Le numéro 296 du magazine VMF, sorti en kiosque le 2 mars 2021, vous emmène à la découverte des plus beaux jardins de France. Vous souhaitez en découvrir davantage ? Après la découverte des jardins de Noirlac, et celle du jardin de Cimiez, PAJ vous propose une nouvelle promenade dans le jardin de Picomtal, à Crots.
Inspiré par l’histoire comme par le paysage fabuleux qui l’entoure, le jardin du château de Picomtal, à Crots (Hautes-Alpes), est le lauréat 2015 du prix VMF Jardin contemporain et patrimoine. Remontant à 2001, cette création dialogue avec un château du XVIe siècle, flanqué de quatre tours, sur un site occupé depuis le Moyen Âge, en bordure du lac de Serre-Ponçon.
En 1995, Loïc Pianfetti, paysagiste fraîchement diplômé, se voit confier par l’État la mission d’effectuer un pré-inventaire des jardins remarquables des Hautes-Alpes en collaboration avec Mireille Nys, historienne de l’art des jardins, enseignante à l’université de Provence. Il décrit alors le jardin ruiné de Picomtal. Le hasard fait que, six ans plus tard, les nouveaux propriétaires du château, Jacques Peureux et Sharon Halperin, lui confient la mission de concevoir un nouveau jardin autour du château. Un travail auquel s’attelle avec enthousiasme l’enfant du pays, originaire d’Embrun, qui connaît parfaitement la région, ses montagnes, et surtout la difficulté de composer avec ce climat si particulier puisque son propre jardin se situe à proximité.
Le parterre nord-est du jardin régulier, où l’on voit se mêler différents types de plantes rustiques. Au premier plan des Kniphofia, appelés aussi « tison de Satan », puis des Melica ciliata et, au fond, des Eremurus, ou « lis des steppes », aux longs épis de petites fleurs jaunes. La maison est dotée sur le côté sud de portes-fenêtres ouvrant sur l’espace du jardin régulier. Deux Juniperus virginiana (genévriers de Virginie) plantés au début du XIXe siècle encadrent la porte centrale.
Une création palimpseste
Le paysagiste ébauche le projet en parfaite symbiose avec les propriétaires : « Il ne s’agissait pas de faire table rase du passé, explique-t-il. Mon souhait était d’écrire un jardin contemporain racontant également la succession des évolutions connues. À Picomtal, il s’agissait non seulement de restituer ou de réinterpréter les éléments ruinés datant des XVIIIe et XIXe siècles, qui s’avéraient suffisamment conservés pour l’être, mais aussi d’écrire une nouvelle page, de concevoir un jardin entièrement nouveau ans cet écrin historique et paysager. » Loïc Pianfetti va imaginer une création palimpseste en juxtaposant différentes influences, à l’exemple de ce château médiéval que ses différents propriétaires, à partir du XVIIIe siècle, n’ont eu de cesse de rendre plus confortable, ce qui explique que des éléments de diverses époques s’ajoutent à sa structure d’origine. Il y a par exemple, s’insérant entre les deux tours de la façade sud, une véranda évoquant la Louisiane, ajoutée sous la monarchie de Juillet et, fièrement dressés devant elle, deux genévriers de Virginie plantés à la même époque.
Le tracé d’un jardin classique
Les jardins classiques de Provence associent toujours les fonctions vivrière et d’agrément. Ils s’articulent autour d’espaces de représentation particulièrement soignés et d’espaces de production organisés, combinant minéral, eau, verger, jardin de propreté, cultures et bois. Picomtal décline nombre de ces éléments génériques : bassin, verger, jardin, bois, champs. Des photographies du XIXe siècle attestent que ce jardin était alors vivrier et s’organisait en croix. Mais le tracé régulier est bien plus ancien et l’on peut imaginer que, dès le XVIIIe siècle, un jardin similaire s’établissait en ces lieux. Était-il également voué aux cultures potagères dans les quatre carrés ? On ne saurait l’affirmer avec certitude, faute d’éléments.
