« Pierre Puget, sculpteur, architecte et peintre marseillais » : c’est ainsi que l’artiste phocéen signait ses œuvres, soulignant ainsi son attachement à sa ville natale et la multiplicité de ses talents. Son œuvre architecturale est pourtant demeurée la moins connue de ses activités.
L’Italie comme boussole
Pierre Puget naît en 1620 d’un père maître maçon, lui-même issu d’une famille de riches agriculteurs. On suppose que cet héritage lui a donné le goût du bâti, mais la mort précoce de son père, alors qu’il n’a que deux ans, oblige sa mère à le placer comme apprenti chez un artisan produisant du mobilier d’église. Il part pour l’Italie, dès ses dix-huit ans, voyage à travers le pays et parvient à Rome où il rencontre puis accompagne Pierre de Cortone, qui termine à cette époque la décoration du palais Barberini. Il est introduit dans l’atelier d’un sculpteur sur bois, et y développe sa technique.
Profondément imprégné par la culture italienne, il rentre en France au bout de cinq ans pour veiller sur sa mère, gravement malade ; il retournera cependant de nombreuses fois en Italie, pour de courts séjours ou pour des années entières. Il est employé en tant que chef décorateur à l’arsenal de Toulon, où il déploie avec virtuosité une sculpture navale à la gloire du roi. C’est à Toulon également qu’il fait ses premiers pas dans l’architecture, en 1656, alors qu’il a déjà trente-six ans : les consuls locaux lui commandent un balcon pour l’hôtel de ville, qui sera très apprécié. Les deux atlantes de style baroque qui servent de soutien à sa partie supérieure sont un motif librement inspiré des plafonds de Pierre de Cortone au palais Pitti.
Marseille en construction
Un buste de Pierre Puget orne l’un des piliers du portail de l’école des Beaux-Arts de Paris ouvrant sur la rue Bonaparte. Son pendant représente le peintre Nicolas Poussin. Les deux œuvres sont de Michel-Louis Victor Mercier. © Selbymay Atlantes et balcon de l’ancien hôtel de ville de Toulon (Var). © David Monniaux
Ce succès l’encourage. Lorsqu’en 1666, une rénovation de Marseille est souhaitée par le roi, qui veut voir la ville et son port s’étendre à la mesure de leur potentiel commercial, Pierre Puget présente immédiatement des plans. Ceux-ci enthousiasment les échevins chargés de sélectionner les projets, qui acceptent le sien sans réserve. Mais l’élection d’un nouveau conseil rebat les cartes : les dessins promettent un chantier complexe, un budget très élevé. Les dirigeants s’en inquiètent, d’autant que les longues années nécessaires à sa réalisation pourraient contrarier Louis XIV, peu connu pour sa patience. Pierre Puget est donc écarté, mais l’agencement définitif, réalisé par les maîtres d’œuvre de la ville, est certainement une version réduite de son plan originel. Il avait imaginé une immense avenue, d’amplitude égale sur toute sa longueur. Le cours Belsunce et le cours Saint-Louis qui furent construits à sa place sont une réinterprétation a minima de cette idée : les bâtiments baroques qui bordent encore aujourd’hui une partie du cours Belsunce, et l’angle cours Saint-Louis – Canebière, témoignent de son empreinte.
La construction de l’hôtel de ville, autre axe du projet d’embellissement de Marseille, ne lui permettra pas non plus d’exprimer son talent : Pierre Puget est consulté trop tard ; il n’y ajoutera que des ornements, notamment les armes de la cité qui habillent le fronton. Quant à la halle Puget, héritière de la halle aux poissons devenue trop petite pour la ville en expansion, on ignore quel fut le rôle exact de Pierre dans sa conception. L’origine de la confusion est amusante : l’édifice en lui-même a été élevé par le maître maçon Pierre Puget, un parfait homonyme qui brouille les pistes. On peut raisonnablement estimer que l’architecte a participé au projet, peut-être même l’a dirigé, mais il est impossible de lui attribuer avec certitude la paternité de cette halle aux allures de temple antique et de ses vingt colonnes ioniques.
Royales déconvenues
Une nouvelle occasion se présente en 1685 : après la révocation de l’édit de Nantes, Louis XIV poursuit son entreprise de réaffirmation du pouvoir royal, chaque ville doit se doter d’une nouvelle statue du souverain. Afin de donner à cette sculpture un cadre digne de celui qu’elle représente, Puget présente des croquis d’une place ovale, qui n’est pas sans rappeler celle de Saint-Pierre-de-Rome. Monumentale, elle présente des façades baroques au rythme régulier, et sa largeur est égale à celle du port ; un arc de triomphe majestueux dans l’axe de ce dernier, reliant la ville et la mer, complète le tableau. Là encore, ce sont les éléments extérieurs qui empêchent Pierre Puget de mener à bien ce travail : la guerre avec la Hollande éclate en 1689, et la participation de Marseille à l’effort de guerre anéantit toute possibilité d’engager une telle dépense.
Les projets de la noblesse ne portent pas chance à Puget. Il est appelé pour travailler sur les décors du château de Vaux-le-Vicomte. Il approche ainsi pour la première fois un cercle d’architectes proches du roi qu’il ne fréquentait pas auparavant au vu de sa carrière italienne et provinciale. Mais cette ouverture se referme rapidement, lorsque la disgrâce de l’intendant Fouquet, propriétaire du somptueux bâtiment, l’entraîne indirectement dans sa chute : Colbert reprend la main sur les affaires immobilières du roi et l’exclut des projets suivants, notamment de la commande de Versailles. À l’exception de la fourniture de quelques marbres, il sera absent de ce chantier, le plus important du XVIIe siècle, et ne parviendra jamais à s’imposer comme architecte de la Cour ou de l’Académie d’architecture, trop peu familier de leurs raides principes et protocoles.
Au chevet des fainéants
En définitive, la seule construction monumentale entièrement attribuable à Pierre Puget est l’hospice de la Vieille-Charité. Quelques années après l’édit royal qui préconise l’enfermement « bienveillant » des « fainéants », c’est-à-dire des sans-abris et des infirmes, le bâtiment est devenu trop exigu pour les accueillir. On commande donc à Puget ce qui restera son œuvre la plus remarquable, bien qu’il soit mort avant d’avoir pu la terminer, en 1674 ; son fils François l’achèvera. Construite dans une pierre rose et blanche locale, ses trois étages d’arcades et sa coupole ovale sont caractéristiques du style baroque que Pierre Puget a développé dans toutes les disciplines artistiques qu’il a explorées, en faisant un artiste singulier dans la France du XVIIe siècle.
L’ancien hospice de La Vieille-Charité à Marseille. Les bâtiments s’articulent autour d’une cour fermée. Les espaces sont desservis pat trois niveaux de galeries. Au centre se dresse l’ancienne chapelle, de style baroque © Bazza3000 Sous la coupole de l’ancienne chapelle de la Vieille-Charité. © Neil mp
Volontairement provocateur, le titre de cet article ne rend pas justice à la prolifique création architecturale de Pierre Puget. Il n’a pas concrétisé la majorité de ses projets, mais c’est le lot de nombreux architectes de son temps, les complications financières ou diplomatiques mettant souvent fin aux projets ambitieux. Son parcours unique est résolument baroque, en marge de la Cour, naviguant entre la Provence et l’Italie, et offre à la postérité un œuvre impressionnant de force et de régularité, maniant avec adresse tous les supports.