De la région drouaise à l’entourage des rois de France, chaque descendant de la famille Métezeau s’est employé à construire, pierre par pierre, l’histoire d’une dynastie qu’il convient aujourd’hui de réhabiliter.
Des chantiers de Dreux à la Cour
Le premier Métezeau dont les registres ont connaissance n’est pas architecte, mais plus simplement maçon. On sait que Clément Ier Métezeau, en 1512, a terminé la construction du beffroi de l’hôtel de ville de Dreux – mais on ignore s’il en était originaire – et qu’il a œuvré sur le chantier de l’église Saint-Pierre de la ville, dont il éleva la façade à partir de 1524. Sa mort survient avant 1555, sans indication plus précise. Malgré ces réalisations, le destin de Clément Métezeau semble relativement modeste. Mais en transmettant sa passion à ses enfants, il est devenu le patriarche d’une dynastie de brillants architectes.
Deux de ses fils reprennent le flambeau : Jean Ier, resté à Dreux où il travaille comme son père sur l’église paroissiale, et son frère Thibault, né en 1553, qui est soutenu par le duc d’Alençon, au service duquel il entre et grâce auquel il part à Paris. Il y rencontre de grands succès. Lorsque les travaux du Pont-Neuf débutent en 1578, sous l’impulsion d’Henri III, il est cité comme l’un des entrepreneurs de ce prestigieux chantier, qui ne sera achevé qu’en 1606, 20 ans après sa mort. Il est associé à de nombreux et honorables projets : il intervient un temps sur le chantier de la rotonde des Valois, et participe également, en tant qu’entrepreneur, à l’avant-portail de la porte Saint-Antoine. Il meurt en 1596, après avoir peut-être été nommé architecte du roi, et non sans avoir légué le goût de l’architecture et de l’ascension sociale à sa progéniture.
Deux fils, à nouveau, suivent la voie paternelle : Louis et Clément II, prénommé d’après le grand-père fondateur. Si l’aîné est quelque peu tombé dans l’oubli malgré une ambitieuse carrière auprès du roi, le cadet est passé à la postérité grâce à son implication dans un coup de force politique.
Louis Métezeau, à l’ombre du roi ?
Louis Métezeau, l’aîné, poursuit l’ascension sociale initiée par ses aïeux. Nommé ordonnateur des bâtiments royaux en 1594, il n’est pas simplement l’un des nombreux architectes du roi Henri IV, il a la préférence de celui-ci, qui le manifeste par de nombreux avantages : ses gages sont, de loin, les plus élevés parmi ses confrères, il est également le seul à bénéficier d’un logement aux Tuileries puis au Louvre.
Le plan conçu par Louis Métezeau pour le Prytanée militaire de La Flèche (Sarthe) présente une enfilade de trois cours. © Bernard Galéron Dans la cour centrale du Prytanée, dite cour de Sébastopol. © Bernard Galéron Un buste d’Henri IV surmonte la porte de l’un des bâtiments ouvrant sur la cour de Sébastopol. C’est Henri IV qui, après avoir autorisé le retour des Jésuites en France en 1603, leur cédera le Château-Neuf de La Flèche pour pour y créer un collège. © Bernard Galéron
S’il est complexe de retracer quelles furent exactement ses réalisations pour le roi, car plusieurs architectes étaient systématiquement rattachés aux projets de construction, il est cependant le seul dont les sources attestent qu’il a travaillé au Louvre à cette époque. Plusieurs dessins, pour la salle des Antiques et la décoration des appartements du roi et de la reine notamment, le démontrent. Il a également participé à la conception de la place Royale, aujourd’hui place des Vosges, à celle de la place Dauphine, ou encore au chantier du château de Saint-Germain-en-Laye. Si l’on ignore son rôle exact, on suppose, au vu de sa proximité avec Henri IV, qu’il supervisait ces projets, et en déléguait la réalisation à proprement parler.
