Après plusieurs mois d’incertitudes, nous voici à nouveau confinés. Certains secteurs « essentiels » demeurent en activité, mais les lieux touristiques doivent une fois de plus fermer. Ce nouveau coup d’arrêt est désastreux pour le patrimoine et ses acteurs, en particulier pour les propriétaires-gestionnaires de belles demeures et châteaux.
Le 15 mars 2020, le confinement national était déclaré, forçant les propriétaires-gestionnaires à cesser toute activité touristique à l’aune de la pleine saison. « Ce fut un gros choc, comme on n’en a jamais subi » déclare Charles-Antoine de Vibraye, propriétaire du château de Cheverny. D’autant qu’ « un château ne peut pas s’arrêter, nous rappelle Xavier Lelevé, propriétaire du château de Meung-sur-Loire. On ne peut laisser la poussière s’installer et les jardins ne peuvent pas être laissés en friche. » Heureusement, certains employés tels que les jardiniers ont continué à travailler, aidés des propriétaires, qui ont tous mis la main à la pâte. Le système de chômage partiel a permis de réduire les dépenses et de préserver une grande partie des emplois.
L’arrêt des activités a également entraîné la suspension immédiate de tous les travaux, quelle qu’en soit la nature : Le Lude était sur le point de commencer une restauration prévue sur trois ans et le château de Meung-sur-Loire s’apprêtait à restaurer sa toiture. Il a fallu se battre becs et ongles pour que les travaux essentiels reprennent. Au château de Goudourville, où l’escalier devait être restauré à tout prix, Geneviève Carayon est parvenue à faire revenir les ouvriers pendant le confinement en proposant des solutions diverses comme, par exemple, une réunion à distance avec l’architecte en chef des Monuments historiques.
Ce premier confinement a, pour certains, été émaillé de belles histoires. Le château de Bouthonvilliers, dont l’activité tourne exclusivement autour de ses chambres d’hôtes, a pu enregistrer quelques recettes et créer de nouveaux liens avec ses clients. En effet, la plupart des touristes ont annulé leurs réservations à l’annonce du confinement, à l’exception d’une famille qui a pu passer l’intégralité des deux mois dans le château. Pendant l’été, une seconde famille, habituée aux vacances en Espagne, s’est également installée deux mois dans le château. Grâce à une transformation rapide de son offre touristique, le château de Bouthonvilliers a ainsi pu survivre au confinement.
Mi-mai, les châteaux et belles demeures historiques ont pu rouvrir, moyennant le respect d’un protocole sanitaire très stricte : barrières en plexiglas, bornes de gel hydroalcoolique, réduction du nombre de touristes autorisés, etc. L’adoption de ces mesures a entraîné des coûts supplémentaires mais a pu se révéler profitable, comme au château de Cheverny où Constance et Charles-Antoine de Vibraye ont découvert que les visites fléchées permettaient plus de souplesse. Tous les propriétaires-gestionnaires ont souhaité reprendre rapidement leurs activités, pour des raisons économiques mais aussi sociales. Ouvrir un château et son jardin permet aux visiteurs de sortir de chez eux et de profiter de la beauté du patrimoine environnant. Nathalie Romatet, propriétaire du château de Miromesnil, explique qu’elle souhaitait que les français puissent « venir à Miromesnil pour être apaisés, pour respirer et se sentir bien ».
La baisse du taux d’étrangers et une hausse du nombre de visiteurs français sont indéniables. Le château de Villandry, par exemple, n’a enregistré que 10 % de visiteurs étrangers, contre 70 % habituellement. Les demeures avec chambres d’hôtes ont aussi perdu un grand nombre de leurs réservations et ont été contraintes de prendre des mesures difficilement tenables sur le long terme. Le château de Miromesnil a proposé un système de repas dans les chambres, afin de ne pas encombrer les parties communes. Un grand nombre d’activités pour les enfants, telles que des ateliers de déguisements, a dû être annulé, tout comme la quasi-totalité des événements, tels qu’expositions ou festivals. Seuls les évènements réservés à un public restreint ont été autorisés, notamment les mariages de moins de trente personnes au château de Goudourville.
