Du 15 octobre au 23 décembre 2020, la galerie Lelong & Co présente l’exposition « Ma Normandie » qui regroupe une dizaine de peintures récentes du célèbre artiste anglais, David Hockney. L’occasion parfaite de nous pencher plus largement sur la façon dont les artistes comme Hockney, mais aussi Latour, Monet ou Vallotton se sont appropriés la région normande et son patrimoine.
Installé depuis quelques mois à Beuvron-en-Auge, l’un des plus beaux villages de France, Hockney profite du calme et du silence pour peindre la région – à sa manière. Aficionado de la technologie, il a réalisé ces illustrations normandes au moyen d’une tablette numérique, à l’aide de l’application Brushes, qu’il a rendu célèbre en 2010, lors de l’exposition « Fleurs fraiches, dessins sur iPhone et iPad ». L’exposition de la galerie Lelong & Co n’est donc composée que d’impressions, travaillées, imprimées, retravaillées puis réimprimées par l’artiste anglais. Hockney peint ce qu’il voit : au début de l’année 2020, il assiste à l’arrivée du printemps en terre normande. Le pays d’Auge, où il a élu domicile, est un territoire fertile et pittoresque, celui de la Normandie des cartes postales. Coin de nature apprécié des Parisiens comme des Anglais pour son calme et son architecture typique, beaucoup y ont établi leur résidence secondaire.
L’artiste, bien connu pour ses œuvres figuratives et ses tendances cubistes, y vit depuis la fin de l’année 2019. Il a choisi pour atelier une ancienne ferme dont la datation oscille entre le XVIe et le XVIIe siècle. Grande demeure à colombages, elle est typique de la région dont les nombreuses forêts de chêne permettent une vaste possibilité de constructions en pans de bois. Il serait faux de penser que l’architecture normande n’a qu’une vocation esthétique : elle a surtout été conditionnée par les ressources et les matériaux présents sur le territoire, le bois ayant longuement été le seul mode de construction en pays d’Auge et en Haute-Normandie. Le torchis, mélange d’eau, de paille, de sable et de limon se retrouve lui aussi dans l’architecture domestique normande. Souvent utilisé comme matériau de remplissage des pans de bois, il protège ces derniers en absorbant l’humidité qui pourrait les abîmer. Sa couleur claire offre un contraste avec le bois et donne cet aspect chaleureux à l’édifice. En plus d’être un très bon isolant thermique et acoustique, le torchis a la faculté d’être peu onéreux et simple de fabrication comme d’utilisation, ce qui en a fait un matériau de choix pendant des siècles. Pour admirer ce patrimoine domestique unique, il suffit d’emprunter la route des chaumières : superbe promenade de 53 kilomètres traversant – entre autres – les villages de Trouville-la-Haulle, du Bouquelon ou encore du Marais-Vernier, elle propose à celui qui l’emprunte un itinéraire bucolique bordé de demeures typiquement normandes.
Cette architecture traditionnelle, Hockney se l’est réappropriée dans des œuvres numériques aux couleurs vives, presque fluorescentes et aux aplats en toile de fond. L’artiste anglais peint sa maison et celles de son village. Bien que ses représentations soient relativement simplistes, les caractéristiques majeures de l’architecture normande demeurent : parmi les pommiers et les arbres en fleurs, les maisons arborent les fameux colombages et le toit de chaume à croupe débordante.
Si la Normandie est aussi attractive, c’est qu’elle compte également plusieurs grandes villes : Rouen, Caen et Le Havre concentrent toutes trois entre 100 000 et 200 000 habitants. Bien qu’Hockney n’ait représenté que la campagne normande, nombre de ses prédécesseurs se sont attachés à peindre ces villes. Parmi eux, Monet, dont la série de 30 tableaux Cathédrale de Rouen est connue de tous. Chef d’œuvre de l’art gothique, l’édifice, en perpétuelle évolution, a été partiellement détruit et reconstruit de nombreuses fois du XIIe siècle à aujourd’hui. Si de tous temps, les cathédrales ont brûlé – les drames récents nous le prouvent encore aujourd’hui – celle de Rouen a particulièrement souffert. Victime d’un gigantesque incendie en 1200, elle est reconstruite grâce au mécénat de Jean Sans Terre, qui place beaucoup d’argent dans sa reconstruction et celle des demeures aux alentours. En 1514, la flèche gothique d’origine disparait dans un incendie. En 1822, c’est au tour de celle qui la remplace, faite de bois et de plomb, d’être détruite par la foudre. Enfin, au XXe siècle, le feu gagne plusieurs fois la cathédrale, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale, occasionnant de nouveaux dégâts. De ces reconstructions successives, l’édifice garde une asymétrie qui lui vaut le surnom de « cathédrale humaine ». Sa façade est donc le fruit du travail de nombreux artistes, architectes et artisans qui se sont succédés au cours des siècles. Elle conserve cependant une certaine homogénéité grâce au chapitre de la cathédrale qui, malgré l’épanouissement du style Renaissance en France, reste profondément attaché à l’esthétique gothique.
Monet commence à peindre la cathédrale en février 1892, alors qu’il séjourne à Rouen pour la première fois. Pendant plus d’un an et depuis divers emplacements, il représente l’édifice à différentes heures du jour et par tous les temps, conférant à sa série une vaste palette de couleurs et de tonalités. Le figuratif et la représentation concrète laissent alors place à l’impression et aux jeux de lumière.
