La protection patrimoniale de l’architecture en béton s’intensifie, ce qui montre la reconnaissance de la valeur monumentale de bâtiments du XXe siècle. Toutefois la restauration de ce jeune matériau représente un défi technique : les chantiers de la chapelle Notre-Dame du Haut de Le Corbusier et celui de la tour Perret sont le théâtre d’expérimentations et du développement de nouvelles techniques.
Les œuvres d’Auguste Perret et de celui qui a été son élève, Charles-Édouard Jeanneret, plus connu sous le pseudonyme Le Corbusier, représentent un manifeste en faveur des qualités techniques du béton armé. Considéré comme hautement durable, on sait aujourd’hui que s’il n’est pas entretenu, ce matériau se dégrade à une vitesse exponentielle par rapport à celle de la pierre.
En effet, le béton armé s’avère performant uniquement s’il est utilisé de manière extrêmement précise. La dégradation est causée par la combinaison même de ces deux matériaux : le béton craint principalement la corrosion de ses armatures. L’air et les polluants (notamment le chlore et le CO2), en pénétrant le béton, causent la corrosion de l’acier. En se dilatant, ce dernier engendre à son tour des fissures et les éclats de la surface.
La chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp, construite en 1955 par Le Corbusier, a fait plusieurs fois l’objet de réparations, sans jamais connaître une restauration appropriée. Une longue étude du bâtiment, commencée en 2015, a permis d’établir un protocole précis afin de rendre à l’édifice son éclat d’origine. La première phase de restauration, concernant essentiellement la façade sud, devrait s’achever en octobre, mais les travaux dans leur ensemble continueront jusqu’en 2024.
La tour Perret à Grenoble, une prouesse de 95 mètres de haut, érigée en 11 mois, représente la concrétisation de « l’ordre du béton » fondé par Auguste Perret. L’architecte, auquel on doit la reconstruction du centre-ville du Havre et le palais de Iéna à Paris (restauré en 2019), reçoit la commande de cette tour belvédère en 1925, dans le cadre d’une exposition internationale. Malgré des travaux d’entretien entrepris en 1952, l’accès au sommet a été interdit au public en 1960, les normes de sécurité n’étant plus assurées. Les travaux de réhabilitation visant à restituer l’édifice au public ont débuté en avril 2020 et s’étaleront jusqu’en 2024.
À ce jour, les techniques de conservation sont mises au point au moment même de la restauration. Le chantier de la tour Perret est précisément un de ces chantiers « tests » qui mettent les experts face à des choix éthiques et techniques. Comment respecter le plan architectural et artistique tout en l’améliorant sur le plan technique ? Comment assurer une meilleure pérennité sans altérer l’œuvre ?
Ces interrogations soulevées par les contraintes de sauvetage et de conservation sont d’une extreme actualité, car toute une génération de bâtiments arrive aujourd’hui à un âge où des travaux majeurs deviennent nécessaires afin d’en contrer la dégradation. Selon François Botton, maître d’œuvre de la restauration de la tour Perret et architecte du patrimoine, nous avons raison de croire être à l’aube d’un mouvement qui va modifier les conditions d’exercice du métier de restaurateur.
Alors que celles de la pierre demeurent presque inchangées depuis 5 000 ans, les techniques de conservation du béton ne cessent d’évoluer. Ces chantiers représentent donc des défis historiques qui enthousiasment, étant à l’origine d’avancées en termes de connaissances scientifiques aussi bien que de réflexions actualisant la notion de patrimoine.