Récit de l’incroyable chantier de restauration entrepris au manoir de Verdigné dans la Sarthe pour reconstruire le dôme à l’impériale couronnant l’un des pavillons.
C’est une histoire qui commence par un heureux hasard : alors que les échafaudages viennent d’être installés sur le pavillon nord-est du manoir de Verdigné, un historien local révèle être en possession d’une très ancienne photographie, datée de 1890, sur laquelle ce même pavillon apparaît coiffé d’un toit particulier dit « dôme à l’impériale ». Arrivée au manoir, la nouvelle bouleverse le projet initial qui prévoyait la construction d’une toute autre toiture. « Cette découverte a tout remis en jeu, mais elle nous imposait aussi de respecter l’histoire » raconte Philippe Gagnot, propriétaire avec son frère Charles de cet édifice inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Après s’être concertés avec les architectes et le charpentier, ils prennent la décision de restituer à l’identique cet élégant dôme galbé à la forme rare.
Le manoir de Verdigné vu du ciel. Les meurtrières qui percent les murs, l’ancien pont-levis ainsi que les douves qui l’entourent ne laissent aucun doute sur la vocation défensive de son architecture. © Capture d’écran / Vidéo « Charpente de dôme à l’impériale » – SARL Leroux Le corps-de-logis du manoir. A droite, le dôme à l’impériale qui couronne le pavillon nord-est, tout juste restauré. © Trizek
Une entreprise compliquée et coûteuse qui aurait pu en décourager plus d’un. Mais Philippe et Charles Gagnot n’en sont pas à leur coup d’essai en matière de restauration. Voilà douze ans que ces deux agriculteurs retraités, qui ont acquis le domaine en même temps que ses terres agricoles, travaillent inlassablement à rendre son aspect originel à l’édifice. Nettoyage des douves, restauration des toitures, puis d’un escalier, d’une cheminée Renaissance, de la charpente des écuries… Sans oublier le dernier grand chantier qui a précédé celui du dôme : la restauration de la splendide voûte lambrissée recouvrant la galerie de l’aile ouest. Et les travaux ne sont pas terminés car ce sont désormais les intérieurs, très endommagés, qui doivent être restaurés.
L’une des deux lucarnes du corps de logis et son riche décor sculpté Renaissance. Avec bossages et fronton à arc brisé supporté par des pilastres à chapiteaux ornés de feuilles d’acanthe. © Pymouss L’un des escaliers à vis du manoir de Verdigné, probablement inspiré d’un modèle de Philibert de L’Orme. © Trizek
Édifié dans le dernier quart du XVIe siècle, d’après un modèle proposé par Philibert de L’Orme dans son fameux ouvrage Le Premier tome de l’architecture (1567), le manoir présente un plan bastionné composé de quatre pavillons d’angle, tous reliés entre eux par le corps de logis et des galeries. Les meurtrières qui percent les murs, l’ancien pont-levis ainsi que les douves qui l’entourent ne laissent aucun doute sur sa fonction de place forte. Une vocation défensive qu’il doit à son constructeur, le huguenot Thibault Bouju, personnage très actif durant les guerres de religion, qui participa notamment au pillage des églises et de la cathédrale du Mans. Ce sont par la suite trois générations de la famille Tragin qui se succèdent au manoir, avant que celui-ci ne soit vendu au château de Sourches, puis trente ans plus tard au château de Saint-Aignan. Les familles de Saint-Aignan le gardent jusqu’en 1996, année où les frères Gagnot acquièrent Verdigné et le noyau de terres.
Plan tiré du livre de Philibert de l’Orme, Le Premier Tome de l’architecture (1567), ayant servi de modèle à la construction du manoir de Verdigné. On y retrouve le plan bastionné composé de quatre pavillons d’angle reliés entre eux par le corps de logis et des galeries. La voûte lambrissée recouvrant la galerie de l’aile ouest. Il existe plusieurs hypothèses quant à la fonction d’origine de cette pièce (salle de lecture, salle d’escrime ou salle du jeu de paume), mais aucune certitude. © Philippe Gagnot
« Zéro indice sur la charpente d’origine et une photo pour seul modèle ! » plaisante celui qui s’est vu confier la lourde tâche de ressusciter le dôme disparu. Heureusement, Stéphane Leroux semblait taillé pour le rôle : formé par son père dans l’entreprise familiale dès l’âge de 14 ans, puis compagnon charpentier à 23 ans, il met aujourd’hui son expérience au service de la restauration du patrimoine, en intervenant notamment sur des manoirs dont regorge la Sarthe. « J’aime travailler sur des monuments historiques car le travail est extrêmement varié et l’on fait toujours des découvertes » raconte le charpentier en revenant sur les grandes étapes de la conception du dôme. Après un relevé sur le chantier vient la phase de réalisation des plans. D’autant plus capitale que le pavillon bastionné que doit couvrir la charpente présente une particularité qui ne simplifie pas la tâche aux charpentiers : il n’est pas carré mais tracé en « quadrilatère orthogonal », ce qui implique qu’aucune de ses faces n’est parallèle.
La charpente du dôme à l’impériale, une fois la phase de levage terminée. © SARL Leroux Le charpentier Stéphane Leroux et son équipe. Au total la conception de la charpente a nécessité 800 heures de travail. © SARL Leroux Les versants de l’édifice n’étant pas réguliers, chaque ferme composant la charpente possède des courbures et une élévation différente. © SARL Leroux
Un véritable casse-tête chinois qui impose à l’équipe de dessiner et concevoir séparément chacune des fermes composant la charpente, leur élévation et leur courbure variant en fonction de leur position. « On voit bien que les charpentiers du XVIe siècle faisaient beaucoup d’efforts pour faire des charpentes complexes, ils aimaient se faire plaisir » sourit Stéphane Leroux qui, cinq siècles plus tard, semble apprécier le défi. Après les avoir modélisées sur ordinateur, les pièces sont ensuite taillées à la main dans l’atelier, numérotées puis transportées sur le site pour le levage. Au total ce sont 800 heures de travail qui ont été nécessaires, avec trois charpentiers à temps plein. « Trois mois pour le taillage et un mois pour le levage. Et on n’a pas fait de mort ! » précise le patron. Dans le jargon du charpentier « faire un mort » signifie rater la taille d’une pièce de bois.
Aujourd’hui, couronné de son dôme recouvert d’ardoises brillantes, le pavillon nord-est a retrouvé toute son impériale présence. Quant au charpentier, il a lui aussi été couronné : la charpente de Verdigné lui a valu en fin d’année dernière d’être nommé lauréat national du concours Ateliers d’Art de France dans la catégorie patrimoine. Au manoir de Verdigné les travaux se poursuivent. Un chantier est en cours sur les plafonds à la française d’une des pièces du corps de logis, puis viendra le tour des fenêtres qui doivent retrouver leurs meneaux d’origine, et enfin d’une cheminée Philibert de L’Orme dont les pieds doivent être refaits. Mais qui sait quelle nouvelle découverte viendra encore chambouler la restauration de ce manoir qui n’a, semble-t-il, pas encore livré tout ses secrets…
Visite du manoir de Verdigné possible sur demande au 06 42 14 45 22 et lors des Journées du patrimoine.
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