Était-ce mieux avant ?
Comme l’indiquent nos confrères de France Culture, cela fait 2 000 ans – et plus – que l’on pense que « c’était mieux avant ».
Cette impression a de nombreuses causes : « dans le présent, nous sommes plus sensibles au négatif qu’au positif, tandis que la mémoire, en revanche, retient le positif et oublie le négatif », on préfère ce que l’on connait déjà, un « effet d’effacement » qui s’accentue avec l’âge par lequel « chacun dirige son attention vers des pensées ou des souvenirs positifs lorsqu’il se rend compte que le temps qui lui reste est limité », peut-être aussi le mythe du paradis perdu.
Les bouleversements technologiques propres à notre temps et les changements de notre société toujours plus rapides et importants accentuent ce malaise. « Cette accélération exponentielle nous empêche de prendre le temps de la réflexion. Tout se passe comme si nous étions en apnée permanente sans parvenir à reprendre notre respiration. »
La répétition et la superposition des crises (crises sanitaire, économique, écologique, climatique, etc.), aggravent l’anxiété et la déprime.
Cette substitution de l’innovation au progrès comme seule réponse aux problèmes de notre époque (changement climatique, énergie, santé, sécurité, raréfaction des ressources, alimentation, évolution démographie, etc.) nous enfonce plus encore dans l’inquiétude. « Tout se passe donc comme si c’était l’état du présent qui obligeait à innover, davantage qu’une idée que nous aurions du futur. Mais comment faire alors pour repenser l’avenir par-delà le progrès et sans le secours de l’innovation ? »
Comment, dans ce contexte, imaginer, penser – et donc accepter – demain ?
Comment, dans un monde si complexe, incertain, et même ambiguë, ne pas être sûr et certain que « c’était (bel et bien) mieux avant » ?
Comment faire sienne cette fameuse phrase du colonel Pierre Danloux (1878-1965), écuyer en chef du célèbre « Cadre noir » de 1929 à 1933 (à l’époque, le Cadre noir s’appelait le Manège) et promoteur de la monte à l’obstacle moderne : « Le culte de la tradition n’exclut pas l’amour du progrès. »
Et inversement ?
D’abord, s’extraire du présent. Œuvrer pour les générations futures. Puis s’inventer des futurs souhaitables.
Il y a de l’espoir dans ce qui nous survit.
C’est peut-être une des causes (consciente ou inconsciente) de l’engouement récent et inattendu pour l’arbre.
Après la frénésie d’un arasement du XXe siècle, l’arbre, « cet être vertical dont la présence obstinée triomphe sur le temps et suscite un intérêt mêlé de fascination », retrouve ses lettres de noblesse. Les succès de librairie du garde forestier et écrivain allemand Peter Wohlleben (La Vie secrète des arbres – un million d’exemplaires vendus en France –, ou Le Réseau secret de la nature) pourraient à eux seuls en témoigner. Tout comme le surprenant développement de la sylvothérapie1 ou de « l’art » de grimper aux arbres.
Demandé dès 2001 par l’association EPESG (Ensemble pour l’environnement de Saint-Germain-en-Laye et de sa région), le classement de la forêt de Saint-Germain (Yvelines) n’a été effectué qu’en 2019. On doit à cette lenteur l’arrachage d’une centaine d’arbres, dans le cadre d’un projet tram-train. © Sites & Monuments
Certains ne manquent d’ailleurs pas de s’émouvoir de l’abattage prévu cette année de 1 000 arbres de 230 ans pour le « tabouret » qui supportera la flèche de Notre Dame, et des 1 000 autres à suivre pour la reconstitution de la charpente de l’édifice2.
D’autres militent pour le reboisement des bords de routes3.
En début d’année, la ville de Caen, faisait abattre 45 tilleuls pour laisser place « à un chantier de fouilles archéologiques (et), dans un second temps, la construction de halles commerciales ». Des recours ont été déposés.
Aujourd’hui, un autre abattage fait grand bruit, celui de platanes et érables anciens situés le long de la Loire, place Mossé, à l’entrée sud de Nevers. Le projet vise pourtant à renforcer la digue, les arbres sont en mauvais état, et d’autres espèces (alisier, chêne, tilleul) seront replantées.
« Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras ! » disait déjà Ronsard.
Au-delà de ces cas particuliers (qui mériteraient d’être étudiés de près pour se prononcer), l’arbre – et ses caractéristiques réelles ou fantasmées – deviendrait-il un refuge contre nos peurs de l’avenir et notre difficulté à inventer de nouveaux récits ?
Aux antipodes de la technologie, de l’innovation ou du zapping, l’arbre s’inscrit dans le temps long, indifférent à nos courtes vies. Présenté comme une des solutions au changement climatique, planter des arbres, les défendre, c’est ajouter sa pierre à la préservation d’un vivant dont on mesure désormais l’extinction, et œuvrer pour les générations futures, quel que soit l’avenir, surtout s’il est difficile à imaginer.
Outre de s’extraire du présent, il permet aussi de se projeter dans des récits nouveaux et inspirants. Sa croissance, longue, oblige à prendre le temps de la réflexion, à anticiper, à se débarrasser de l’urgence qui étrangle notre quotidien.
Quitte à laisser quelque chose, autant que ce soit de la beauté, de la pénombre au soleil, de l’oxygène, du vivant.
En cela, le patrimoine – au sens large, bâti et paysagé – est une valeur sûre : il est porteur de sens, il s’inscrit dans une histoire et une temporalité longues, il possède un potentiel hautement durable. Les défenseurs du patrimoine, souvent taxés de « passéistes », sont au contraire en phase avec leur temps. Et au fait de leurs responsabilités.
Bâtis, paysages, jardins… arbres… ils préservent, prennent soin, transmettent.
Ils pensent le futur, ils inventent demain.
1 Thérapie par les arbres.
2 Lire à ce sujet l’article du Figaro : « Une pétition dénonce la coupe des chênes pour reconstruire Notre-Dame de Paris ».
3 Lire à ce sujet, par exemple : « Nous voulons conserver des arbres le long des routes », « Arbres en péril le long de nos routes » ou « Dire et redire l’histoire des alignements d’arbres en France… ».