Aujourd’hui, la cathédrale de Rouen s’offre une nouvelle jeunesse grâce à l’œuvre innovante de l’artiste Yadegar Asisi. L’artiste allemand propose des panoramas numériques associant dessins, peintures et photographies qu’il modélise en 3D et expose à 360° dans des structures immersives, tel que le Panorama XXL à Rouen. Depuis le mois de juillet, Asisi expose sa dernière production, « La cathédrale de Monet, l’espoir de la modernité », plongeant le spectateur dans une fresque numérique reconstituant la ville et son ambiance de fin du siècle. Véritable hommage au père de l’impressionnisme, le panorama se construit autour de la série des cathédrales, qu’Asisi a longuement retravaillée et enrichie numériquement.
Il est difficile d’évoquer Rouen par le prisme artistique sans citer Léon Jules Lemaître. Né en Normandie en 1850, il y meurt en 1905. Entre les deux, l’artiste – qui fût notamment l’élève de Jean Léon Gérôme – entreprend de peindre Rouen et son patrimoine sous toutes ses formes. Son œuvre compte notamment une série de plusieurs tableaux représentant le Gros-Horloge, l’un des monuments emblématiques de la ville. Construite entre 1389 et 1398 par Jean de Bayeux, la tour de style gothique arbore une horloge astronomique à deux cadrans. Datée du XVIe siècle, ce chef-d’œuvre d’horlogerie que l’on doit à Jean de Felain indique l’heure à l’aide d’une unique aiguille qui, associée au tintement quotidien des cloches, suffisait à régir la vie des travailleurs rouannais. Elle affiche également les jours de la semaine dans un disque mobile situé sous le cadran. En son centre, un agneau, symbole de la ville de Rouen qui a connu la prospérité grâce au commerce de la draperie teinte en laine. De l’autre côté de la tour, la seconde face de l’horloge donne à voir les signes du zodiaque. Elle compte parmi les plus anciennes horloges du pays et, bien qu’elle soit aujourd’hui électrique, son mécanisme d’origine fonctionne encore. L’huile sur toile, peinte par Lemaître vers 1890, s’inscrit dans la continuité de l’École de Rouen, qui s’intéresse à la touche postimpressionniste et qui dérivera, à la toute fin du siècle, vers le pointillisme.
Moins connue, signée de Monet également, une représentation de la rue de la Bavole, à Honfleur cette fois. La ville, dont l’estuaire et la lumière séduisent les peintres, devient un centre artistique de choix dès le début du XIXe siècle. À l’heure où les artistes sortent leurs chevalets dehors pour la première fois, la peinture se fait le reflet du temps qui passe. Honfleur devient le premier foyer impressionniste du pays. Si Monet, avec ses cathédrales, s’impose comme le chef de file de ce mouvement, cette petite toile, exposée au musée des Beaux-Arts de Boston, est plus figurative qu’impressionniste. Ancienne voie fortifiée, la rue de la Bavole abrite le manoir Quiquengrogne, haut lieu de la politique coloniale française du XVIe siècle : les colons y étaient enrôlés par Jean de Boisseret, conseiller du roi Louis XIII, pour être ensuite envoyés aux Antilles. De ce morne passé subsiste le charmant manoir, dont la façade en pans de bois et la toiture sont protégées depuis 1975, rappelant aux habitants et aux touristes que le port de Honfleur était alors l’un des rares points de départ vers les Amériques. Les couleurs et la composition de la toile de Monet pourraient faire penser à certaines œuvres de Félix Vallotton, peintre contemporain de l’auteur des Nymphéas ayant lui aussi peint la région des pommes et du cidre.
Vallotton est déjà un artiste reconnu lorsqu’il découvre la côte normande et notamment le modeste port de plaisance qu’est Honfleur. Contrairement aux impressionnistes qui le précèdent, il ne peint plus en plein air, mais s’aide de croquis et de photographies, médium qui se démocratise alors, pour retranscrire dans son atelier ce qu’il a observé dehors. D’Étretat à Honfleur, en passant par quelques scènes de vie et paysages plus arborés, Vallotton peint la Normandie de la bourgeoisie parisienne, qu’il ne cessera de dénigrer mais dont il fera toujours partie.
C’est un riche héritage culturel qu’offre la Normandie. Mais bien que la région compte plus de 2 988 édifices inscrits ou classés au titre des Monuments historiques, le patrimoine vernaculaire – et notamment le patrimoine domestique – reste trop peu souvent protégé. Un partenariat a été signé entre la région Normandie et la Fondation du patrimoine pour une période de deux ans, de 2018 à 2020, afin de soutenir la sauvegarde et la restauration du petit patrimoine bâti, rural et non protégé de Normandie. Parmi les projets de sauvegarde, de nombreuses églises, quelques chapelles et de trop rares demeures. Il n’y a plus qu’à espérer que le patrimoine domestique convainque à son tour. Si cette charmante région aux maisons de bois et aux paysages mystiques a su faire rêver bien des artistes depuis le XIXe siècle, elle reste très prisée aujourd’hui. Pour les curieux qui souhaiteraient s’aventurer sur les traces des peintres, la maison de Claude Monet à Giverny, les falaises d’Étretat ou encore le patrimoine médiéval de Rouen ne sont qu’à quelques heures de la capitale.
« Ma Normandie »
Galerie Lelong & Co
13, rue de Téhéran
75008 Paris
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