L’impact catastrophique de notre mode de vie – et donc de nos conditions d’existence – n’en finit plus d’inonder les médias. Si le changement climatique reste le fer de lance de cette prise de conscience, il n’est malheureusement pas le seul facteur de dégradation massif et irréversible de notre planète : la pollution plastique, la résistance aux antibiotiques, la disparition des matières premières minérales et métalliques, la baisse drastique des insectes pollinisateurs et des oiseaux, etc. sont autant de catastrophes malheureusement déjà engagées.
Le rapport du GIEC de 2018[1] le confirme : pour un maintien du réchauffement en-deçà de 2 degrés à la fin du siècle, il faut impérativement diviser par deux les émissions de GES[2] d’ici 2030, puis par 10 à partir de 2050[3].
« La maison brûle[4] », pour reprendre une expression du président Jacques Chirac. Comme l’écrit joliment mais sans concession François Grosse : « Le défi qui nous revient n’est donc plus de progresser mais de résoudre : la transition écologique n’est plus une cible lointaine, réservée aux générations futures, mais une nécessité́ immédiate concernant chaque habitant à l’échelle des pays entiers. À défaut d’y parvenir, les humains de 50 ans connaitront des effets dramatiques de leur vivant, et les enfants d’aujourd’hui les supporteront durant la majeure partie de leur existence[5]. »
Vue partielle du Grand Théâtre de Provence, conçu par l’architecte Vittorio Gregotti. Inauguré en 2007, le bâtiment fait partie du Forum culturel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), complexe situé dans le prolongement des Allées provençales. Aujourd’hui on donnerait sans doute une plus grande part au végétal dans cet ambitieux projet des années 2000. © Michel Vialle
Face à l’urgence, deux solutions concomitantes s’imposent : réduire drastiquement les émissions de GES, et se préparer à l’inévitable. En effet, compte tenu de l’inertie du climat, le changement climatique des 20 prochaines années est scellé. Même si l’on réduisait considérablement les émissions de GES à l’instant, il faudrait une ou deux décennies minimum pour en voir les effets. Ce qui veut dire que le climat va continuer à changer (record de températures estivales et hivernales, record de sécheresse, brefs mais violents épisodes de pluie, etc.) et qu’il faut donc immédiatement engager les chantiers qui nous permettront d’y faire face.
Nous ne détaillerons pas toutes les actions à mener. Elles sont connues et sont l’affaire de tous, des citoyens comme des entreprises ou des politiques. Plus on attend, plus les dégâts seront nombreux et importants, et moins on aura de choix.
Comme le soulignait une journée de travail organisée récemment au ministère de la Culture[6], le changement climatique aura des conséquences sur le patrimoine, et inversement, le patrimoine peut représenter une opportunité pour lutter contre le changement climatique.
Au-delà de la baisse drastique – et incontournable – des émissions de GES, il existe de nombreuses solutions. Mais à l’occasion de la sortie de la nouvelle édition de l’excellent ouvrage Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal, de Caroline Mollie (Actes Sud), arrêtons-nous sur les arbres, « fondement de notre patrimoine végétal urbain (Mollie) ».
Le patrimoine ne peut être regardé en dehors du lieu – de l’espace – qui l’abrite. Karlfried Graf Dürckheim évoque la contre-forme, indissociable de la forme. Aussi la patrimoine – ou la ville – « n’est pas un objet isolé du monde comme une bête bizarre dans un parc zoologique, comme un Indien dans une réserve (…). Au contraire, il doit être perçu comme faisant toujours partie du tissu vivant d’un pays, accessible sans hiatus, de plain-pied, avec la vie quotidienne (Anne-Marie Lecoq). »
L’arbre n’a pas toujours habité les villes, surtout lorsque les rues étaient étroites, comme ici à Angers (Maine-et-Loire), rue Saint-Aignan. © Bernard Galéron Véritable mise en scène de l’entrée de la ville au XIXe siècle, l’avenue Feuchères, à Nïmes, est bordée d’immeubles et d’hôtels particuliers luxueux. Sa création a été votée en 1841 et il est décidé qu’elle sera plantée d’arbres. © Bernard Galéron
Hormis celui, unique, de la place centrale, l’arbre n’a pas toujours habité les villes, surtout lorsque les rues étaient étroites et les maisons serrées derrière des enceintes. C’est au duc de Sully que nous devons, à partir du XVIIe siècle, la plantation des ormes le long des grands chemins et dans les villages. Comme le rappelle Pierre Lieutaghi[7], « c’est d’abord parce que leur bois est indispensable aux charrons et aux arsenaux pour les affuts ». « Emboitant le pas à l’engouement de l’Ancien Régime finissant pour les promenades et les mails, ajoute-t-il, la République se fera la principale propagatrice de l’arbre urbain et d’alignement – le plaisir des yeux et le bien-être du promeneur se distribuant plus facilement que la fortune. » Le XXe siècle, avec l’apparition de la voiture, se chargera de faire place nette – surtout le long des routes – les arbres ayant la mauvaise habitude de se jeter sous les roues des automobilistes.
