Les hauts lieux du patrimoine furent, pour beaucoup, de hauts lieux de la pratique équestre. Parmi les plus connus de la place parisienne, le musée du Louvre compte parmi ses bâtiments du XIXe siècle, d’anciennes écuries et un manège très particulier, puisque les chevaux devaient évoluer entre de majestueuses colonnes.
Napoléon III avait belle allure à cheval. Il aimait l’équitation tout autant que de parader en selle ou dans une élégante voiture – en particulier les voitures « à la d’Aumont », tirées par quatre chevaux anglais. Cela participait autant de son plaisir que de la propagande nécessaire pour montrer sa puissance au peuple et accroître la popularité du souverain « qui avait pour devoir de se montrer souvent à ses sujets et, autant que possible, en brillant cortège1 ». La foule, en retour, aimait admirer le défilé de majestueux attelages et trouvait fierté à voir caracoler l’Empereur et son escorte.
Les chevaux de selle pour la cour, de guerre pour la garde, de trait pour les carrosses et le ravitaillement, les nombreux harnachements, voitures et le personnel qui en était le corollaire devaient évidemment trouver place quelque part. Catherine de Médicis avait édifié les écuries de la Reine au nord de son palais des Tuileries (aujourd’hui la place des Pyramides), aux côtés du célèbre manège du Louvre (aujourd’hui, l’hôtel Régina). C’est dans ce manège que l’illustre Antoine de Pluvinel enseigna l’art équestre – et donc l’art du commandement – au roi Louis XIII ; et c’est aussi là que le prince impérial fut initié à la pratique de l’équitation. Christiane Aulanier2, dont le travail admirable a servi de base à cet article, nous apprend que le prince, alors enfant, s’y rendait plusieurs fois par semaine et y travaillait – sans jamais se lasser – sous le regard de Bachon, son précepteur, « un gascon d’humeur joviale3 ».
D’autres écuries occupèrent les abords du palais, et même le rez-de-chaussée de la Grande Galerie sous l’Ancien Régime, ou l’aile de Rohan au temps de la garde nationale.
Soucieux de perpétuer les coutumes princières (qui avaient notamment donné Versailles ou Chantilly), et de créer un cadre équestre majestueux, Napoléon III fit étendre les écuries dans les nouveaux bâtiments.
La première pierre du nouveau Louvre fut posée en 1852 et devait voir, entre autres, un manège, des écuries, l’hôtel du premier écuyer, et toutes les selleries, remises et logements nécessaires. C’est l’architecte Lefuel, succédant à Visconti, qui en sera l’artisan.
L’ancien manège est aisément identifiable puisqu’il est aujourd’hui l’une des salles du musée du Louvre, au nom évocateur : « la salle du Manège ». Il occupe l’aile transversale des nouveaux bâtiments, entre le pavillon Denon et la Grande Galerie, entre la cour Visconti et l’actuelle cour Lefuel – jadis cour Caulaincourt, du nom du premier grand écuyer de Napoléon, lors de son avènement, en 1804.
Parce qu’il se situait sous la salle des États, destinée à accueillir les souverains et les corps constitués, le manège devait être solide, tout en permettant l’évolution des chevaux. C’est ainsi qu’entre plusieurs projets fut retenu celui de l’architecte Visconti, d’un manège à trois nefs marquées par deux rangées de six colonnes et des voûtes en appareil de pierre et de brique rose. Peu pratiques pour l’équitation, ces colonnes – surprenantes pour un manège – étaient donc indispensables pour la solidité de l’ensemble. L’architecte Lefuel en tirera d’ailleurs un magnifique parti en les ornant de manière majestueuse.
Deux entrées permettaient d’y accéder. L’entrée cavalière, d’une part, s’effectuait dans la cour Lefuel, par une double rampe en fer à cheval – inspirée de celle du château de Fontainebleau –, réalisée en « pas d’âne », c’est-à-dire en pente douce, avec des marches de faible hauteur. Quatre groupes d’animaux (un chien, un sanglier et deux loups), conçus en bronze par Rouilard, décorent les rampes.
