« On a badigeonné ou gratté le mur, et l’inscription a disparu. Car c’est ainsi qu’on agit depuis tantôt deux cents ans avec les merveilleuses églises du Moyen Âge. Les mutilations leur viennent de toutes parts, du dedans comme du dehors. Le prêtre les badigeonne, l’architecte les gratte ; puis le peuple survient, qui les démolit », écrivait Victor Hugo à propos de Notre-Dame de Paris en 1831. Aujourd’hui, en France, rien n’a changé, puisque les églises sont victimes de vandalisme, de dégradation ou pire encore, de démolition. À Lille, le projet de construction « Camplus », organisé par Junia, une filiale de l’université Catholique, prévoit la démolition de la chapelle Saint-Joseph, un des joyaux de la ville, en faveur d’un nouveau campus universitaire.
Cette chapelle, construite sous le Second Empire, fait partie du collège Saint-Joseph, fondé par les Jésuites en 1876. Elle est incluse dans un ensemble architectural unique comprenant entre autres, le palais Rameau. Peu à peu laissée à l’abandon, elle a été désacralisée en 2002 et vendue à Junia, pour un euro symbolique.
Le 28 mai 2019, le permis de démolition demandé par Junia est accordé, un projet relativement secret dont peu de personnes se rendent compte. Hormis Etienne Poncelet, Architecte en chef et Inspecteur général honoraire des Monuments historiques. En 2018 déjà, il avait fait voter la protection de la chapelle par l’association Saint-Joseph, lors de leur dernière assemblée générale.
Il faut attendre le mois de mai 2020 pour que la France s’insurge enfin contre ce projet absurde. Mais il est déjà presque trop tard. Le délai d’annulation du permis de démolition est dépassé. L’association Urgences patrimoine lance néanmoins une pétition, aujourd’hui signée par plus de 10 000 personnes. L’alerte est donnée, le projet est ralenti.
Un grand nombre de personnalités se font entendre. Stéphane Bern s’insurge, Franck Riester, alors ministre de la Culture, suspend la démolition et décide d’organiser une concertation le 10 juillet 2020. Cette dernière n’aura pas lieu, suite au remaniement du gouvernement et à la nomination de Roselyne Bachelot. Un courrier est également envoyé au président de la République pour l’alerter.
Si toutes ces mesures permettent de « faire du bruit », elles ne suffisent pas. Il faut les accompagner d’actions efficaces. Les opposants à la démolition tentent de faire classer la chapelle au titre des Monuments historiques, ce qui permettrait de retarder les travaux d’un an au moins, le temps que toutes les analyses officielles se fassent. Jeanne Villeneuve, conservatrice du patrimoine, rappelle que la chapelle est non seulement sur un site classé, mais aussi dans le périmètre du palais Rameau, lui aussi classé. Elle devrait donc être protégée. La classer serait un moyen de lui donner plus de sécurité.
Quoiqu’il en soit, le 14 novembre 2020, le ministère de la Culture a refusé de classer la chapelle et a donné, dans son communiqué de presse, trois raisons, plus absurdes les unes que les autres. Premièrement, cela perturberait les travaux de Junia. Autrement dit, le patrimoine doit être mis de côté au profit de la reconstruction. Ensuite, l’intérêt patrimonial de la chapelle est « insuffisant », un argument qui n’a pas lieu d’être, car même si l’esthétique du XIXe siècle ne plaît pas à tout le monde, cet argument n’est pas suffisant pour démolir un lieu. « On doit penser à nos petits-enfants, s’insurge Bruno Carpentier, délégué VMF des Hauts de France, on ne peut pas les priver des traces de notre passé ». Quant à l’état de la chapelle, « le gros œuvre et la toiture sont dans un état passable, tout à fait aptes à être restaurés dans des conditions normales », précise Etienne Poncelet. Cela ne fait que 20 ans qu’elle ne sert plus et, comme le rappelle Philippe Toussaint, président des VMF, il faut une trentaine d’années en moyenne pour qu’un bâtiment soit véritablement en mauvais état. Le ministère de la Culture clôt son communiqué par un argument aussi illogique qu’idiot : le projet de construction de Junia inclurait de toute façon la restauration du palais Rameau. Alors pourquoi ne pas restaurer aussi la chapelle ?
En réponse à ce communiqué, Etienne Poncelet s’est dépêché de publier un texte dans lequel il présente les atouts du monument : cette chapelle est un marqueur urbain, une trace de la mémoire historique de la présence de Jésuites à Lille. Elle est aussi une œuvre architecturale originale et un conservatoire des métiers d’art. C’est d’ailleurs, selon lui, assez paradoxal qu’une université catholique ne soit pas sensible à cela.
Alexandra Sdoczak, présidente d’Urgences patrimoine, va plus loin. Elle évoque un traumatisme et une provocation pour les Lillois. Son association va faire appel à la décision du ministère de la Culture et « montrer qu’il a pris une décision illégale en n’appréciant pas à sa juste valeur l’importance du bien ».
Plusieurs défenseurs du patrimoine proposent aussi des idées et projets de réhabilitation du lieu. Une demande de table ronde a été faite auprès de Junia, afin de trouver la meilleure solution pour sauver la chapelle. Bibliothèque universitaire, learning centre ou amphithéâtre, le lieu pourrait très bien servir aux 8 000 élèves de l’université ! Ce serait d’ailleurs moins coûteux et plus écologique que de démolir pour reconstruire. Comme le dit si bien Etienne Poncelet, ce serait l’occasion pour l’université de « devenir démonstrateur d’une architecture intelligente » ! Reste à savoir si les représentants de Junia seront prêts à les entendre…
Malheureusement, la chapelle Saint-Joseph n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. La sauver serait non seulement un réconfort pour les Lillois, mais également un moyen de montrer aux Français que le patrimoine religieux peut être lui aussi « recyclé ». À l’heure où l’on comprend l’importance de l’écologie, on ne peut pas se permettre de raser pour reconstruire. Si des bains-douches peuvent se transformer en hôtel, une église peut bien devenir un lieu de travail !