L’épidémie de Covid-19 a confirmé des tendances lourdes et accéléré ce qui n’était que des signaux faibles. Parmi les enseignements de cette période, notons le retour de la famille. Pour affronter le confinement, nombre d’enfants – ados et adultes – ont retrouvé le nid parental, nombre de grands-parents ont rejoint le domicile de leurs enfants, recréant ainsi ces ensembles qui, jadis, mêlaient plusieurs générations sous le même toit. Face à l’épreuve, dès qu’elles l’ont pu, les familles se sont reconstituées.
Notre confrère Le Figaro s’en faisait en partie l’écho cet été : le confinement a été l’occasion de redécouvrir le plaisir et l’utilité des maisons de famille, vastes espaces où se croisent et se construisent les générations.
À l’heure de l’hyper-connectivité, de la mondialisation des réseaux et de l’individualisme, la famille a donc retrouvé sa valeur refuge. L’homme serait-il effectivement un animal social, comme l’affirme Aristote ? Le confinement a permis de redécouvrir la nécessité du contact et de l’échange dont nous ont privés l’isolement et l’éloignement, autant que le besoin d’aller et venir librement, ce qu’ont annihilé les restrictions de circulation. Il a aussi réveillé, comme une urgence, ces besoins de nature et d’humanité qui nous fondent et que nous avions peut-être oubliés.
L’épisode de la Covid a mis en exergue un autre point : l’importance de la proximité. Rarement le boulanger de la place, les produits des producteurs du coin, ou cette épicerie voisine joignable à pied ou à vélo n’ont eu une telle importance. Rarement les échanges avec son fromager ou son poissonnier – ses difficultés d’approvisionnement, la qualité de tel ou tel produit, sa proposition de vous livrer – n’ont autant été au centre de nos vies. Les bourgs, les cœurs de villages, les quartiers ont retrouvé leur place. Car la proximité, c’est la confiance. Le fromager a un visage, un nom, nous savons comment il fabrique ses produits. Le confinement nous a invités à consommer moins mais mieux, à moins nous déplacer.
Là où l’individualisme régnait, le bien commun a repris de l’espace.
Difficile de ne pas penser à l’appel du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités locales relayé par de nombreuses associations, à ré-habiter les cœurs de ville ou les villages désertés. Réinvestir le patrimoine existant, c’est faire vivre le bâti, lutter contre l’étalement urbain (et réduire la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, ainsi que l’utilisation des voitures, la multiplication des ronds-points, etc.), redonner vie aux villages et donc favoriser les espaces publics, les commerces, les écoles, les crèches, bars, boulangeries, bureaux de postes, etc.
Le signal était de moins en moins faible, aujourd’hui il est évident : l’avenir doit prendre ses racines dans nos territoires. « Ce n’est pas au sommet que les finalités prennent leur sens. C’est au niveau où elles sont effectivement vécues. », écrit Michel Crozier (L’acteur et le système, Le Seuil, 1977). Les processus de transformation se réalisent efficacement au plus près du terrain : « La marge de liberté et la conscience de la réalité vécue y sont telles que c’est là […] que les finalités du changement peuvent être les plus claires (Crozier). » Les processus sociétaux de transformation s’ancrent dans les pratiques des habitants, des entreprises et des collectivités. Non seulement ces acteurs sont à même d’arbitrer au mieux les priorités, mais de plus, « de Herbert Simon à la neurologie moderne, nous savons que la décision humaine est marquée par le registre de l’émotion : nous agissons différemment au sein d’un collectif, selon que celui-ci constitue une multitude abstraite ou un ensemble dénombrable et proche ; et selon que le changement nous est imposé ou bien que nous y sommes guidés (François Grosset, Pour une métropole circulaire, ici et maintenant, Futuribles N°436) ».
Vue du village d’Argenton-sur-Creuse, dans l’Indre. © Bernard Galéron
Si c’était là, aussi, une des vertus du « patrimoine » ? Car ce dernier ne se réduit pas aux châteaux royaux. Il est cet ensemble de vieilles pierres – châteaux, manoirs, belles demeures ou simples maisons de bourgs, hérités ou acquis – qui somnole au cœur des villes et villages dans l’attente d’un nouvel avenir.
Le confinement forcé nous montre l’importance de réinvestir notre patrimoine, pour (re)découvrir la vie simple des quartiers, la valeur des liens sociaux, de l’humain, de la communauté, autour d’un noyau que l’individualisme tend à effacer, la famille.
Comme hier, c’est dans nos racines, en fin de compte, que se joue l’avenir de l’homme.