Les écuries du maréchal-duc de Richelieu ont été sélectionnées par la Mission Patrimoine 2021. Une chance pour ce patrimoine datant du XVIIIe siècle, un des plus vieux bâtiments de la ville de Gennevilliers, témoin d’un temps où l’art équestre français était à son firmament.
Situées à l’angle de la rue Carnot et de la rue Jean-Jaurès, ces écuries font partie d’un domaine acheté en 1746 par Armand de Vignerot du Plessis (1696-1788), officier de la capitainerie royale des chasses, dans lequel s’intègre ce territoire de Gennevilliers. Il y fait construire une grande demeure, transformée en château par l’architecte florentin Jean-Nicolas Servandoni (1695-1766) – fils d’un père cocher de diligence entre Florence et Lyon. L’ensemble se compose alors d’un grand parc rectangulaire à l’anglaise, « une orangerie, un kiosque, une grotte artificielle abritant une glacière et une grande pièce d’eau agrémentent la propriété du maréchal-duc de Richelieu. En 1752, un temple circulaire, détruit au début du XXe siècle, est édifié au-dessus de la glacière. Le peintre Boucher a décoré les panneaux du belvédère, et sur le dôme de ce pavillon, dédié à la déesse Aurore, se dresse un Mercure doré ».
Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (à partir de 1715), prince de Mortagne, marquis du Pont-Courlay, comte de Cosnac, baron de Barbezieux, baron de Cozes et baron de Saujon, maréchal et pair de France, arrière-petit-neveu du cardinal de Richelieu, filleul de Louis XIV et de la duchesse de Bourgogne Marie-Adélaïde de Savoie, est un homme important (et pas seulement parce qu’il est un des plus grands séducteurs de son siècle). Il accueille régulièrement le roi Louis XV pour des parties de chasse dans sa propriété, ainsi que la reine Marie Lézinska, Etienne François de Choiseul, ministre des affaires étrangères (qui achètera la Corse aux Génois en 1768) ou Louis Philippe d’Orléans, futur Philippe Égalité. Le château est devenu un des lieux des rendez-vous galants de la Cour. Le 26 septembre 1783, s’y déroule la première représentation publique de la pièce de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, en présence notamment du comte d’Artois, frère de Louis XVI et futur Charles X.
On sait peu de choses sur les écuries en elles-mêmes. Un plan de 1760 montre « une écurie de 42 chevaux ». Bien qu’il nous renseigne sur la surface nécessaire pour accueillir ce nombre d’équidés, il est difficile de certifier si cette installation représente les bâtiments à l’époque du maréchal de Richelieu, ou avant. En tous cas, cette écurie n’existe plus ; l’actuelle aile Carnot correspond à un bâtiment créé à la place de l’ensemble sellerie/cuisine/garde-manger, et l’aile Jaurès a été élevée dans la basse-cour, le long du mur d’entrée.
Valeureux homme de guerre, combattant dans de nombreuses campagnes entre 1733 et 1758, le maréchal de Richelieu est notamment l’artisan de la victoire de Fontenoy (qui opposa les troupes de Louis XV à une armée coalisée formée des Provinces-Unies, de la Grande-Bretagne, du Hanovre et de l’Autriche, le 11 mai 1745). C’est lui qui a l’idée géniale de la manœuvre qui anéantira la colonne de Cumberland, alors que tous, y compris le Maréchal de Saxe, n’envisageaient plus que la retraite.
Puisque nous parlons de chevaux, faisons un petit aparté sur l’équitation du maréchal-duc de Richelieu. Le tableau de La bataille de Fontenoy (1747), signé Pierre Lenfant (1704-1787), le montre à cheval (à gauche, au premier plan, en arrière du Roi), décoiffé ; devant lui, Louis XV, sur son cheval blanc, lui ordonne de charger ; en face d’eux, le maréchal de Saxe (en bleu, décoiffé).