Un mal pour un bien ? Force est de constater que les mesures sanitaires ont poussé les propriétaires-gestionnaires à être très créatifs. Le format des visites traditionnelles ne convenant plus à la situation actuelle, il a fallu s’adapter rapidement. Fini les visites guidées aux châteaux de Villandry et de Cheverny, elles sont remplacées par des visites individuelles avec audioguides ou dépliants ! Au château du Lude, des visites exclusives ont été mises en place, guidées par Barbara de Nicolaÿ, la propriétaire du lieu. Les visites expérientielles, créées avant la pandémie, ont connu un franc succès pendant l’été puisqu’elles ont permis à des groupes réduits de visiteurs de découvrir des lieux et de s’en approprier l’histoire. Au château du Lude, les parcours et escape games ont accueilli les petits comme les grands ; et le château de Meung-sur-Loire a créé des visites autour du thème de l’odorat.
Les propriétaires ont démultiplié l’offre numérique, comme en témoigne Nathalie Romatet, au château de Miromesnil. Après le succès de la vente en ligne de bougies et de la chasse aux œufs digitale, elle compte ouvrir une boutique sur le site internet du château. Geneviève Carayon, propriétaire du château de Goudourville, cherche à développer une offre similaire en s’appuyant sur les réseaux sociaux. Le digital offre de nombreuses possibilités à explorer, même s’il pourrait, à long terme, ne pas être aussi utile à la visite qu’on le pense. Selon Luc Bonnin, de l’agence Scarabée, les objets tactiles risquent d’être moins utilisés dans le futur, car, à l’issue de cette pandémie, les visiteurs continueront à prendre leurs précautions.
« Dans toutes les épreuves, il faut chercher les points positifs ! » rappelle Charles-Antoine de Vibraye. La crise de la Covid-19 a engendré une remise en question du tourisme actuel et a poussé les propriétaires-gestionnaires vers de nouvelles réflexions. Tous s’accordent sur le fait que le tourisme de masse ne peut plus continuer. « La crise de Covid va influer sur les formes de tourisme avec une tendance plus verte, plus respectueuse » nous dit Luc Bonnin. Les grands châteaux, tels que celui de Cheverny, pourraient d’ailleurs fonctionner avec moins de touristes. Il va sans doute falloir favoriser un tourisme centré sur un public communal, départemental et régional avec des ventes de produits locaux et des projets publicitaires adaptés. Cela permettrait de nouer des contacts plus étroits et de fidéliser ce nouveau public. Les idées fusent ! Au château de Gizeux, Géraud et Stéphanie de Laffon comptent développer leur élevage de viande bovine dans les prochaines années. Les châteaux de Miromesnil et Goudourville prévoient d’organiser la vente de légumes de leurs potagers. Enfin, les propriétaires du château de Bouthonvilliers, après avoir hébergé les chevaux du haras de Jardy, souhaitent développer des cours d’equicoaching pour les équipes professionnelles.
Toutes ces solutions n’en sont encore qu’au stade de projet, car elles nécessitent évidemment d’être financées. Bien que le gouvernement français ait mis en place un système de prêts garantis par l’État (PGE), ainsi qu’un plan de relance pour le patrimoine, ces aides, si précieuses soient-elles, restent limitées et ne favorisent pas la poursuite durable des activités. Sur les 614 millions d’euros promis par l’État pour le patrimoine, seuls 40 millions seront distribués aux lieux touristiques, sachant que, comme l’ont rappelé les présidents de diverses associations patrimoniales, les grands espaces publics, dont Notre-Dame et Villers-Cotterêts, recevront un traitement différent.
Les associations du patrimoine, quant à elles, continuent à soutenir leurs adhérents de diverses façons. La Demeure historique, l’Association Châteaux de la Loire, Vallée des rois et les VMF se font les porte-parole des propriétaires-gestionnaires auprès de l’État, afin d’assurer la réouverture et le bon fonctionnement des châteaux et belles demeures. La Direction du tourisme de la région Centre-Val-de-Loire, de son côté, a lancé un appel d’offre, afin d’accompagner 10 à 15 sites dans leur réouverture. Pour cela, elle leur propose quatre à six jours d’observation, suivis de recommandations pour évoluer, et elle les aidera à financer des projets.
Après un été meilleur que prévu, le patrimoine connaît une nouvelle saison creuse. Le second confinement n’arrange rien, au contraire, puisqu’il met fin à l’organisation de tous les événements de l’automne liés à Halloween ou à la Toussaint. Et le maintien de ceux prévus au mois de décembre, tels que « Noël au pays des châteaux », relèverait du miracle. Ce second confinement ne fait que conforter l’idée qu’il est désormais impératif – et même urgent – de penser l’offre touristique et la revalorisation du patrimoine autrement.