Les visiteurs, quant à eux, « pénétraient par le quai, en empruntant l’ancienne porte de la bibliothèque, dont l’entrée transformée allait devenir le vestibule de l’administration des écuries et du manège. Il allait être richement orné de piliers carrés très ouvragés. Un nouvel escalier conduirait à l’entresol, sous la Grande Galerie, à la tribune du manège. Les souverains pourraient y venir directement des Tuileries par la Galerie du musée, d’où un escalier dérobé, pris dans l’épaisseur du vieux mur ménagerait la descente à l’entresol4. »
La sculpture des douze chapiteaux – et leurs scènes d’équitation et de chasse – fait l’originalité du lieu. Depuis 1855, Lefuel avait choisi les équipes de sculpteurs et d’ornemanistes devant décorer les clefs de voûte, les motifs des arcs-doubleaux, les consoles et les chapiteaux des colonnes. Sur chacun des chapiteaux du manège, une tête d’animal, gibier ou cheval, répétée aux quatre angles, est traitée avec réalisme.
« La fantaisie reposait dans le choix et la disposition des attributs symbolisant la vènerie ou l’hippisme complétant le décor des chapiteaux. Rouillard s’était réservé : le Loup, ayant pour emblème une trompe de chasse, un faisceau d’armes et une gourde ornée d’un saint Hubert, patron des chasseurs ; le Sanglier, avec un faucon encapuchonné sur un arbre figurant la forêt ; le Mouflon de Corse, dont les cornes décoratives s’inscrivent admirablement dans les angles entre des cactées et une cartouchière, enfin le Cheval de course orné de lauriers. Frémiet avait sculpté son pendant : le Cheval de tournoi, aux œillères empanachées encadrant l’armure du chevalier ; le Renard dévorant une poule, auprès d’un lapin et d’un piège et le Cerf dix-cors dont l’énorme ramure couronne un cor de chasse encerclant deux « pieds nattés ». Demay avait été chargé du Lièvre avec les chiens, auprès desquels un héron, au long bec emmanché d’un long cou, se détache sur une carnassière, et du Mulet ; coiffure de picador, guitare, grelots et étriers évoquent la part équestre de la tauromachie. Jacquemart avait à traiter le Héron attaqué par un faucon, l’Ours avec un hibou dans un sapin, enfin le Grand-duc étranglant un lapin ; une chauve- souris et une ratière représentent les animaux noctambules5. »
Des modèles de pilastres reprenant, avec des variantes, les thèmes des chapiteaux des colonnes avaient été prévus et destinés aux trumeaux, entre les fenêtres. Malheureusement, ils restèrent à l’état de projet, faute de temps ou d’argent. On se contenta de consoles uniformes soutenant les arcs doubleaux ; aux quatre angles de la salle, l’Aigle impérial complétait la sculpture des retombées de la voûte.
Le second élément décoratif du manège était ses luxueuses boiseries et sa tribune.
Magnifiquement travaillée, « la menuiserie parait d’un lambris protecteur les soubassements des murailles et le pourtour des colonnes, elle agrémentait l’encadrement des croisées de moulures de chêne travaillées. (…) Les revêtements (étaient) garnis de bourrelets de moleskine verte. La tribune, en chêne de premier choix, poli et verni, (était) encore plus ouvragée ; le menuisier y cède le pas au sculpteur Houguenarde. » Cette tribune n’est plus en place aujourd’hui. Elle peut être admirée au Musée National de la voiture du château de Compiègne depuis 1928.
Au manège, s’associaient des écuries. Le comte d’Aure, ancien écuyer en chef du manège de Saumur (1847-1854), spécialisé dans le dressage des chevaux de pur-sang, en fut le directeur à partir de 1856, avant d’être nommé écuyer de l’empereur en 1861.
Les écuries, dont la construction fut achevée le 2 septembre 1858, étaient situées à proximité du manège. Elles s’étendaient au rez-de-chaussée, sur toute la partie de la construction s’accolant d’équerre avec la galerie du Bord-de-l’Eau jusqu’au pavillon Mollien, puis s’étendaient jusqu’au pavillon Daru, « en demi sous-sol du côté du square du Carrousel, de plain-pied avec les cours Visconti et Lefuel ; elles occupaient aussi le rez-de-chaussée de l’aile Mollien ». L’Ecuyer de l’Empereur en avait soumis le programme à l’architecte : « Il lui demandait de prévoir dans ses plans deux services bien distincts : celui de la Selle et celui de l’Attelage. Le service de la Selle devait comprendre : écurie et boxes pour 40 chevaux, une remise de quatre voitures, des selleries, une pièce de nettoyage avec chaudière, un magasin pour les couvertures, un salon d’attente pour les piqueurs, une fosse à fumier, des adductions d’eau. Le service de l’Attelage exigeait des locaux analogues mais plus vastes, les écuries devant contenir 100 chevaux et les remises 30 voitures. »
Sous l’aile Mollien, précise Christiane Aulanier, une première écurie de 14 stalles était destinée aux chevaux de selle des aides de camp ; une seconde écurie comprenait 14 boxes réservés aux chevaux personnels que l’empereur montait à tour de rôle (notamment Perceval, Milan, Tourmalet, Julien, Roncevaux, Orloff, Carlo, Marignan, Vladimir, enfin Héro, monture favorite pour les parades militaires). Sous la galerie Mollien, une longue travée formait une seule vaste écurie de 40 chevaux pour les attelages d’apparat « à la d’Aumont », ayant tous la robe baie ou brune, avec paturons, crinière et queue noirs.