Son équitation est celle de la noblesse de l’époque – cavalier chaussé long, jambes légères, buste redressé et rênes détendues, montant un cheval en main, parfaitement équilibré, sur une encolure bien formée –, une équitation essentiellement centrée sur la haute école, l’équitation du paraître. Son cheval est à la pesade, un des airs les plus difficiles de l’art équestre car il réclame au cheval de se tenir en équilibre sur ses postérieurs. Enseignée à Versailles et dans les académies, cette équitation « reflète les valeurs et les représentations attachées au cheval en tant qu’élément symbolique et presque consubstantiel de l’aristocratie1 ».
« Tout semble viser à la grâce, y être sacrifié, et avoir en vue une équitation de représentation, une équitation de cour2 » écrit le général L’Hotte (1825-1904), ancien écuyer en chef du Manège de Saumur… et très loin de la réalité des arts de la guerre. Si La Guérinière (1688-1751), un de plus grands écuyers de l’histoire de l’équitation, écrit lui-même que « l’Art de la guerre et l’art de la cavalerie, se doivent réciproquement de grands avantages3 », l’enseignement équestre renvoie plutôt au combat singulier, nullement aux charges de cavaleries.
« On ne peut se dissimuler que, jusqu’en 1762, le roi avait bien des hommes et des chevaux, mais n’avait point de cavalerie », écrit le marquis de Castries, résumant parfaitement la situation4.
Cette équitation montrera d’ailleurs toute son inefficacité une dizaine d’années plus tard, le 5 novembre 1757 précisément, lors de la bataille de Rossbach, opposant l’armée prussienne du roi Frédéric II aux troupes franco-impériales du roi de France Louis XV et de la reine de Bohême et de Hongrie Marie-Thérèse d’Autriche. Malgré un avantage numérique considérable (54 000 hommes contre 22 000), les Français et leurs alliés essuient une défaite mémorable. En effet, ce jour-là, Frédéric II de Prusse révolutionne l’emploi des chevaux et envoie 38 escadrons, soit 2 000 soldats, sabre au clair, sur les lignes françaises. Il « invente » la charge de cavalerie, et sa victoire est écrasante.
Un choc pour les Français. Les finesses de l’équitation classique se révèleront soudain inefficaces dans un combat où « celui qui ne peut galoper longtemps est inutile dans la cavalerie (Fréderic II) ». Les académies royales créées à la fin du XVIe siècle seront désertées au profit des écoles régimentaires (École des chevau-légers, École militaire de Paris, celle de La Flèche, ainsi que dix autres écoles militaires secondaires), dont l’enseignement militaire prendra progressivement le pas sur l’équitation savante.
Le grand artisan de cette nouvelle équitation militaire sera le colonel d’Auvergne. Écuyer en chef de l’École militaire de Paris à partir de 1756, il réformera l’instruction du cavalier, comme le dressage du cheval, vers une simplification maximale ne dépassant pas six mois (contre plusieurs années auparavant). Parmi ses élèves, un jeune homme, entré à l’École le 22 octobre 1784, sorti sous-lieutenant d’artillerie le 28 octobre 1785, qui saura magnifiquement tirer parti de ce qu’il y apprendra : Napoleone Buonaparte.
Revenons aux bâtiments. En 1787, le château est vendu au duc d’Orléans. Le plan de 1787-1789 des archives municipales montre bien l’entièreté du parc, du château et des écuries. Il atteste de l’existence, au XVIIIe siècle, des écuries actuelles, et d’une silhouette de toiture telle qu’elle existe aujourd’hui. On y distingue clairement l’aile Jaurès (le long de la voie, actuel boulevard Jean-Jaurès) et l’aile Carnot. Cette dernière aurait d’abord servi de commun, avant d’être aménagée en écurie. Un détail confirmé par Jean-Marc Aliotti, l’un des deux architectes du patrimoine en charge de l’actuel projet de restauration et de réhabilitation en pôle de métiers d’art : « On peut voir, sur le bâtiment du boulevard Jean-Jaurès, qu’il existe une trame structurelle composée de poteaux à section circulaire (pour ne pas blesser l’animal) en bois de chêne, élevé du sol à la charpente, espacé d’environ quatre mètres, qui devaient marquer le rythme des stalles. Une conception qui ne se retrouve pas dans le deuxième bâtiment qui a dû être aménagé en écurie plus tard, sans doute à la fin du XVIIIe siècle. »
À partir de la Révolution, l’ensemble passe de mains en mains avant d’être abandonné.
