Un maire buté bien décidé à raser son patrimoine, une vaillante association qui lutte pour l’en empêcher et un final tragique sur fond de pelleteuses. Classique ? Sauf que l’histoire ne s’arrête pas là. Mieux : elle finit bien !
« Allô l’Asma ? Bonjour… c’est Stéphane Bern ! » Ils avaient déjà recueilli son soutien alors que la maison Greder, dans le village alsacien de Geudertheim, était encore debout, et l’espoir toujours permis. Mais quand cette belle maison à colombages du XVIIe siècle est tombée sous les coups de pelleteuse, les membres de l’Association pour la sauvegarde de la maison alsacienne (Asma), qui avaient mené l’opposition, ont décidé de ne pas en rester là. Un second coup de téléphone est arrangé avec Monsieur Patrimoine. « Comment puis-je vous aider ? » Suggestion est faite d’envoyer un courrier indigné au démolisseur en chef qui n’est autre que le maire en personne, un dénommé Pierre Gross. Ce crime patrimonial doit être exposé à la vue de tous, et fermement condamné pour tenter d’enrayer une bien triste réalité : en Alsace, ce sont entre 300 et 400 maisons traditionnelles qui sont détruites chaque année. Et avec elles, toute l’identité d’une région qui est menacée. L’animateur est convaincu, la missive, envoyée. Elle ne fait pas dans la nuance : la destruction y est qualifiée « d’acte de vandalisme ». Et l’édile affublé d’un joli sobriquet : « fossoyeur de l’héritage historique patrimonial du village ». Du sang frais pour la presse qui relaie largement la polémique.
Mais alors que « l’affaire » de Geudertheim bat son plein, l’Asma mène un autre combat. Voilà un an que l’association est en pourparlers avec une collectivité locale du Bas-Rhin, la communauté de communes du Kochersberg, qui tente maladroitement d’intégrer la protection du patrimoine dans son plan local d’urbanisme (PLUi). Problème : un certain nombre de communes ont mal, voire pas du tout, effectué le repérage de leur patrimoine. Une étape pourtant indispensable à sa bonne protection, et l’erreur même qui a coûté à Geudertheim la destruction de sa fameuse maison… Ayant découvert cet oubli potentiellement désastreux, le vice-président de l’Asma Denis Elbel tire la sonnette d’alarme et se lance dans un parcours du combattant pour convaincre la collectivité de revoir sa copie. Des trésors de diplomatie et un recours au tribunal plus tard, le dénouement est programmé pour fin novembre, lors d’une réunion de la communauté de communes. L’enjeu est de taille puisque l’on doit y voter la signature d’une convention instituant l’obligation pour les maires d’effectuer un repérage de leur patrimoine – repérage qui pourra être effectué avec l’aide de l’Asma.
Hasard ? On ne saurait dire. Préméditation ? On n’oserait l’affirmer. Toujours est-il que le fameux courrier vient de frapper. Et on devine les élus alsaciens quelque peu chamboulés. « Je vous garantis qu’aucun maire n’a envie de se retrouver à la place de Pierre Gross » sourit Denis Elbel. La convention est approuvée à l’unanimité. Le PLUi sera modifié lors de la prochaine révision afin de l’y intégrer. « Un grand jour pour l’association, confesse son vice-président, jusqu’à présent on arrivait à sauver une maison de temps en temps mais avec cette convention on fait du préventif ! » Et un grand pas pour le patrimoine alsacien : « La mesure va protéger juridiquement un millier de bâtiments sur 23 villages, et ce PLU est valable pour 25 ans ! » Hourra pour l’Asma ? Pas le temps. L’association est déjà lancée dans un nouveau combat : « On a pris rendez-vous avec d’autres présidents de communautés de communes pour leur expliquer comment protéger leur patrimoine et comment on peut les y aider ». Gare à celui qui tentera de les arrêter.