisé de Calais perdrait son âme si Sainte-Germaine était détruite. »

Pour Magali Domain, l’argument de la non-viabilité du terrain ne tient pas : « Si le terrain justifie qu’on détruise l’église, qu’est-ce qui justifie alors qu’on y reconstruise des logements ? ». D’autant que Sainte-Germaine repose sur de solides fondations : 160 colonnes en béton sécurisent le plateau de ciment armé sur lequel elle s’élève. Des travaux d’une telle ampleur qu’ils consumèrent tout l’argent prévu pour la construction de l’église. Ce qui explique que le clocher-porche qui la couronne aujourd’hui ne fut élevé que dans les années 1980, grâce aux dons des paroissiens. « C’était il y a seulement quarante ans ! », souligne Magali Domain qui propose que la ville rachète l’édifice et, tout en conservant sa fonction cultuelle, lui offre une seconde vie : « Sainte-Germaine dispose d’un orgue et d’une excellente acoustique, pourquoi ne pas la rattacher au conservatoire de Calais ? ».

Partager sur :