Les outils de protection du patrimoine sont nombreux. Classements, inscriptions, labellisations… certains s’y perdent. Comment la France protège-t-elle son héritage bâti ? PAJ fait le point.
Une petite histoire du patrimoine
Si les premières mentions de « monuments historiques » datent du XVIIe siècle, c’est seulement sous la Restauration qu’une véritable conscience patrimoniale émerge. Avec la Révolution et l’abolition des privilèges, de nombreux biens royaux et ecclésiastiques sont saisis ou spoliés. Si certains sont nationalisés pour combler le déficit des finances publiques, d’autres sont victimes de la Terreur et de l’iconoclasme qui plaide pour la destruction de tout bien ou monument lié au pouvoir royal comme religieux.
Il faut attendre le début du XIXe siècle pour que la question de la conservation soit soulevée et portée par quelques personnalités publiques. En 1832, Victor Hugo écrit Guerre aux démolisseurs, œuvre dans laquelle il plaide pour la reconnaissance et la conservation du patrimoine bâti : « Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait ; qu’on la fasse ! (…) Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde ; c’est donc dépasser son droit que de la détruire. »
Dans cette même optique, la Commission des monuments historiques est créée le 29 septembre 1837, avec pour objectif de recenser et classer les monuments en péril afin de pouvoir les restaurer. Ludovic Vitet, homme politique et écrivain français, en devient le premier inspecteur. Il sillonne les routes de France, chargé de dresser un inventaire des monuments concernés. Pour la première fois, un petit budget est alors alloué aux monuments historiques, puis, en mars 1887, une révolution a lieu : une première loi pour le patrimoine est votée. Souvent oubliée au profit de sa grande sœur de 1913, la loi de 1887 assure la protection des œuvres qui présentent, à l’échelle de la nation, « un intérêt du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie ». Cette loi est la première à stipuler qu’un monument classé ne peut être détruit, et doit être restauré sous la supervision des autorités légitimes.
Henri Meyer (1844-1899), Victor Hugo. Imprimerie du journal, Le Géant, 26 avril 1868. © Maisons de Victor Hugo/Paris Musées Ludovic Vitet, homme politique et écrivain français, fut le premier inspecteur de la toute nouvelle Commission des monuments historiques créée en 1837. Extrait du Panthéon des illustrations françaises au XIXe siècle, par Victor Frond.
En 1905, la loi sur la séparation de l’Église et de l’État change la donne, et le patrimoine religieux bâti avant cette date devient la propriété de la République. Le nombre d’édifices classés explose : alors qu’en 1905, seules quelques 900 églises étaient classées, elles sont environ 2 000 en 1913 et représentent la moitié des monuments historiques. L’élaboration d’un nouveau texte devient nécessaire, et le 31 décembre 1913 est promulguée la loi sur les monuments historiques telle que nous la connaissons aujourd’hui. Si elle reprend les grandes lignes de la loi de 1887, elle élargie également la notion de patrimoine et étend le classement d’office aux monuments privés. L’État se réserve donc le droit d’intervenir sur un monument historique, quel que soit son propriétaire, si son état le nécessite ou qu’un danger le menace. Elle prévoit également une nouvelle mesure de protection : l’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, qui permet la protection d’un édifice sans que celui-ci ne soit classé.
Avec cette loi emblématique, l’État définit un patrimoine commun appartenant à la nation. Elle est, encore aujourd’hui, le socle du code du patrimoine établi en 2004.
La protection au titre des Monuments historiques
L’Inventaire des monuments historiques est né en 1837 de la commission éponyme. D’abord considéré comme le moyen de recenser les édifices en péril, il est devenu au fil du temps un instrument de protection juridique. La protection au titre des Monuments historiques constitue une servitude d’utilité publique. Elle est prévue par le livre VI du code du patrimoine et reprend pour l’essentiel les dispositions de la loi du 13 décembre 1913. Aujourd’hui, deux degrés de protection sont possibles :
- l’inscription d’un édifice au titre des Monuments historiques : cette protection remplace l’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, qui fût en vigueur jusqu’en 2005. Selon le ministère de la Culture, un édifice est éligible à l’inscription lorsqu’il est considéré « comme présentant un intérêt d’art et d’histoire suffisant pour en rendre désirable la préservation ». Les édifices concernés sont protégés par la région dans laquelle ils se situent et le choix de cette inscription revient donc au préfet ;
- le classement d’un édifice au titre des Monuments historiques : les édifices concernés sont protégés au niveau national par le ministère de la Culture. Un édifice peut être classé lorsque sa conservation « présente, du point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public ». C’est actuellement le plus haut degré de protection possible.
En 2019, la France comptait 44 421 édifices protégés au titre des Monuments historiques, dont 37 % appartenaient à des propriétaires privés. Dans le cas d’un édifice privé, c’est le propriétaire qui fait une demande de protection à la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de la région dans laquelle est situé l’édifice, puis à la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA). La Drac peut ensuite proposer au ministre de la Culture une mesure de classement, ou bien inscrire l’immeuble au titre des Monuments historiques. Dans tous les cas, lorsqu’un édifice fait l’objet d’une protection, ses droits de propriété sont restreints dans l’intérêt collectif : si le propriétaire garde la responsabilité de la conservation de l’édifice, il doit en revanche respecter certaines règles bien précises – le cas échéant, l’État se réserve le droit d’intervenir en urgence.
