Entre bétonisation et végétalisation, il semblerait que la ville de Paris ne sache plus sur quel pied danser. La dernière victime de cette politique incohérente ? Le Champ de Mars. Grand Palais éphémère au solide ancrage en béton – plus permanent qu’éphémère ! – et nouvelles allées cimentées au pied de la tour Eiffel font polémique.
Chaque année, 20 millions de visiteurs défilent sur le Champ de Mars. Cet espace vert monumental de 24 hectares met en perspective l’École militaire, la tour Eiffel et le palais de Chaillot. Ouvert au public en permanence, il accueille de nombreux évènements et des flopées de touristes venus admirer le site classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Sur cette masse de visiteurs, 7 millions font le pied de grue pour découvrir la tour Eiffel. Le célèbre monument s’est donc malheureusement doté d’inévitables structures inesthétiques, l’apanage du tourisme de masse.
En 2013, l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) avait réalisé une étude mettant en évidence des dysfonctionnements sur le Champ de Mars et émis des recommandations, dont certaines relatives à la nature des sols : simplifier les matériaux de sol, les adapter aux fréquentations, réduire les sols imperméables. La bétonisation semble pourtant aujourd’hui le nouveau parti pris. Au printemps, les allées situées au pied de la tour Eiffel, considérées comme trop endommagées et inadaptées à la fréquentation du site, ont été bétonnées. Une solution radicale.
De son côté, l’association des Amis et Usagers du Champ de Mars dénonce une privatisation récurrente du site et une occupation d’environ 200 jours par an. Il est vrai que les jardins sont malmenés : sur-fréquentation, piétinement, dégradation et aménagements faisant fi des perspectives monumentales. Enfin débarrassés du Mur de la Paix, installé depuis 20 ans sur le plateau Joffre, les jardins du Champ-de-Mars accueillent désormais une structure de 20 mètres de haut, le Grand Palais éphémère. Il vient de nouveau boucher la perspective sur la tour Eiffel et le palais de Chaillot et dissimulera la façade de l’École militaire, œuvre de Jacques-Ange Gabriel, jusqu’à l’automne 2024.
Ce projet de Grand Palais éphémère est contesté par de nombreux riverains et plusieurs associations, dont Sites & Monuments et les Amis et Usagers du Champ de Mars. Mais les recours déposés devant la justice administrative et la pétition lancée par la maire du 7e arrondissement, Rachida Dati, n’ont pas empêché les travaux de commencer. Cette structure temporaire, un projet de Jean-Michel Wilmotte réalisé par la société GL events, doit être inaugurée début 2021 et ne sera démontée qu’en 2024, après les Jeux olympiques. Cela permettra d’entreprendre la restauration du Grand Palais qui ne rouvrira que pour les Jeux. À ce propos, le ministère de la Culture a annoncé samedi 26 septembre l’abandon du vaste projet d’aménagement et de restauration élaboré par le cabinet Local Architectures Network. Pour la même somme – 466 millions d’euros –, le Grand Palais sera finalement restauré plus que transformé : un budget plus facile à tenir et un projet plus respectueux de l’édifice.
Mais cette restauration exige de proposer un autre lieu pour accueillir les nombreuses manifestations organisées habituellement au Grand Palais et le Champ de Mars n’y échappera pas. Il sera occupé pendant quatre ans et les solides piliers en béton coulés à 12 mètres de profondeur resteront après le démontage de la structure. Encore du béton ! Pourtant, en juillet 2020, Anne Hidalgo a annoncé vouloir adapter le Plan local d’urbanisme de la capitale à l’urgence climatique. Nouveaux objectifs annoncés : neutraliser l’artificialisation des sols et plus de végétalisation. Mais une question nous démange : on commence quand ? Plutôt que de créer de nouveaux espaces verts, conservons ceux dont on dispose déjà !
En janvier 2018, la ville de Paris a lancé une consultation internationale pour le réaménagement du site de la tour Eiffel. Le projet lauréat est proposé par l’agence Gustafson Porter + Bowman et conduit par l’architecte paysagiste Kathryn Gustafson. © GP+B Le projet « Grand site tour Eiffel » a pour objectif de créer un nouveau parc urbain au cœur de Paris et de doter la tour Eiffel des meilleurs standards touristiques internationaux. La priorité sera faite à la végétalisation et aux mobilités douces. © GP+B
Là est l’incohérence de la politique menée par la ville sur le sujet. Durant son précédent mandat, la maire de Paris se targue d’avoir planté plus de 20 000 arbres et ouvert au public 30 hectares d’espaces verts supplémentaires. Mais combien d’arbres ont été sacrifiés et de surface bétonnée pour densifier la ville ? On se rappelle les arbres centenaires de la rue de Navarre (Paris 5e) victimes d’un projet immobilier et de nouveaux lieux sont sans arrêt menacés par la bétonisation. Le jardin de la maison du Carrier dans le 14e et l’île Seguin sont deux exemples et on pourrait facilement en trouver d’autres. Quelle part est donc réellement accordée aux espaces verts dans les derniers projets urbains parisiens ? Sans doute bien peu, mais Paris n’est pas un cas isolé. Car si l’État affiche un nouvel objectif zéro artificialisation, dans les faits ce sont entre 16 000 et 61 000 hectares qui sont soustraits à la nature chaque année.
Finalement, les riverains du Champ de Mars devraient récupérer l’intégralité de leurs jardins d’ici la fin de l’année 2024. Les piliers en béton auront disparu sous 1,50 mètres de terre et les fontaines du plateau Joffre – contraintes à une hibernation de quatre ans sous le béton – auront refait surface. Si l’on en croit le projet de réaménagement du site, deux hectares d’espaces verts supplémentaires sont même prévus. Les simulations du projet, qui donne la priorité à la végétalisation et au rétablissement des perspectives de l’axe monumental, sont assez séduisantes. Un Champ de Mars en apparence délivré du béton.