Pour le tracé, le paysagiste s’appuie sur des analyses typologiques, des éléments d’archives et des sondages afin de connaître les principes d’organisation spatiale. De ses recherches, il ressort que le jardin régulier était limité au sud par un nymphée établi au cœur d’un long mur de deux mètres cinquante de haut dont il ne restait que les soubassements. De part et d’autre, à l’est comme à l’ouest, courait une clôture à pilastres dont il ne subsistait que quelques éléments. Sa restitution est faite dès 2002 avec la reconstruction du mur bahut qui soutient les pilastres en brique et la ferronnerie. Parallèlement, est repris l’élégant portail d’ honneur du XVIIIe siècle, dont l’ouverture doit être agrandie.
À l’angle sud-ouest du jardin régulier se trouvait une réserve d’eau fonctionnelle, sans doute aménagée à la fin du XVIIe siècle pour parer aux incendies. Le bassin ayant été comblé, il fallut le vidanger puis le curer. Ensuite, les pierres furent rejointoyées et l’étanchéité revue. Par la pose d’une margelle et la mise en place d’un encadrement en charmille, le paysagiste a créé une pièce de verdure faisant transition avec le bois qui la borde. Cette évolution a permis d’affirmer clairement un axe secondaire est-ouest de composition passant au pied du nymphée.
« Afin d’équilibrer l’ensemble, j’ai pensé la parcelle située à l’est comme un verger régulier structuré par un axe ouest-est partant du jardin régulier, passant par le miroir d’eau et se terminant par un arbre remarquable, un Acer x freemanii. Les archives ont révélé au cours de la mise en œuvre du projet que mon intuition spatiale était juste puisqu’un verger avait justement existé à cet emplacement », complète le paysagiste. « En fait, observe Michel Audouy, professeur à l’École nationale du paysage à Versailles, un des membres du jury qui a primé Picomtal, la création de ce jardin résulte d’un triple travail d’archéologie, de recherche en archives et de prise en compte des conditions de milieu : sol, climat, paysage. »
Les sommets mis en scène
Outre la restitution et l’interprétation des éléments ruinés, Loïc Pianfetti s’est attaché à créer un nouveau rapport au grand paysage en faisant entrer celui-ci dans la composition, par le biais d’axes perspectifs affirmés s’ouvrant sur l’horizon et cadrant des éléments singuliers. Il faut dire que de toutes parts, depuis la butte haute de 830 mètres sur laquelle a été édifié le château, la vue est extraordinaire, que l’on embrasse du regard, au nord, les cimes méridionales du massif des Écrins qui s’élèvent de 2 500 à 3 000 mètres en rive droite de la Durance et du lac de Serre-Ponçon, ou que la vue porte, au sud, vers le massif du Parpaillon. Ce rapport au grand paysage se veut aussi poétique, avec la mise en scène dans le jardin de ses éléments fondateurs : ainsi le contraste entre l’ubac et l’adret est décliné à travers le jeu de la palette végétale qui se structure avec les éléments construits et les ambiances qu’ils induisent (ombre du mur du nymphée, ouverture de la partie centrale…).
Ligne de fuite le long des grilles scandées de pilastres en briques qui séparent le jardin régulier du bassin ovale créé au XVIIIe siècle. Au fond, derrière le portail appuyé à l’une des tours du château, on aperçoit le lac de Serre-Ponçon. Cet escalier en calade (« galets calés » ramassés dans le lit de la Durance), avec des contremarches en calcaire marbré, a été entièrement repris par un artisan de la région.
Un axe nord-sud majeur
Les quatre parterres au nord du nymphée donnent l’impression d’être des carrés. « En fait, explique le paysagiste, ce sont des trapèzes assemblés et travaillés afin de donner l’illusion de la régularité par le jeu de la perspective. Rien n’est régulier en ce jardin, ce que l’on peut remarquer depuis la véranda. Les allées ne sont donc pas régulières non plus : plus étroites vers le nymphée, elles permettent ainsi d’accélérer la perspective et de donner un sentiment de plus grande profondeur qu’en réalité. » C’est en renforçant l’axe nord-sud que Loïc Pianfetti a pu insérer le grand paysage dans la composition de ce jardin de propreté. Pour cela, il a fait reprofiler le talus surplombant le mur du fond et arracher les arbres et arbustes présents au premier plan afin de dégager la vue sur la forêt de pins, puis le mélézin qui grimpe jusqu’à la crête du Lauzet, devenue ainsi un prolongement naturel du jardin. Côté nord, le parvis a été épuré pour cadrer le grand paysage avec en toile de fond le mont Guillaume, dominant de ses 2 550 mètres la ville d’Embrun, et les aiguilles de Chabrières, culminant à 2 403 mètres, qui font face au château. Cette mise en valeur du bâti rappelle le caractère autrefois militaire des lieux.