Aujourd’hui, la végétalisation de la ville et le retour des arbres devraient être décrétés urgence nationale. Les raisons sont nombreuses. Surtout si, comme cela est pressenti, 68 % de l’humanité vit en ville en 2050.
Replanter des arbres, c’est d’abord mener une politique climat permettant de réduire les émissions de GES (l’arbre piège les émissions de CO2, il fournit de plus des biomatériaux et une énergie à faible impact carbone), tout en s’adaptant aux intempéries qui ne manqueront pas d’advenir. C’est transformer les villes à risque en villes résilientes, notamment face aux inondations (en participant à la gestion des eaux fluviales) ou aux îlots de chaleur urbains (en améliorant le climat urbain).
L’arbre purifie l’air car le couvert végétal réduit la pollution atmosphérique. Il participe à la vitalité de la biodiversité urbaine. Il contribue aussi au bien-être des habitants car il améliore la qualité de vie. « De nombreuses études montrent que la végétation en milieu urbain a un effet positif sur les émotions individuelles et collectives (…). Les arbres reposent la vue et l’esprit, apaisent les tensions, stimulent les interactions sociales et améliorent la santé mentale [8]. »
L’arbre est un patrimoine vivant, le plus à même de composer avec les volumes architecturaux. « L’architecture prend du sens à partir du moment où elle est habillée de végétal », comme le rappelle Nicolas Jan-Ailleret, architecte à Fontainebleau.
Enfin, rappelons-nous la fable de La Fontaine, Le vieillard et les trois jeunes hommes :
« Un octogénaire plantait (…).
Des jeunes gens lui demandent : « Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ? »
(…) Il leur répond : « Mes arrière-neveux me devront cet ombrage. » »
Planter des arbres, c’est offrir aux jeunes générations les frondaisons de demain. Dans notre civilisation de l’éphémère, c’est inscrire le monde dans la durée – un siècle voire un siècle et demi pour les arbres les plus imposants s’ils ont les conditions de croissance nécessaire –, c’est rappeler que notre présent s’éclaire des soins de ceux qui nous ont précédé. Non seulement il faut s’en montrer digne, mais il est de notre devoir d’en faire autant.
[1] 5. GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Global Warming of 1.5°C, Genève : GIEC, 2018.
[2] GES : gaz à effet de serre. Plusieurs gaz sont responsables de l’effet de serre, les trois principaux sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Le CO2 est principalement induit par la consommation d’énergie (électricité́, chaleur, transport, etc.) alors que le CH4 et le N2O sont pour leur part principalement issus du secteur agricole.
[3] Grosse, François, Pour une métropole circulaire, ici et maintenant, Futuribles, N°436.
[4] « La maison brûle et nous regardons ailleurs », phrase d’ouverture du discours de Jacques Chirac, président de la République française, devant l’assemblée plénière du IVᵉ Sommet de la Terre le 2 septembre 2002 à Johannesburg, en Afrique du Sud.
[5] Grosse, François, Pour une métropole circulaire, ici et maintenant, Futuribles, N°436.
[6] 17 Septembre 2020: Cultural heritage and climate change: new challenges and perspectives for research, JPI Climate.
[7] En préface de l’ouvrage de Caroline Mollie, Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal (Actes Sud).
[8] Collectif, L’arbre en milieu urbain, acteur du climat en région Hauts-de-France, 2018, ADEME.