Tout au long du XIXe siècle, le parc à l’anglaise est transformé en carrière de sable. La forêt recule devant l’avancée foncière. « L’ensemble est peu à peu démembré lors de la vague d’urbanisation et de densification de la révolution industrielle, précise Frédéric Martorello, architecte du patrimoine. La ville achète le château en 1902. Au fil des années il est démoli. Une usine de carbone et la cité-jardin seront aménagées dans le parc. On trouve peut-être dans le village des fermes plus anciennes mais ce site est la dernière trace, la dernière emprise de ce qu’était cette parcelle au XVIIIe siècle. » Les restes du château sont rachetés en 1902 par la ville qui le transforme en école avant d’être réquisitionné pendant la Première Guerre mondiale pour devenir une infirmerie.
L’ensemble – hormis les écuries – est détruit en 1998 pour laisser place à la construction du nouveau collège Pasteur.
Aujourd’hui, seules les écuries, ou plutôt ce qu’il en reste, subsistent. Elles ont été murées et interdites au public en 2004, cette parcelle ayant longtemps été occupée par un « café-restaurant, des préfabriqués et de petits logements de cours », longtemps utilisés par des marchands de sommeil.
Le projet de réaménagement a débuté en 2013, avec une étude historique menée par deux architectes du patrimoine, Frédéric Martorello et Jean-Marc Aliotti, puis le curage et la confortation du site, en très mauvais état. Dans un projet de restauration, l’important étant la conservation de la matière ancienne, tous les éléments d’époque susceptibles d’être sauvés ont été gardés ou entreposés : une couverture en tuiles du Marais du XVIIIe siècle (une des rares couvertures existante), un escalier en bois de chêne massif, les planchers, la charpente en chêne du XVIIIe siècle, une rambarde de fer « emboitée et non soudée » de plus de deux siècles.
Le plus difficile reste à faire. Une étude diagnostique a été rendue l’année dernière, restent à mener les études de conception préalables à la phase chantier, puis à entamer les travaux.
La municipalité souhaite transformer le site en maison d’art tout « en assurant le principe d’une conservation maximale des ouvrages existants, en essayant de garder au maximum l’esprit et l’identité des lieux, tout en prenant compte des contraintes de mise en œuvre ».
Évidemment, pas de chevaux. Y aura-t-il un rappel sur le fait qu’il s’agit d’écuries ? Rien n’est encore défini.
En attendant, restons joueurs, et participons au loto ! Un bon moyen de contribuer à leur sauvegarde.
Un grand merci à Mme Bernadette Wolf (archives municipales), M. Jean-Marc Aliotti (architecte du patrimoine) et M. Henri-Claude Bonnet président de la Société d’histoire de Gennevilliers) pour leur aide et leur gentillesse.
1 Frédéric Chauviré, « La culture équestre militaire, entre imaginaire aristocratique et science du combat », conférence donnée en 2013 dans le cadre du séminaire de l’université de Caen, Laboratoire Erlis : « L’imaginaire du cheval ».
2 Alexis L’Hotte, Un Officier de cavalerie, Paris, 1905.
3 François Robichon de La Guérinière, École de cavalerie, Imprimerie Jacques Collombat, 1733.
4 Guillaume Henry, Équitation française, une histoire qui perdure, Belin, 2017.
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