Avant 1610 et l’assassinat du roi auquel il était entièrement dévoué, il construit très peu pour des particuliers. Mais cet événement tragique le pousse à diversifier les commanditaires, et il bâtit des hôtels particuliers, notamment celui d’Alméras, rue des Francs-Bourgeois, dont le portail, richement orné, est empreint d’un certain maniérisme. Toutefois, la famille royale ne l’abandonne pas : Marie de Médicis l’envoie à Florence où il relève les plans du Palazzo Pitti, qui servira d’inspiration au futur palais du Luxembourg. Sa réputation de dessinateur est excellente, et s’il ne participe pas à la construction du palais, c’est peut-être à cause d’une santé défaillante, car le projet est lancé quelques mois avant sa mort en 1615.
Clément Métezeau : en campagne
Son frère étant omniprésent à Paris, Clément II, son cadet né en 1581, choisit de débuter sa carrière hors de la capitale. Il se lie avec Charles de Gonzague, prince souverain d’un petit territoire situé sur une double boucle de la Meuse. Charles souhaite y construire sa propre cité, modestement appelée « Charleville », qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de Charleville-Mézières, après la fusion de ces deux communes voisines qui furent longtemps rivales. De longues années de travaux sont nécessaires pour l’édification ex nihilo de la ville, dont le point névralgique, la place ducale, est dessinée par Clément. Sa forme rectangulaire, ses arcades et les 27 pavillons d’ordonnance classique qui la bordent ne sont pas sans rappeler la place royale parisienne.
Enfilade des façades bordant l’un des côtés de la place des Vosges à Paris, ancienne place Royale à la conception de laquelle Louis Métezeau a participé, fils aîné de Thibault et frère de Clément II. © Marc Bertrand/OT Paris Joyau de la ville de Charleville-Mézières (Ardennes), la place Ducale dessinée par Clément II mesure 127 mètres de long par 90 mètres de large. © Dietemar Rabich
À la mort de Louis, il revient à Paris et devient, comme de juste selon le destin familial, architecte du roi. Il répond, en parallèle de ce royal emploi, à des commandes privées : il procède à des embellissements sur l’hôtel du duc de Chevreuse, aujourd’hui détruit, mais une gravure de Marot témoigne d’un imposant bâtiment, d’une grande sobriété et dépourvu de la surcharge décorative des œuvres de son frère aîné. Le portail, qui est de son fait, s’ouvrait directement sur la place du Carrousel, en face de l’entrée du jardin des Tuileries. Les alentours du Louvre doivent beaucoup à Clément Métezeau : après avoir débuté le chantier de l’église de l’Oratoire en 1621, il est remplacé par Jacques Lemercier un an plus tard, pour être finalement rappelé par le roi en décembre 1623 afin de veiller à ce que « l’église entre dans le dessein du Louvre ».
Épisode plus sanglant, mais qui lui offre la gloire, Clément est au service du roi Louis XIII lorsqu’en 1627 ce dernier souhaite ramener à la raison les hérétiques protestants de la Rochelle, qui se sont autoproclamés indépendants. Pour empêcher les secours anglais de ravitailler la ville par la mer et lui permettre de tenir un siège, une solution est trouvée : fermer l’entrée du port par une immense digue, dont la conception est en partie confiée à Clément Métezeau, et affamer ainsi les Rochelais. L’opération est une réussite : après plus d’un an de siège, les habitants – ou ce qu’il en reste, les quatre cinquièmes étant morts de faim – se convertissent au catholicisme. Magnanime, Louis XIII leur laisse la vie sauve… Aujourd’hui, seuls des restes de la digue sont visibles à marée basse, mais l’histoire a un immense retentissement et l’architecte en sort couvert d’honneurs.
Que sait-on aujourd’hui des Métezeau et de leur travail ? En gravissant les échelons de la société, cette famille s’est imposée parmi les principales dynasties d’architectes de la fin du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècle. Le nom de Clément II a perduré plus longuement à travers les siècles, entraîné par l’histoire politique, mais il convient de ne pas oublier Louis, dont la brillante carrière n’est pas à la mesure de sa postérité, ni leurs ancêtres qui les poussèrent vers le sommet1.
1 Merci à Madame Emmanuelle Loizeau, docteur en Histoire de l’Art et spécialiste des Métezeau, pour son aide et son contrôle scientifique durant la rédaction de cet article.