Les éléments constitutifs du paysage (l’eau, le vent, l’ombre, la lumière, le relief…) ont également alimenté la conception. Ici, l’eau ne se mélange pas à la terre, les lits des rivières sont des galets, le vent omniprésent fait danser les graminées qui s’étendent sur les steppes des étendues pierreuses des oueds. Les ubacs, frais, verts et boisés, contrastent avec les adrets secs, couverts d’une flore aromatique. L’eau s’exprime sous toutes ses formes : eau jaillissante des sources, eau miroir des lacs d’altitude, cascadante dans son jeune parcours, bouillonnante dans la vallée puis s’assagissant dans la Durance pour son voyage vers le Rhône. Les allées de Picomtal seront donc de pierre de Durance concassée. Des steppes habiteront les carrés situés au soleil tandis que le nymphée situé à l’ubac sera le lieu de contraste des plantes exubérantes de fraîcheur, là où coule la source. L’eau miroir règne au centre de la composition, dans l’axe de la crête du Lauzet.
Des graminées adaptées
Le natif de la région connaît bien les conditions difficiles de l’endroit : sol peu fertile, climat méditerranéen de montagne, sec et chaud l’été, sec et très froid l’hiver. Il a puisé son inspiration dans l’école allemande qui prônait déjà, avec quelques longueurs d’avance, le naturalisme et le développement durable. Un des ouvrages de référence en la matière est celui que publièrent, en 1981, Richard Hansen et Friedrich Stahl sous le titre Die Stau-den und ihre Lebensbereiche in Gärten und Grünanlagen (« Les plantes vivaces et leurs milieux dans les jardins et les espaces verts »).
L’idée forte de Loïc Pianfetti a consisté à traiter les quatre parterres comme des steppes. Au départ, il a mis en test, pendant un an, douze graminées à port souple, susceptibles de s’adapter aux conditions locales avec l’objectif qu’elles restent gracieuses même après une chute de neige. Cette expérimentation a montré que le Stipa tenuissima était un bon candidat. Le tapis mouvant du panache des graminées s’émaille de bulbes au printemps avant de s’animer de vivaces colorées, rustiques et héliophiles. Malheureusement, les stipas, très sensibles à l’humidité, ont disparu en grand nombre à la suite du printemps 2013, extrêmement arrosé. D’autres graminées furent alors plantées : Calama grostis, au port trop raide, puis Melica ciliata, une belle locale des pierriers. Ce jardin de steppe très solaire s’oppose puissamment aux verts frais dominants des plantations exubérantes qui ont pris place au pied du mur d’eau.
Au premier plan à gauche, devant une plate-bande de roses et de pivoines bordée de buis, un ancien saloir retrouvé dans les caves du château. Au fond, une fontaine en cargneule, copie de celle qui lui est symétriquement opposée. Détail du parterre sud-ouest, où l’on retrouve les plantes rustiques précédemment citées.
À Picomtal, l’œuvre du paysagiste a été essentielle, mais le travail des propriétaires suscite aussi l’admiration. Comme aime à le dire son concepteur, un jardin ne peut exister sans celui à qui il est destiné. Seul un jardinier en trois quarts de temps (plein temps les six mois de la belle saison, mi-temps le reste de l’année) aide Jacques et Sharon. Une autre prouesse du paysagiste est d’avoir conçu un jardin assez facile à entretenir, mais qui ne tient que grâce à l’investissement régulier et personnel des propriétaires. Ainsi Picomtal met brillamment en scène les éléments fondateurs du paysage local – l’eau, la roche, le vent, le relief… « Voilà une réinterprétation raffinée d’un jardin provençal du XVIIIe siècle, mais aussi une création tout à fait contemporaine », souligne Michel Audouy.