« Représenter l’histoire a permis à la bande dessinée de se légitimer »

Par Agathe Archambault

Date de publication : 06/10/2020

Temps de lecture : 5 minute(s)

De Pinchon à Jodorowsky, le château de Versailles n’a jamais cessé de fasciner les auteurs de bandes dessinées. Il devenait urgent de les exposer ! Un défi qu’a relevé Jacques-Erick Piette, co-commissaire de l’exposition. Interview.

Comment avez-vous sélectionné les auteurs exposés ? 

Nous avons commencé par mener une grande enquête pour identifier les albums et les séries qui s’étaient intéressés à Versailles. En veillant à adopter un angle très large, c’est à dire en s’intéressant aussi aux représentations des personnages et évènements historiques qui sont associés à Versailles : Louis XIV, Louis XVI, la Révolution française… C’est ainsi que nous avons recensé plus d’une centaine d’albums uniques ou de séries. Sur cette centaine d’albums, il a ensuite fallu identifier les planches qui nous intéressaient, puis dénicher les originaux auprès des éditeurs et des auteurs, mais aussi auprès d’institutions comme le musée de la bande-dessinée à Angoulême. Pour en arriver enfin à ce qui est présenté dans l’exposition : une centaine de dessins originaux d’une quarantaine d’auteurs différents. 

Une grande enquête dans l’histoire de Versailles, mais aussi dans l’histoire de la bande dessinée ? 

Dans l’histoire de Versailles inévitablement, car nous avons réuni des albums qui ont trait à Versailles dans ses différentes phases d’occupation, depuis le pavillon de chasse de Louis XIII jusqu’au Versailles plus contemporain. Mais aussi bien sûr dans l’histoire de la bande dessinée car les planches présentées s’étalent de la toute fin du XIXe/début XXe – avec une planche de Bécassine datée de 1905 – jusqu’à des publications très récentes. Une sélection qu’on a souhaité exhaustive, pas dans le sens où l’on expose la totalité des représentations de Versailles dans la BD, mais par la diversité des regards qui sont portés sur le château. Des regards divers, mais aussi des techniques de dessins très différentes : crayon, gouache, aquarelle, numérique…

Certains auteurs viennent-ils dessiner sur place ? 

Il y a différentes manières de se documenter selon les auteurs : certains travaillent à partir de sources livresques, d’autres de représentations d’époques ou de photographies, mais aussi sur place en échangeant avec le conseil scientifique des conservateurs du château. Patrice Pellerin notamment, dont plusieurs planches originales de sa série L’Épervier sont présentées dans l’exposition, a beaucoup échangé avec des membres de la conservation pour reconstituer, avec une précision exceptionnelle, les appartements de Louis XV à Versailles, dans lesquels se déroule une partie de son récit. 

Reconstitution historique pour certains mais aussi prise de liberté pour d’autres ? 

Oui, les regards et les représentations varient énormément. Dans l’album Olympes de Gouges, l’illustratrice Castel Muller a adopté un regard très historique, mais davantage porté sur les personnages et les évènements. Tout comme Olivier Pâcques pour la série Loïs ou le très récent Révolution signé Florent Grouazel et Younn Locard. Patricia Lyfoung porte, elle, un regard assez libre sur Versailles, dans le genre bande-dessinée d’aventure, avec la série La rose écarlate. Même la science-fiction s’est invitée à Versailles avec par exemple la série Versailles d’Eric Liberge, ou encore Les chevaliers d’Héliopolis, illustrés par Jérémy Petiqueux sur un scénario d’Alejandro Jodorowsky, qui réécrit complètement l’histoire ! On présente aussi une planche de Didier Tronchet tirée de la série Le peuple des endormis qui met en scène un personnage cherchant à s’attirer les faveurs du roi en faisant venir à la cour des animaux exotiques. C’est aussi ce qui nous a intéressé dans nos recherches : trouver des auteurs à contre-emploi de ce qu’on attendait spontanément mais qui se sont aussi emparés de Versailles. 

Comment expliquez-vous le succès de la bande dessinée historique en France ? 

Le récit historique a été un vrai levier de légitimation pour la bande dessinée ! Que ce soit à des fins pédagogiques ou de divertissement, cette caution historique a permis de positionner la bande dessinée comme un art pédagogique pour les enfants, mais aussi intéressant pour un lectorat adulte. Une légitimité qu’elle a aussi gagné en adaptant des grands classiques de la littérature, des biographies… Sans oublier bien sûr l’intérêt commercial : l’histoire est un genre qui passionne les français et qui se vend plutôt bien. Une histoire de France dans laquelle Versailles fait bien sûr figure d’icône : un dessin de la cour de marbre ou du parterre de l’Orangerie suffit à convoquer tout un imaginaire issu d’autres lectures, mais aussi de souvenirs. La bande dessinée contribue d’ailleurs grandement à la diffusion de cet imaginaire qui a même gagné l’international, notamment le Japon et ses fameux mangas. Un rayonnement incroyable pour Versailles !

« Versailles dans la bande dessinée », du 19 septembre au 31 décembre  2020 dans la Salle du Jeu de Paume à Versailles, entrée gratuite.

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