Le patrimoine bâti et l’aspect général des villages que nous connaissons aujourd’hui en Haute-Saône résultent de la rencontre entre l’habitat rural et l’action des autorités civiles et religieuses aux XVIIIe et XIXe siècles. Une action qui a doté les communes d’un ensemble d’édifices et d’équipements publics de qualité, reflets des tendances architecturales du moment.
C’est l’annexion au royaume, en 1678, qui permet la mise en place d’une véritable législation concernant les communautés d’habitants et la constitution de corps administratifs dotés d’une autorité absolue : l’Intendance, bientôt aidée par l’administration des ponts et chaussées, ainsi que la grande maîtrise des eaux et forêts pour s’en tenir au principal. Ces administrations, travaillant dans une ambiance d’émulation sinon de concurrence, affectent les ressources financières d’origine forestière des communautés à une politique de construction d’églises, de presbytères, de ponts, de fontaines et d’autres bâtiments d’intérêt public qui jalonnent le bâti rural de réalisations bien exécutées, bénéficiant d’abords dégagés.
Autour des architectes, de multiples intervenants
Après la Révolution, l’administration préfectorale reprend cette oeuvre en élargissant ses buts. Des mairies plus nombreuses, des écoles mieux construites, en particulier après la loi Guizot (1833), viennent s’ajouter aux bâtiments précédents tandis que la reconstruction périodique des fontaines dote les espaces urbains d’édifices monumentaux. Le service vicinal, créé dès 1821, contribue par le biais de ses ingénieurs à l’œuvre des architectes libéraux et établit à partir de 1840 des plans d’alignement pour la plupart des villages.
Entre 1827 et 1861, on voit s’organiser progressivement les services de l’architecte départemental et du conseil départemental d’architecture qui contribuent au contrôle des dépenses et veillent à la pertinence et à la qualité des projets sur lesquels interviennent également l’archevêque et l’inspecteur d’académie. Ce système de contrôle n’empêche pas, bien au contraire, le développement d’une architecture à la mesure de l’ambition des concepteurs et des communes, répondant aux besoins de la population et sachant s’affranchir du strict utilitarisme.
Des travaux qui organisent l’espace et régularisent le bâti
Ce mouvement de construction d’édifices publics et de régularisation du bâti des villages concerne toutes les communes, avec plus ou moins d’intensité toutefois selon les types de village. La Haute-Saône connaît principalement un habitat groupé en villages à plan massé, avec quelques villages-rues et des hameaux et écarts sur les parties excentrées des terroirs. L’habitat dispersé de la région vosgienne n’empêche pas l’existence, dans les vallées, de centres peuplés où l’habitat ouvrier concurrence l’habitat paysan.
Partout, les maisons de cultivateurs éleveurs réunissent sous le même toit le logement, la grange et l’étable. Elles sont mitoyennes ou isolées le long des rues et précédées de l’« usoir », espace public à l’usage des riverains qui y entreposaient à l’origine le bois de chauffage et le fumier. Dans toute la moitié centrale de la Haute-Saône, ces maisons possèdent le plus souvent un logement en avancée sur l’usoir, d’où une rupture de l’alignement. Il s’agit toujours de grosses maisons bien bâties, qui n’ignorent pas l’architecture à la mode dans le décor des portes et fenêtres, et qui s’apparentent à l’architecture savante, au moins par le choix des matériaux.
Au XIXe siècle, les églises se convertissent au style néogothique
Les premières constructions marquantes sont souvent les églises qui, à partir de 1720 environ et surtout après 1740, viennent remplacer les églises médiévales. Cette campagne de reconstruction reprend après la Révolution, donnant des églises néoclassiques puis néogothiques à partir de 1845 et durant le Second Empire. Ces édifices hauts, très semblables dans leur aspect, en particulier celui de leur clocher, marquent fortement le paysage et l’intérieur des villages.
Borey, Avrigney ou Pin-l’Émagny donnent l’exemple d’églises construites au XVIIIe siècle au centre et en haut d’un village face à la pente. Cependant, elles font figures d’exception, la plupart des églises édifiées à cette époque ayant une situation moins immédiatement visible. Au XIXe siècle, des églises néogothiques sont construites dans des situations semblables comme à Confracourt. L’édifice, qui domine le village, offre à l’intérieur un volume, des lignes et une qualité de matériaux exceptionnels.
La maîtrise de l’eau, une préoccupation constante
La maîtrise de l’eau est une préoccupation pour les édiles, l’administration et les architectes. Les villages sont construits pour la plupart à proximité ou sur des sources sujettes à de forts débordements. Le souci de leur contrôle détermine la création de grandes fontaines capables d’absorber et d’évacuer les crues grâce à la disposition de leurs bassins et de leurs canaux. À Fallon, la plus ancienne des fontaines du département, datant de 1758, aligne sur une vingtaine de mètres son bassin de sources dans un édicule de cinq mètres de hauteur, l’abreuvoir, le rinçoir et le lavoir. Celle de Vaite, du début du XIXe siècle, offre les mêmes dispositions sur une longueur de trente-cinq mètres. À Fondremand, l’aménagement de la source de la Romaine (1831) permet de substituer un vaste ensemble régulier à une source débouchant dans une mare informe.
On rencontre parfois des plans plus complexes, comme la Grande Fontaine de Fontenois-lès-Montbozon, de 1829, ronde, ou la fontaine Saint-Desle à Esprels, de 1830, dont les bassins à ciel ouvert sont parcourus par une eau abondante. Des réseaux de canalisations viennent, quand il y a lieu, apporter l’eau dans tout le village. Ainsi, à Pin-l’Émagny, une quinzaine de fontaines de fonte et de pierre sont réparties tous les cent mètres le long des rues et s’ajoutent au lavoir situé au pied du coteau, sur une source. Ces fontaines, l’église majestueuse comme la mairie en pierre de taille donnent sa qualité à l’espace public de la commune.
Les mairies, éléments d’une mise en scène urbaine
La créativité des architectes se manifeste également dans la construction des mairies. La première mairie-lavoir est projetée en 1806 à Bucey-lès-Gy mais réalisée en 1830. Celle de Mailleroncourt-Saint-Pancras est établie en 1842 sur un lavoir en temple grec bâti en 1823. Les mairies de chefs-lieux de canton ne sont pas en reste. Celle de Gy, édifice à colonnade grecque archaïque (1840), a été plusieurs fois publiée. Le bâtiment abritant mairie, justice de paix et école à Noroy-le-Bourg forme sur la principale place du village, avec la grande fontaine et l’église néogothique, un ensemble digne d’une petite ville que prolongent les deux autres grandes fontaines de la grande rue.
À Breurey-lès-Faverney, la mairie, avec école et école maternelle (salle d’asile) datant de la fin de la monarchie de Juillet, surplombe de sa terrasse la place centrale où se dresse une vaste fontaine à lavoir à colonnade. Ce programme ambitieux, complété sous le Second Empire par deux grandes fontaines aux principaux carrefours du village et dominé par l’église reconstruite à la fin de la Restauration, fait de la commune un emblème de cette architecture publique participant d’un urbanisme rural qui marque fortement les paysages du département.
© VMF/MAP
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