Composante essentielle du paysage provençal, le mas témoigne, dans la sobriété de ses lignes, dans la qualité de sa construction et le choix des matériaux issus du terroir, d’un art de bâtir remarquable, admirablement adapté aux conditions climatiques et aux nécessités de la vie rurale. Promenades à la rencontre de ce riche patrimoine vernaculaire, qu’il faut savoir respecter, restaurer et mettre en valeur, sans tomber dans le pastiche identitaire.
Coiffés de tuiles rondes que mange le soleil, badigeonnés d’ocre chaud, solides sous les assauts du mistral, les mas provençaux, plus encore que tout autre type de maisons rurales, ont l’accent de leur terroir. Ils ont traversé les siècles, intemporels, en symbiose parfaite avec le paysage, qu’ils soient tapis derrière la flamme sombre d’un cyprès, noyés dans une nappe de blé en herbe, appuyés sur la masse bleue des Alpilles, posés sur le patchwork multicolore des champs, aperçus au bout d’une olivette plusieurs fois centenaire, dans la stridence du chant des cigales ou du bleu cobalt d’un ciel étourdissant – tels que les a vus Vincent Van Gogh, dans un éblouissement de lumières et de couleurs, le long des chemins entre Arles, la Camargue, Tarascon et Saint-Rémy.
« Lou mas », avec sa consonne finale sonore qui rappelle son origine latine (mansus) et renforce son identité solaire, représente la forme la plus traditionnelle et la plus ancienne de l’habitat dispersé en Provence occidentale. Il reste, envers et contre tous les remous de l’histoire, la maison provençale par excellence, comme celle qui sert de décor au drame d’Alphonse Daudet, L’Arlésienne : « Pour aller au village, en descendant de mon moulin, on passe devant un mas bâti près de la route au fond d’une grande cour plantée de micocouliers. C’est la vraie maison du ménager de Provence, avec ses tuiles rouges, sa large façade brune irrégulièrement percée, puis tout en haut la girouette du grenier, la poulie pour hisser les meules, et quelques touffes de foin brun qui dépassent… » Une maison paysanne donc, mêlant utilité et harmonie, si parfaitement cohérente et adaptée, si naturellement intégrée que les architectes contemporains n’ont de cesse de s’y référer et d’en réinterpréter (avec plus ou moins de bonheur) la leçon.
Au milieu des champs
Ce vocable désigne, à proprement parler, une exploitation agricole isolée où le paysan provençal vit en autarcie avec sa famille : le mas est donc, par excellence, l’unité d’exploitation rurale dans le cadre d’un habitat dispersé ; et son architecture ne peut s’envisager indépendamment d’une manière de vivre ancestrale, et d’un contexte économique et social aujourd’hui disparu. Inséparable de la campagne environnante, c’est le bien d’un homme et d’une famille, qui se sont attachés, à travers les générations, à mettre en valeur leurs terres et à en vivre : des céréales, de la vigne, quelques oliviers et des amandiers, des pâtures pour un petit troupeau, occupaient l’exploitation attenante, conformément au modèle méditerranéen de polyculture.
Symbole d’une économie fermée où l’homme se suffit à lui-même, le mas abrite sous un même toit bêtes et gens, se partageant entre le logement familial (grande pièce à vivre ou « salle » au rez-de-chaussée de plain-pied avec la cour et, à l’étage, chambres généralement exigües au sol carrelé) et les locaux d’exploitation (écurie, bergerie, cave, remises et grenier) : les deux fonctions ne sont jamais séparées, et tout a sa juste place dans la vie de la maisonnée. Le mas est ainsi, avant tout et de manière exemplaire, une maison à la mesure de l’homme et à sa suffisance, une maison qui reflète le caractère individualiste du paysan provençal qui y a laissé son empreinte. C’est ce qui fait son âme, et le rend particulièrement attachant.
Une architecture fonctionnelle et évolutive
L’architecture du mas doit répondre de manière pragmatique et ingénieuse, sans artifices, aux besoins de la vie paysanne et aux contraintes climatiques. Il s’agissait avant tout de se protéger des grandes chaleurs et du mistral, le maître-vent de la Provence qui s’engouffre du nord au sud dans la vallée du Rhône. Ainsi, les façades nord et ouest recevant de plein fouet les rafales sont seulement percées de quelques toutes petites ouvertures pour assurer la ventilation. À l’est, le pignon, face aux pluies, est également pratiquement aveugle. Seule la façade principale au sud, où s’ouvrent la porte d’entrée et celles des remises et de l’écurie, est éclairée de fenêtres disposées sans grand souci de symétrie.
