Capitale historique de la Cornouaille et chef-lieu du Finistère, Quimper fait partie de ces rares villes dont le nom évoque une production manufacturée. Depuis maintenant plus de trois siècles, on produit de la faïence sur les rives de l’Odet. La manufacture Henriot, qui conserve dans ses greniers un ensemble exceptionnel de moules et de plâtres, est l’unique héritière de cette riche histoire. Elle poursuit cette tradition d’un produit intégralement créé et décoré sur place.
C’est l’absence de concurrence et le possible développement d’un marché qui motive le Provençal Jean-Baptiste Bousquet, potier et maître pipier, à venir s’installer dans la région de Quimper en 1699. Il s’implante à Locmaria, paroisse proche de Quimper, afin de bénéficier du petit port voisin, du cabotage sur l’Odet et donc d’un approvisionnement aisé en matières premières. Cette situation garantit en outre que les productions pourront être diffusées au moins sur toute la côte atlantique. Son fils Pierre, déjà faïencier à Marseille, le rejoint bientôt. Ne trouvant pas localement la terre souhaitée, il la fait venir de Marans, en Aunis, de Fronsac, près de Bordeaux, ou encore de Rouen.
En 1791, alors que la paroisse de Locmaria est intégrée à Quimper, les héritiers des Bousquet, les La Hubaudière, figurent parmi les manufacturiers importants de la place. Leur entreprise, la Grande Maison de La Hubaudière (HB), emploie plus d’une centaine d’ouvriers. Certes, la concurrence existe mais elle reste modeste. On compte en 1802 respectivement vingt-huit ouvriers chez Eloury et seulement trois chez Dumaine. Dans le cours du XIXe siècle, à la différence d’autres manufactures françaises de céramique, les entreprises quimpéroises se développent. La famille de La Hubaudière est bien présente tandis que se renforcent les manufactures Eloury (future Porquier) et Dumaine (future Henriot). C’est chez Porquier qu’il faut trouver l’origine des constructions de l’actuelle manufacture.
La « guerre des Jules »
Le XXe siècle apporte de nombreux bouleversements. En 1905, la manufacture ferme ses portes, après avoir connu une période brillante durant le dernier quart du siècle précédent. Se retrouvent face à face la Grande Maison HB et la manufacture Henriot, dont Jules Henriot est le directeur depuis 1891. Henriot rachète l’ensemble du fonds produit par Porquier. Juste avant le premier conflit mondial, la manufacture HB se retrouve en situation aussi délicate que son ancienne concurrente Porquier. Le dernier héritier se résout à la vente d’un ensemble immobilier conséquent, qui couvre une très grande partie du faubourg de Locmaria.
Jules Henriot tente de racheter l’ensemble, mais c’est finalement Jules Verlingue, faïencier originaire de Boulogne-sur-Mer, qui s’impose. Il apporte avec lui une technicité qui faisait défaut et introduit notamment le coulage. Dès 1918, après l’achat d’une partie du site Porquier, il déplace l’outil de production des locaux historiques vers les bâtiments toujours en activité aujourd’hui. En parallèle, la manufacture Henriot se développe en amont de la rivière. Henriot et HB se livrent à une féroce concurrence durant les décennies suivantes. Les commentateurs, en référence aux prénoms des deux directeurs, évoquent alors la « guerre des Jules » !
Fusions et métamorphoses
Après la Seconde Guerre mondiale, la manufacture Henriot connaît des difficultés. À la fin des années 1960, elle est absorbée par sa concurrente. Le personnel est conservé, les modèles et les décors repris. Fait étonnant, la production estampillée Henriot perdure. Ouvriers et réalisations des deux manufactures coexistent, maintenant deux marques distinctes au sein d’une même entreprise sous la raison sociale « Faïenceries de Quimper ». Cependant, l’ensemble de la production est regroupé dans l’enceinte, agrandie, des bâtiments HB. Au début des années 1980, les Faïenceries de Quimper doivent déposer le bilan. L’affaire est reprise par des investisseurs sous direction américaine. La marque évolue, devenant HB-Henriot, alors que les productions se simplifient, le catalogue ne présentant plus qu’une sélection de modèles et décors issus des deux manufactures.
Ne gardant que l’outil de production, la direction se sépare du fonds historique de faïences et grès. L’ensemble de ces céramiques, qui était présenté dans les locaux des manufactures, forme le fonds du musée de la Faïence de Quimper. Cependant, moules, plâtres originaux ainsi que de très nombreux poncifs (feuille de papier à dessin piquée de petits trous servant à reporter le motif sur la pièce à décorer) demeurent la propriété de la manufacture. Après avoir connu de nouvelles vicissitudes, celle-ci est de nouveau cédée en 2011. Jean-Pierre Le Goff en devient le président-directeur général. L’effectif est revu à la baisse et les locaux sont réorganisés. La nouvelle direction choisit alors de supprimer de sa marque commerciale la référence à la manufacture la plus légitime historiquement, HB-Henriot, pour prendre le seul nom d’Henriot.
