Le monastère de la Visitation en danger

Par Victoire Becker

Date de publication : 28/01/2021

Temps de lecture : 5 minute(s)

Le monastère de la Visitation, situé entre la rue du Cherche-Midi et la rue de Vaugirard à Paris, n’est plus ouvert depuis une dizaine d’années. Le diocèse de Paris, propriétaire du lieu, souhaite y construire un pôle de solidarité. Un projet très louable, mais qui implique la démolition d’éléments patrimoniaux importants.

Le lieu possède une histoire unique. D’abord petite maison d’habitation au XVIIe siècle, il devient un hôtel particulier au début du XVIIIe siècle, construit par la famille Desclapon. Il sert ensuite de pavillon de chasse à la famille de Clermont-Tonnerre, qui le vend aux religieuses de l’ordre de la Visitation en 1819. En 1867, le terrain s’agrandit pour accueillir un pensionnat qui sera ouvert jusqu’en 1884. Les Visitandines construisent une vacherie et un poulailler en 1886, une boulangerie en 1889 et une blanchisserie en 1897. Ouvert tout au long du XXe siècle, le lieu est restauré intégralement en 1993.

En 2010, le monastère ne compte plus que cinq religieuses d’un âge avancé. Ne pouvant plus s’en occuper seules, elles le vendent au diocèse de Paris pour un euro symbolique. Leur seule condition : que le bâtiment garde sa vocation religieuse, sans possibilité d’aliénation. Jacques Matha, président de l’association immobilière du diocèse, prévoit alors de créer un pôle de solidarité et d’échanges.

Ce projet baptisé Marguerite-Marie, du nom de sainte Marguerite-Marie Alacoque, se veut un lieu de vie en commun et de partage. Le monastère sera divisé en logements partagés entre des étudiants ou jeunes cadres et des personnes dans le besoin. Le diocèse a signé un partenariat avec trois associations caritatives : Simon de Cyrène, qui œuvre auprès des personnes handicapées, Marthe et Marie, qui soutient les femmes enceintes, et APA (Association pour l’amitié), qui aide les personnes sans domicile fixe. En plus des logements, sont prévus un équipement de petite enfance et un jardin ouvert au public.

Malheureusement, ce projet, soutenu entre autres par les élus du quartier, risque de défigurer le patrimoine alentour. Dans le contrat passé avec les architectes de l’agence Duthilleul, Jacques Matha précise qu’il souhaite « restituer les bâtiments historiques du monastère dans leur configuration d’avant le siège de Paris en 1870 ». Tous les bâtiments construits après cette date seraient donc démolis, tels que la vacherie, l’une des dernières de Paris, qui renferme une chapelle néogothique. Lieu symbolique, la vacherie est mentionnée dans plusieurs romans tels que L’Œuvre d’Émile Zola. Des caves du XVIIIe siècle devaient elles aussi être démolies, mais la commission du Vieux Paris est parvenue à les sauver.

Les bâtiments conservés seraient quant à eux modifiés et leurs menuiseries extérieures remplacées. Le projet prévoit aussi la construction de quatre immeubles modernes : un premier à la place de l’infirmerie, un deuxième à la limite ouest de la parcelle, un troisième le long de la rue du Cherche-Midi à la place de la vacherie, et un dernier au milieu du terrain.

Étonnamment, le monastère n’est pas classé au titre des Monuments historiques, ce qui permet au diocèse de mener son projet à bien, sans contraintes. Cela montre également la fragilité du Plan local d’urbanisme parisien qui, pour l’instant, n’est pas en adéquation avec les enjeux patrimoniaux et urbains de la capitale. Comme le souligne Julien Lacaze, président de Sites & Monuments : « il est imprécis, insuffisant et peut stable ». Il serait donc impératif de le modifier, afin d’éviter toute démolition, densification ou artificialisation fâcheuse.

Pour ce qui est du monastère, le combat ne fait que commencer. Les grandes associations du patrimoine, parmi lesquelles Sites & Monuments et les VMF, ont pris les choses en main et déposé une demande de classement du lieu. Certains proposent des projets de réhabilitation qui permettraient de ne rien démolir. Julien Lacaze suggère de créer une ferme pédagogique, ce qui permettrait de conserver le poulailler et la vacherie. Les habitants de la rue de Vaugirard ont quant à eux déposé un recours contre le projet, ainsi que l’acteur Gérard Depardieu, propriétaire de l’hôtel de Chambon, adjacent au monastère. Enfin, une pétition, lancée en septembre dernier et signée par près de 900 personnes, continue de circuler.

Il faut « donner du temps à la réflexion et au compromis pour éviter l’irréparable » rappellent les présidents des grandes associations de défense du patrimoine dans la lettre adressée à la ministre de la Culture le 11 janvier 2021.

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