Philippe Levantal, défenseur du patrimoine

Par Vincent Laloy

Date de publication : 10/06/2021

Temps de lecture : 5 minute(s)

Né le 15 juillet 1934 à Boulogne-Billancourt, issu d’une famille de juristes, Philippe Levantal est décédé, à Paris 1er, le 5 mai 2021, à l’âge de 86 ans. Il fut un précurseur en matière de défense du patrimoine, doublé d’un peintre reconnu par ses pairs.

Titulaire d’une licence d’art et d’archéologie, chargé de mission au Commissariat général au tourisme, André Malraux lui confie un rapport sur l’état des musées de province, laissés parfois à l’abandon. En 1969, il s’impose par son étude, publiée par la Documentation française, intitulée L’intégration économique et sociale des édifices anciens qui, fondée sur de nombreux exemples, préconise des solutions pour leur mise en valeur, en particulier ceux de villages méconnus situés à l’écart des circuits touristiques. Publié en 1971, son monumental Adieu aux Halles, préfacé par Jean Cassou, fait encore autorité, à tel point qu’en 2012, au musée d’Orsay, trois de ses dessins originaux clôturent l’exposition « Victor Baltard, le fer et le pinceau ». Dans les années 1973-1978, il organise les années des châteaux et hauts lieux de Bourgogne, d’Auvergne et de Franche-Comté, puis rédige, en 1983, un rapport approfondi sur le patrimoine culturel de la Seine-et-Marne.

De la Côte-d’Or, il est l’inlassable protecteur, en particulier du site médiéval de Flavigny-sur-Ozerain, où il possède une demeure du XVIIe siècle. Face à un maire indifférent voire hostile, à une administration pusillanime, l’homme, parfois tranchant, peu porté au compromis, encore moins à la compromission, se heurte à moult difficultés dont sa persévérance parviendra souvent à triompher. À l’automne 1970, la 2e sous-section du Conseil d’État se transporte sur place après que le ministère des Affaires culturelles eut fait appel d’une décision du tribunal administratif de Dijon, défavorable au site (Le Monde, 28 octobre 1970).

De 1965 à 1981, Philippe Levantal collabore à la rubrique patrimoine du Monde. Si le vieux Metz n’est pas complètement détruit par son maire, c’est sûrement à ses articles, aussi incisifs que précis, voire retentissants, qu’on le doit. À Sucy-en-Brie, dont le château est mis à mal par la Caisse des dépôts, même à Versailles, comme à Troyes ou à Dole, les édiles s’emploient à vider leur centre-ville au profit d’inutiles places ou de ZUP sans âme qui, plus tard, seront elles aussi vouées à la démolition. « Suffit-il d’être élu pour être compétent ? », interroge-til dans Le Monde du 26 mars 1977. Dans l’édition du 21 novembre 1981, il déplore que « dans les champs, aux portes des villes, on gare des maisons hideuses, toutes semblables, comme des voitures dans un parking, si bien que la sensibilité de générations entières va être conditionnée par la banalisation même de leur cadre de vie, simplement parce que les urgences “quantitatives“ du logement sont traitées indépendamment des exigences “qualitatives“ de l’architecture et de la qualité de la vie ».

Il poursuit son action à Connaissance des arts, au sein de la Ligue urbaine et rurale (LUR), de la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF), de la Demeure historique, des VMF, où il produit nombre de papiers, dont le fond est aussi soigné que la forme. Dans sa livraison de février 1997, le magazine VMF publie son article « Châteaux à l’encan », toujours d’actualité, près de 25 ans plus tard !

Le peintre
La critique n’hésite pas à en faire le légitime héritier de Cézanne, Vuillard ou André Dunoyer de Segonzac. Jean-Marie Dunoyer, qui suit les expositions pour Le Monde, célèbre « des toiles profondément élaborées, radieuses, on n’ose pas dire éclatantes tant le souci d’harmonie qui l’habite en tempère la rutilance et restitue à des objets aisément identifiables leur sereine polychromie » (23 avril 1979).
De fait, ces paysages vallonnés à souhait de l’Auxois, préservés, eux, il les immortalise par des aquarelles à l’impalpable lumière, imprégnées d’une sorte d’absolue harmonie qui conduit à la contemplation. L’intensité des couleurs de ses toiles paraît s’imposer pour l’éternité. Presque chaque année, à partir de 1966, il expose surtout à Paris, mais aussi à Chicago comme à l’abbaye cistercienne de Fontenay (Côte-d’Or) ou dans le Finistère.
En 2015, tout son œuvre peint fait l’objet d’un ouvrage de 240 clichés, publié aux éditions Lelivredart.

D’une intégrité sans appel, n’appartenant à aucun clan ou coterie, imperméable à la flagornerie, indifférent aux mondanités, fuyant les honneurs, Philippe Levantal possédait un réel sens de l’honneur, que rien ne pouvait atteindre. Outre la constance de son talent, il laissera, par-delà les années qui s’écoulent sans retour, avec cet humour sans cesse renouvelé et ses dispositions humaines, un durable souvenir, dont son lumineux atelier, reflet de sa belle âme, conservera la marque.

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