Pouvons-nous nous réjouir, en ce début d’année, et nous accorder au concert de bons vœux, de bonnes résolutions, de bons sentiments, à cet espoir (un peu forcé) que demain sera meilleur qu’hier ?
Pouvons-nous espérer vaincre la Covid, retourner au cinéma, au théâtre, au restaurant, et que 2021 ne soit pas une cascade de faillites ?
Pouvons-nous garder, quelques jours encore, l’esprit de Noël ?
Monsieur Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, craint que les pandémies ne soient qu’un début1, et, entre les prédictions d’un rebond2 de l’économie ou, au contraire, d’une (terrible ?) crise économique et sociale3, l’avenir est plus que jamais incertain.
Le monde « d’après » ne sera pas le monde « d’avant » entend-on clamer. Certes, la Covid a transformé des signaux faibles en tendances lourdes et accéléré des mutations déjà à l’œuvre ; de nombreux pans de la société changent. Mais pour combien d’autres à la dérive ?
« Un pauvre homme passait dans le givre et le vent », écrit Victor Hugo4.
Alors que nos regards fixent – inquiets – l’avenir, une partie de notre patrimoine s’étiole lentement. Il passe, comme ce « pauvre homme », devant nos yeux aveugles, devant nos mains hésitantes, devant nos portes entrouvertes.
Il fait pourtant partie de notre histoire, il est la sève de notre civilisation. C’est en son cœur que la fin d’année s’est fêtée, que nous nous sommes retrouvés, enlacés, que nous avons partagé.
L’église Saint-Martin de Villar-d’Arène (Hautes-Alpes) a fermé en 1986. © Fondation VMF Initiée par l’association des Amis de l’église Saint-Martin et avec l’aide de nombreux acteurs, dont la Fondation VMF, la restauration de l’église Saint-Martin de Villar-d’Arène est désormais en cours. © Fondation VMF
Ce pauvre homme, ce sont nos églises.
À l’heure où Notre-Dame bénéficie d’un soutien populaire hors norme – et c’est plutôt rassurant –, 5 000 églises sont menacées de délabrement. Si le chiffre est discutable et dépend surtout de ce que l’on entend par délabrement (en péril ? en danger ? en souffrance ?), la réalité reste cinglante : le manque de moyens pour l’entretien des édifices religieux.
Les efforts de l’Observatoire du patrimoine religieux, de la Mission Bern (sur les 18 monuments sélectionnés pour la troisième édition du Loto du patrimoine, neuf font partie du religieux), des maires et des fidèles qui se battent pour la sauvegarde – ou simplement l’entretien – de ces monuments ne suffiront pas.
Le livre Églises abandonnées, lieux de cultes en déshérence, de Francis Meslet, paru aux éditions Jonglez en fin d’année dernière, immortalise des centaines de lieux oubliés, dans toute l’Europe, où l’on « n’entend plus guère que le bruissement du vent s’engouffrant par un vitrail brisé ou le rythme régulier d’une goutte d’eau qui perle au plafond d’une nef dévastée ». Il nous rappelle surtout le sens du sacré et la nécessité d’habiter son histoire autant que son patrimoine.
À peine le réveillon passé, la nouvelle tombait : l’ancienne chapelle du collège jésuite Saint-Joseph de Lille, bâtie en 1886-1887 – dont nous avions relayé l’appel à sauvegarde dans PAJ-mag.fr dès le mois de juin 2020 – sera (sauf « grâce » exceptionnelle) bel et bien détruite. La guerre est perdue. Alexandra Sobczak-Romanski, présidente et fondatrice d’Urgences patrimoine, l’a annoncé, il y a quelques jours, sur son compte Facebook. Les larmes aux yeux.
Pourquoi sangloter sur des pierres ? Parce que sans elles, nous ne sommes – presque – rien.
(…) Devant la cheminée. Il s’approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l’âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé
D’où ruisselait la pluie et l’eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations.5
Églises, en ce début d’année, nous pleurons sur vos blessures, nous pleurons sur vos « lambeaux ».
1 Voir l’article du Figaro, « La pandémie de Covid-19 ne sera pas la dernière, avertit le patron de l’OMS ».
2 Par exemple : « Pourquoi l’année 2021 sera celle du rebond économique » ou « Huit raisons de croire au rebond de l’économie en 2021 ».
3 Par exemple : « Économie : quelle sera l’ampleur de la crise en 2021 ? » ou « Terrible en crise 2021 ! ».
4 Victor Hugo, « Le Mendiant », dans Les Contemplations, 1856.
5 Ibid.