Sur un air de folklore
Au fil du temps, la simplification dans laquelle la production de la céramique s’était engagée, notamment pour des considérations de coûts, a eu tendance à discréditer l’ensemble de la création. Petits Bretons stylisés et motifs aux couleurs flatteuses rencontrant un large succès commercial, bien des puristes se refusaient à prendre en considération ces productions pourtant riches et diversifiées. Techniquement, il faut parler de céramique, terme qui permet d’inclure les poteries, terres vernissées, faïences et grès sortis des fours quimpérois. Les manifestations liées à la célébration du tricentenaire de la faïence de Quimper en 1990 – même si le choix de 1999 eût été plus fidèle à la réalité historique – permirent à de nombreuses personnes de redécouvrir cet art décoratif local. Alors que les Quimpérois se réappropriaient leur patrimoine, amateurs, chercheurs et pouvoirs publics prenaient conscience de ce riche passé, encore si vivant.
Dès le XVIIIe siècle, outre une production de céramiques utilitaires, des faïences d’une très belle richesse formelle et qualitative sont fabriquées à Quimper. Les décors sont essentiellement d’influence rouennaise et nivernaise. La mode consistant à reprendre de grands styles historiques se poursuit durant le siècle suivant, même si elle perd au fil du temps de son attractivité. Dans les années 1870, l’arrivée d’Alfred Beau, peintre sur faïence, chez Porquier, contribue au renouvellement des décors. Le regard porté par les voyageurs sur l’identité bretonne amène les autochtones eux-mêmes à mettre en scène leurs spécificités. De riches décors illustrant des scènes bretonnes apparaissent. Les costumes, en premier lieu, deviennent un élément facilement identifiable pour le public. L’inspiration est souvent puisée dans les recueils lithographiques édités au XIXe siècle. Les clients sont au rendez-vous. Alors que le tourisme se développe dans la péninsule – le train arrive à Quimper en 1863 –, on exalte le caractère « authentique » d’une Bretagne dont la singularité, à en croire certains commentateurs, serait menacée. Bien sûr, ces créations n’échappent pas aux clichés véhiculés sur la région.
Dessinés par Robert Micheau-Vernez, ce couple de Bigoudens est destiné à rester monochrome. Ces créations sont appelées Les Blancs de Quimper. Plâtre du Buste de Madame Jadenik Cueff réalisé en 1928 par Louis-Henri Nicot, élève des Beaux-Arts de Rennes, puis de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. La femme représentée porte une coiffe de Pont-Aven.
Ce « genre breton » connaît son heure de gloire avant la Première Guerre mondiale. Se simplifiant et perdant en qualité, il reste représenté pendant une grande partie du XXe siècle, masquant la diversité d’une production artistique particulièrement foisonnante dans l’entre-deux-guerres, qui voit les deux manufactures s’affronter tant sur la scène locale qu’au niveau national. Les grandes expositions internationales organisées à Paris à l’époque (1925, 1931, 1937) donnent l’occasion aux céramistes quimpérois de tendre à l’excellence. La période est marquée par une intense collaboration avec des artistes. Le contenu des greniers est le reflet de la vitalité créatrice de cette époque. Chaque entreprise cherche à attirer les sculpteurs ou peintres les plus populaires régionalement, à utiliser leur présence à des fins publicitaires. Ponctuellement, certains artistes viendront prêter main-forte pour des manifestations atypiques (notamment l’Exposition coloniale de Paris en 1931).
Une caverne d’Ali Baba
Après la reprise d’Henriot par la manufacture HB, les locaux de la première usine sont peu à peu évacués. Les moules et plâtres sont compris dans ce déménagement. À en juger d’après les œuvres actuellement visibles, on constate qu’un tri s’est opéré. Les plâtres illustrent majoritairement l’histoire de la manufacture HB. De Henriot ont été conservées en priorité les pièces des artistes encore édités après cette fusion. Un inventaire scientifique et exhaustif des greniers n’a jamais été effectué. Certains modèles ont été abîmés par les déplacements ou des infiltrations dues à des problèmes de toiture. Véritable caverne aux trésors pour les amateurs de céramique de Quimper, ils constituent le précieux témoignage d’un bouillonnement artistique.
Le temps semble suspendu dans ce lieu où, sous de vastes charpentes, des rangées d’étagères portent des plâtres aux origines illustres ou méconnues. Rescapées de la manufacture Henriot historique, quelques pièces de Mathurin Méheut des groupes de danseurs de Robert Micheau-Vernez se détachent dans une semi-pénombre… Du côté de chez HB, des plâtres de René Quillivic, de Georges Robin, d’Henriette Porson côtoient des céramiques d’inspiration coloniale telles que La Porteuse d’eau égyptienne, de François Bazin, ou La Femme du Fouta Djallon, d’Anna Quinquaud. Dans le silence de ces réserves, les conflits entre les manufactures semblent enfin apaisés et les créations des artistes, attendre celui qui les remettra en lumière.
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