Les obligations des propriétaires privés sont nombreuses, et varient en fonction du degré de protection de leur bien. Le code du patrimoine recense toutes ces obligations. Le propriétaire privé ne peut pas détruire, restaurer, réparer ou modifier son bien à sa guise. Si une restauration est nécessaire, il lui faut en faire la demande quatre mois avant aux autorités administratives. Une fois la demande de restauration acceptée, elle doit se faire sous le contrôle scientifique et technique des architectes des bâtiments de France, un corps de métier dépendant de l’État français créé en 1946 afin d’assurer le respect du territoire et de préserver son homogénéité.
Le château de Maillé (Finistère) bénéficie d’un classement partiel au titre des Monuments historiques, notamment pour les cheminées peintes de deux de ces chambres. © Bernard Galéron Le manoir de la Chaslerie (Orne), photographié en 2014 lors de la restauration de ses toitures. La Chaslerie a bénéficié d’une première inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1926, puis d’une seconde en 1993, avant d’être en grande partie classée au titre des Monuments historiques en 1995. © Cécile Dégremont
Un monument classé est soumis à des règles strictes : son aspect doit rester le même et ses travaux ne doivent être effectués qu’avec des matériaux identiques à ceux d’époque afin de conserver l’aspect original de l’édifice. Pour ce faire, des subventions versées par l’état sont accordées aux propriétaires lorsque certains travaux sont nécessaires. Pour les immeubles inscrits, l’État prend généralement en charge 30 % du coût des travaux. Un pourcentage qui peut atteindre 50 % pour les édifices classés.
Mais un monument peut également être partiellement protégé. Les protections monumentales partielles représentent près d’un dixième des édifices inscrits ou classés. La protection partielle s’établit lorsqu’un site, dans sa globalité, ne nécessite ou ne mérite pas une protection dans son intégralité, mais que certains éléments de son architecture doivent être préservés. Cela peut être le cas pour une charpente, une façade, ou encore des éléments d’ordre décoratif.
Les labels : reconnaître le patrimoine pour mieux le préserver
La protection du patrimoine au titre des Monuments historiques, bien qu’elle soit fréquemment utilisée, n’est pas le seul outil disponible. Dans les années 1980, les labels spécifiques au territoire français font leur apparition. S’il existait déjà des labels mondiaux liés à l’Unesco et des labels européens, les labels français ont pour objectif de valoriser les différentes richesses territoriales du pays.
Un label peut également permettre de protéger un édifice qui ne bénéficie pas de classement ou d’inscription. Le label « Patrimoine du XXe siècle », désormais « Architecture contemporaine remarquable », créé en 1999 et décerné par le ministère de la Culture, couvre aujourd’hui plus de 2 300 édifices, dont le tiers ne jouit d’aucune autre protection historique. C’est également le cas du label « VMF Patrimoine historique », attribué à des édifices dont l’intérêt patrimonial est notable. Fondée en 1967, sa commission permet d’attirer le regard du public comme des spécialistes sur ces monuments, en vue d’une future protection nationale.
Contrairement à la protection au titre des Monuments historiques, dont les contours n’ont pas connu de changement majeur depuis le XIXe siècle, les labels sont fréquemment renouvelés. En septembre dernier, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot annonçait la création du nouveau label « Capitale française de la culture ». C’est Villeurbanne, dans le Rhône, qui a obtenu cette première récompense assortie d’une subvention d’un million d’euros.
LES PRIX DES FONDATIONS : RÉCOMPENSER LES INITIATIVES
Prix et bourses contribuent, d’une autre manière, à la protection du patrimoine. Ces mécénats, mis en œuvre par de nombreuses fondations, affichent un objectif clair : soutenir des acteurs du patrimoine tels que les collectivités territoriales, les particuliers ou les associations qui s’investissent dans des projets de sauvegarde du patrimoine. Le prix du mécénat populaire de la Fondation du patrimoine récompense ainsi chaque année des projets fédérateurs. En 2019, le lauréat était la commune de Velars-sur-Ouche (21) pour sa restauration de la chapelle Notre-Dame d’Étang.
L’histoire de la protection du patrimoine est longue, et il arrive qu’un bâtiment – dont la pertinence historique est pourtant indéniable – soit détruit par des propriétaires peu scrupuleux, malgré une forte mobilisation. La destruction de la chapelle Saint-Joseph, à Lille, a soulevé une problématique aussi dense que complexe : quelles sont les limites de la préservation du patrimoine bâti lorsqu’un monument n’est ni classé, ni protégé ? Jusqu’à quand l’État peut-il agir ? Jusqu’où sa responsabilité morale est-elle engagée ? Des questions à prendre au cas par cas, que PAJ explorera d’ici peu.