Le mas de Brau, à Mouriès, remonte au XVIe siècle. Il est remarquable par sa façade scandée de colonnes cannelées supportant une frise sculptée. © Collection-jfm.fr Le mas du Juge, à Maillane, a vu naître le célèbre poète Frédéric Mistral, en 1830. La demeure du XVIIIe siècle est entrée dans sa famille en 1803. © Mas du Juge
La sobriété géométrique des volumes, très ramassés, témoignant d’une nécessaire économie de moyens, s’impose au premier regard : le mas se présente comme un simple parallélépipède à étage, couvert d’un toit à deux pentes. Mais cette unité de base assez modeste était susceptible de nombreux agrandissements successifs au fil de l’arrivée de nouvelles générations. Les volumes s’ajoutaient d’un côté ou de l’autre, prolongeant le bâti initial par des toitures de longueurs inégales, soit en alignement, soit en retour d’équerre pour former une cour fermée. L’architecture de chaque mas, ainsi doté de sa personnalité propre, raconte l’histoire de la famille qu’il a abritée, comme l’écrit Giono : « Quand la ferme solitaire s’augmente comme une petite Chine, c’est le fils, puis l’aîné, les cadets, les filles ; de fil en aiguille les brus, les gendres, et de nouveau, des petits-fils et des petites-filles etc. Les bâtiments s’augmentent, les ailes se rajoutent et ainsi de suite… » (Provence perdue)
Couleurs et matériaux
Terre de Sienne, ocre jaune et ocre rouge, jaune de Naples, carmin : ce sont ces couleurs proprement telluriques, comme empruntées à la palette de Cézanne, qui dominent la polychromie des façades, des toitures et des menuiseries, et intègrent admirablement le bâti dans le paysage. C’est que le paysan, en bâtisseur respectueux de la nature environnante, s’est contenté de tirer parti de ce qu’elle lui offrait, en utilisant les matériaux bruts trouvés sur place. D’où l’impression de profonde harmonie entre le mas, la terre et le soleil.
Les murs et les refends sont construits avec les pierres calcaires prises dans les champs voisins, tandis que la pierre de taille est réservée aux encadrements des portes et fenêtres. C’est l’enduit extérieur, à base de sables extraits sur le lieu même, qui donne au mas sa couleur de base, en une palette très large déclinant toutes les nuances d’ocre et de rose. Aucune nuance d’enduit n’est identique d’un mas à l’autre. Les tuiles romaines, fabriquées artisanalement avec de l’argile locale, admirablement patinées par le soleil, offrent aussi une riche trame de tonalités et s’harmonisent aux colorations des enduits. Typique du mas, le débord de toit est toujours constitué par la génoise, apportée par les maçons italiens à partir du début du XVIIIe siècle, qui protège le mur de l’eau de pluie et éloigne les eaux de ruissellement de la façade en faisant office de gouttière.
La treille et la citerne
« Ah ces jardins de mas, avec les belles grosses roses rouges, les vignes, les figuiers ! C’est bien poétique, et l’éternel soleil fort, malgré lequel la verdure reste très verte. La citerne d’où sort l’eau claire qui arrose le jardin par des rigoles, formant un petit système de canalisation. Un cheval, un vieux camarguais tout blanc, met la mécanique en marche. » Vincent Van Gogh, dans l’une de ses Lettres à son frère Théo, nous a laissé cette description sensible d’un jardin de mas, où la présence de l’eau et des ombrages est essentielle.
La citerne ou le puits pour l’arrosage et le fil d’eau qui chuchote. Le bassin servant d’abreuvoir pour les animaux. Un grand pin, un micocoulier ou quelques platanes pour donner de l’ombre en été, tout en laissant passer le soleil en hiver. Des roseaux, parfois une haie de cyprès pour briser la course du mistral. Un enclos pour les poules et un carré potager. Sans oublier la treille, vigne ou glycine, ombrageant la terrasse en calade et la porte d’entrée, avec ses arceaux métalliques appuyés sur la façade, et son banc de pierre où prendre le frais dans le parfum des belles-de-nuit et des giroflées… C’est tout cela le jardin du mas. Aucune recherche décorative, mais tout y concourt à la douceur de vivre.
Le mas camarguais
Il faut réserver une place à part aux mas de Camargue et de Crau, qui se situent au sein de plus vastes espaces agricoles, dans des paysages exceptionnels balayés par le mistral. Remontant pour certains au Moyen Age et riches d’une très longue histoire, ils forment un groupe très caractéristique, nettement influencé par des conditions climatiques et des structures agraires spécifiques, où les vastes pâtures permettaient l’élevage d’immenses troupeaux par les manadiers et les gardians.
Au centre du domaine, l’habitation, plus importante, juxtaposant le logement du maître et celui du fermier ou « bayle », est traitée avec soin et souci de la symétrie. Autour se déploient (soit de manière linéaire, soit sous forme de « U » ouvert ou fermé) les dépendances : écuries, bergeries, hangars, installations viticoles, pigeonniers (parmi les plus beaux de Provence). En l’absence de tout matériau de construction local, il fallait faire venir de la pierre de taille des carrières d’Arles et de Fontvieille, par le Rhône : d’où une architecture de qualité, enjolivant la façade de moulures, corniches et encadrements.
Implanté sur la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer, en bordure du petit Rhône, le mas de La Cure a été racheté par le Conservatoire du littoral en 1985. Au second plan, le long bâtiment de la cave viticole (2 000 mètres carrés). © Conservatoire du littoral Le domaine du mas de La Cure est aujourd’hui géré par la Maison du cheval de Camargue et par la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer. © Conservatoire du littoral Dans l’enceinte du mas de La Cure dans les années 1970. © Conservatoire du littoral
En Crau, l’habitation, tout en présentant les mêmes dispositions qu’en Camargue, est moins riche, et les murs extérieurs étaient souvent montés en galets ramassés sur place, disposés en opus spicatum – ce qui leur confère une grande originalité. Il était d’usage que la façade du mas de Camargue s’agrémente d’un « souleiro » ou cadran solaire surmonté d’une devise. Ainsi celle du Mas du Simbeù, où habitait le célèbre marquis Folco de Baroncelli Javon, à la fois manadier et poète, proclamait : « Entre la mer, le Rhône et les Saintes, il fait bon vivre, Dieu le sait. » Fidèle à cette belle devise, le mas provençal des Bouches-du Rhône offre plus que jamais l’image d’un certain bonheur de vivre…
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