En 1927, le quotidien britannique The Daily mail consacre quelques unes de ses pages au portrait d’Émile Guillaume (1867-1954), sculpteur français. « Ce petit homme avec sa barbe grise coupée court, son regard clair et perçant est connu dans toute l’Europe comme le plus puissant et le plus imaginatif artiste de l’école moderne de la sculpture française. » Aujourd’hui, qui se souvient de l’auteur de la Délivrance ?
Théâtres et Versailles brésilien : la sculpture décorative d’Émile Guillaume
Né le 26 avril 1867 à Paris, Émile Guillaume réalise de brillantes études à l’École supérieure des arts décoratifs puis à l’École des Beaux-Arts. Ses études terminées, il participe avec enthousiasme au mouvement de l’Art nouveau. Ses premières expositions au Salon des artistes français reçoivent les commentaires élogieux de la critique.
Son travail est marqué par une certaine douceur de vivre, en témoignent les titres des œuvres exposées : La Foule s’en amuse, Les Quatre saisons, L’Enfant au masque, Naissance de Vénus, Harmonie, Le Baiser, Les Faunes, ou L’Amour endormi.
Les premières années de sa carrière sont marquées par la sculpture décorative. Le sculpteur prend part à la décoration de plusieurs théâtres : celui de Vichy, de Tunis et le théâtre de la Cigale à Paris. Au début du XXe siècle, il participe à l’embellissement de la ville d’Auxerre. Guillaume y réalise les frontons de la Caisse d’épargne et de l’hôtel des Postes ainsi que la décoration de la Société générale et du grand hôtel de l’Épée.
En 1904, à la demande du marquis du Bourg de Bozas, il façonne quatre sculptures monumentales en pierre symbolisant les divinités des fleuves et des rivières pour la décoration du « miroir » d’eau du château de Saint-Hubert, dans le Cher. En 1910, le richissime citoyen brésilien Eduardo Guinle le choisit pour la décoration de sa somptueuse demeure de Rio-de-Janeiro, le palacio das Laranjeiras. En compagnie d’autres artistes français, Émile Guillaume donne toute la mesure de son talent et réalise quelques-unes de ses plus belles œuvres. Ce palais, considéré comme le « Versailles brésilien », deviendra la résidence des présidents de la République du Brésil, aujourd’hui occupée par le gouverneur de l’État de Rio-de-Janeiro.
L’auteur de la Délivrance
Il convient néanmoins de souligner la diversité de l’œuvre du sculpteur. Émile Guillaume se plait à mettre à l’honneur les artistes en signant les bustes de Marguerite Meunier, jeune comédienne au talent prometteur, Jane Catulle-Mendes, poétesse, ou encore Marie-Paule Carpentier, artiste peintre prématurément disparue. Ces jeunes femmes sont, sans doute, pour l’artiste, les figues symboliques de l’émancipation féminine.
Émile Guillaume partage également l’engouement nouveau des Français pour le sport en signant Le Cycliste, pour le Salon du cycle de 1894, et L’Effort, en 1907, représentant un haltérophile. Il convient de ne pas oublier le groupe Aux Champs, véritable hymne à la vie campagnarde, unanimement salué par la presse.
Bouleversé par la guerre de 1914-1918, son œuvre se fait plus sombre. Dans les années qui suivent l’Armistice, il exécute une vingtaine d’œuvres destinées à rendre hommage aux combattants et à celles et ceux qui ont souffert. Deux de ces monuments se trouvent dans l’Yonne, à Cheroy et Toucy. Celui de Toucy reprend l’une de ses œuvres, Le Soldat mourant victorieux. Il s’agit d’une figure allégorique d’inspiration pacifiste. Le soldat git à terre. Il sait qu’il va mourir. Dans un dernier effort, il parvient à se redresser et à nous montrer un soleil levant, symbole d’une ère nouvelle qui ne sera possible que si les peuples européens s’orientent vers la réconciliation et la paix.
Pour le monument aux morts de Chéroy, inauguré en 1922, Émile Guillaume utilise son œuvre la plus célèbre, La Délivrance, qui lui valut une renommée mondiale. Elle représente une jeune femme nue, dressée sur la pointe des pieds, jambe droite en avant, les bras et le visage accompagnant le mouvement d’un glaive, pointé vers le ciel. Onze sculptures du même modèle, de tailles différentes, furent offertes par le journal Le Matin à onze villes martyres (Lille, Metz, Strasbourg, Colmar, Arras, Charleville-Mézières, Saint-Quentin, Metz, Verdun, Bruxelles et Liège). En 1924, l’artiste est alors au sommet de sa notoriété. Il reçoit la médaille d’or du Salon des artistes français pour La Délivrance. L’année suivante, il remporte le Grand prix de l’Exposition internationale des arts décoratifs qui se déroule à Paris. Le 26 octobre 1927, l’inauguration de La Délivrance de Londres fait l’objet de plus de 200 articles dans la presse internationale.
Cette statue, à l’érotisme certain, sera d’ailleurs l’objet d’une violente polémique à Nantes où elle dévoila ses charmes devant le monument aux morts. Renversée et mutilée, elle ne retrouvera sa place devant les Tables mémoriales du square du maquis de Saffré qu’en novembre 2018.
Aristide Briand : ami et modèle
La dernière partie de la carrière d’Émile Guillaume, de 1926 à 1939, est celle de l’hommage à son ami Aristide Briand. Les deux hommes se connaissent depuis de nombreuses années et se vouent une admiration réciproque. En 1926, Aristide Briand obtient le prix Nobel de la Paix et va alors poser dans l’atelier de son ami pour un buste, connu sous le nom d’Aristide Briand prononçant un discours. Un premier buste en plâtre est exposé au Salon des artistes français en 1926, un second, un bronze, en 1927. La sculpture est offerte par la suite au collège de garçons de Saint-Nazaire, établissement qu’avait fréquenté l’homme d’État dans sa jeunesse. Un autre exemplaire se trouve actuellement au Musée de la société des nations à Genève.
En 1932, à la mort de Briand, Émile Guillaume réalise le moulage du visage et des mains de l’ancien président du Conseil sur son lit de mort. Il se voit ensuite confier par la famille et les amis de l’homme politique, la réalisation du monument d’hommage de Pacy-sur-Eure intitulé Jusqu’à mon dernier souffle (1933). Le sculpteur réalise ensuite Les Méditations de Cocherel (1934) et de Ouistreham (1937) ainsi que le médaillon du cimetière d’Houlbec-Cocherel.
Après le terrible choc de 1940, Émile Guillaume, devenu aveugle, est contraint d’arrêter toute activité publique. Il a 74 ans.