Le réchauffement climatique n’est plus contestable. Selon le programme européen d’observation de la Terre Copernicus (qui rationalise les données relatives à l’environnement autour de six thèmes : le sol, les océans, le traitement de l’urgence, l’atmosphère, la sécurité et le changement climatique), le mois de novembre 2020 a été le plus chaud jamais enregistré1. L’Europe a connu son automne le plus doux et d’après l’Organisation météorologique mondiale (OMM), 2020 serait sur le podium des années les plus chaudes (derrière 2016, mais l’année n’est pas terminée). Ne parlons pas des incendies qui ont ravagé la Sibérie et la Californie, des canicules en Australie, etc.
Le maintien d’un réchauffement sous la barre des + 2 °C au cours de ce siècle semble fondre aussi vite que la banquise arctique – qui a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée2 – ou les glaciers des Alpes, dont le plus célèbre, la mer de Glace, a perdu 200 mètres d’épaisseur et plus de 2,5 kilomètres de longueur3 entre 1856 et aujourd’hui.
La prévision la plus pessimiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui redoutait un réchauffement de + 4,8 °C, a été revu à la hausse pour désormais atteindre + 6,5 °C à + 7 °C. S’il s’agit évidemment d’un scénario du pire – qui dépendra des politiques menées tout au long de ce XXIe siècle –, il semble néanmoins qu’un réchauffement de + 3 °C à l’horizon de 20404 soit déjà acquis.
L’église Saint-Jacques-le-Majeur de Mouterhouse (Moselle) a vu son toit et son clocher en partie emportés par une tornade, en janvier 2018. En 1992, la crue de l’Ouvèze, à Vaison-la-Romaine (Vaucluse), avait marqué les esprits par sa violence inhabituelle. Depuis, nous connaissons désormais régulièrement et dans différentes zones en France, de nombreux violents débordements de rivières, comme dans la vallée de la Roya à l’automne 2020.
Rappelons-nous que + 5 °C est le delta de température qui nous sépare… de la dernière période glaciaire (achevée il y a environ 10 000 ans).
Contrairement à la croyance populaire, le réchauffement climatique ne se limite pas à des étés plus chauds et des hivers sans neige. Les conséquences sont plus complexes, désastreuses et pour certaines, irréversibles. De surcroît, elles « dépasseront la capacité de réponse des systèmes naturels et humains qui pourraient être définitivement altérés ou détruits »5.
La question de l’influence du changement climatique sur le patrimoine historique et les belles demeures est cruciale. Ces derniers sont doublement menacés : d’une part, par les évènements à survenue lente (de longue durée, progressifs, peu dommageables dans le court terme, mais pouvant avoir de profondes conséquences sur le plus long terme : érosion des façades en calcaire et en marbre, noircissement des surfaces en pierre, lessivage chimique des vitraux anciens, corrosion des métaux, cristallisation des sels dans les murs poreux, croissance des insectes nuisibles, des champignons et des plantes supérieures, etc.) et, d’autre part, par les évènements à survenue rapide (de courte durée, aigus, intenses, récurrents, hautement dommageables et incontrôlables – tempêtes, ouragans, typhons, précipitations extrêmes, grêle, crues subites, glissements de terrains, sècheresses, canicules, vagues de froid, incendies spontanés, etc.).
Jusqu’alors, le patrimoine culturel français a peu fait l’objet d’études quant à son comportement face au dérèglement climatique. À cet effet, un rapport publié en avril 2020 – un peu passé inaperçu, sans doute à cause du premier confinement – dresse un portrait admirablement éclairant. Intitulé Le patrimoine culturel français face au changement climatique mondial, un aperçu pour les conservateurs, restaurateurs, architectes, décideurs, chercheurs et enseignants et dirigé par Roger-Alexandre Lefèvre (Professeur émérite à l’université́ Paris-Est Créteil), le texte est issu des travaux d’un groupe de travail réuni au ministère de la Culture et de la Communication en 2015, à l’occasion de la COP21 de Paris, par Astrid Brandt, cheffe du département de la recherche, de l’enseignement supérieur et de la technologie6.
Ce rapport définit les facteurs clés d’origine climatique (augmentation de la température globale, précipitations et humidité atmosphérique, montée du niveau des océans, combinaison du changement climatique et de la pollution de l’air extérieur, combinaison du changement climatique et de la pollution de l’air intérieur) et, pour chacun d’eux, il détaille la vitesse d’action – selon que les évènements soient à survenue lente ou extrême –, les modalités générales d’impact, les modalités spécifiques d’impact sur le patrimoine et les actions générales d’adaptation, de remédiation et de résilience.
Si quelques sujets manquent (effets du gel-dégel sur les matériaux poreux, stabilité des édifices sur sols argileux, climat intérieur des musées, des bibliothèques et des collections qu’ils abritent), le rapport suggère, dans sa conclusion, une stratégie française d’adaptation aux impacts du changement climatique sur le patrimoine culturel matériel pour la recherche fondamentale et appliquée, l’enseignement et la formation, les financements et l’économie.
Il faut souligner l’importance majeure de ce travail, qui recoupe plusieurs initiatives, dont le récent workshop, « Cultural Heritage and Climate Change : New challenges and perspectives for research »,organisé le 17 septembre 2020 au ministère de la Culture, sur les problèmes que ce sujet pose pour la recherche, les moyens nécessaires en termes d’études pour anticiper et pallier les effet du changement climatique, et la façon dont le patrimoine peut être un atout pour le développement durable, dont les conclusions sont désormais disponibles.
Les besoins en termes de recherches sur ce sujet sont importants et l’on ne peut que se réjouir des travaux engagés. Comme l’écrit John Galsworthy (1867-1933), prix Nobel de littérature en 1932, dans Le Chant du cygne (Swan Song, 1928), « Si vous ne pensez pas à l’avenir, vous ne pouvez pas en avoir un ».
1 Il existe de nombreuses publications sur le sujet, dont cet article du Monde, paru le 7 décembre 2020.
2 Voir l’article du Monde, « La banquise arctique a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée ».
3 Voir l’article de L’Obs, « L’âge sans glace ».
4 Voir l’article du HuffPost, « Le réchauffement climatique dépassera les 2 °C en 2040, selon les prévisions françaises, mais… ».
5 Selon le dossier publié par notre-planete.info, « Changement climatique : les conséquences ».
6 Ce rapport est œuvre collective de R.-A. Lefevre et Anda Ionescu (Université Paris-Est Créteil) ; Beatriz Menendez (Université de Cergy-Pontoise) ; Elisabeth Ballu, Sylvie Max-Colinart et Pascal Liévaux (Ministère de la Culture et de la Communication) ; Bertrand Lavédrine et Véronique Rouchon (Centre de recherche sur la conservation) ; Elisabeth Marie-Victoire, Isabelle Pallot-Frossard et Véronique Vergès-Belmin (Laboratoire de recherche des monuments historiques) ; Michel Menu (Centre de recherche et de restauration des musées de France) ; Michel Déqué, Julien Desplat et Daniel Martin (Météo France) ; Astrid Brandt, Beatriz Menendez, Raphaëlle Kounkou-Arnaud (Météo France) ; Dario Camuffo (Istituto di Scienze dell’ Atmosfera e del Clima, Padoue) et Valérie Masson-Delmotte (co-présidente du Groupe I du GIEC).