Sous la galerie Daru, des cloisons formaient quatre écuries distinctes. La première pouvait contenir 24 chevaux de ville, la seconde huit petits chevaux de l’empereur, la troisième huit petits chevaux de l’Impératrice et la quatrième les poneys des Shetland du Prince impérial.
Le long couloir qui s’étend sur tout le développement du musée, en contrebas des portiques (square du Carrousel), était destiné à des dépôts de fourrage, des magasins et des débarras. La partie mal éclairée qui sépare les deux grands corps d’écurie, au-dessous du vestibule Denon, ne pouvait être qu’un passage. Lefuel y plaça des calorifères destinés à chauffer la salle des États et les nouvelles salles de peinture.
Le décor des écuries était extrêmement soigné : d’élégantes colonnes en soutenaient les voûtes dentelées de soffites et munies de « gazophères ».
« Les stalles étaient en bois de chêne, les auges en marbre des Alpes ; les boules surmontant les poteaux des stalles, les barreaux des consoles, les corbeilles et les râteliers en cuivre « passés au bronze ». Les parois verticales des murs, les colonnes, les arêtiers en pierre des voûtes étaient enduits d’une couche de stuc poli. Tout était simple, solide, de bon aloi, sans luxe excessif et d’un entretien facile6. »
Le décor de la grande remise était identique à̀ celui des écuries. Située sous la salle des Sept mètres, elle occupait sans aucune séparation toute l’étendue des six arcades de la façade sur la cour Visconti. Une autre remise occupait le dessous du manège.
« Parmi les véhicules, on remarquait particulièrement la voiture d’enfant, donnée au prince impérial par le marquis d’Hertford, qui pouvait être attelée de poneys ; la calèche présentée à l’Exposition de 1852, ayant servi à la reine Victoria d’Angleterre et au baptême du prince impérial, enfin le carrosse du mariage de Napoléon III, complètement doré, la caisse ornée de peintures d’Isabey et surmontée de la couronne impériale. En plus des voitures de grand gala, il y avait au Louvre deux traineaux, six voitures de demi-gala et six voitures de ville ordinaires7. »
Trois concierges logeaient au rez-de-chaussée de la Grande Galerie, et pour chacun des trois guichets, un corps de garde, un chauffoir du personnel, une salle des piqueurs, des forges et une maréchalerie étaient aménagés ; il y avait en outre des salles de nettoyage, une salle des grands harnais d’attelages de cérémonie et d’usage courant, enfin les diverses selleries.
Tous ces chevaux nécessitaient évidemment un personnel nombreux – piqueurs et sous-piqueurs, cochers, courriers, postillons, grooms, garçons d’attelage, palefreniers, soit environ trois cents hommes. Ils étaient logés au-dessus de la grande remise de la cour Visconti, ainsi que dans les deux étages d’entresols superposés de l’ancien bâtiment. Lefuel y avait installé de vastes chambrées et une quarantaine de petits logements entre le salon Carré et la porte du manège.
L’autre côté était réservé à l’administration des écuries, au bureau du contrôleur de l’habillement, aux vestiaires et à l’atelier du tailleur. « Il y avait encore trois petits appartements : le premier pour l’aide de camp secrétaire du premier écuyer, le second « laissé – écrit Lefuel – à la discrétion d’une personne qui fait de fréquents voyages d’Angleterre en France et que l’empereur a jusqu’à̀ présent logée (?) », enfin le troisième était destiné au maître d’hôtel du Premier Écuyer qui, lui-même, habitait deux étages de l’aile Mollien. »
Le Premier Ecuyer, le général Fleury, était logé dans l’aile Mollien, dans un hôtel particulier de deux étages situés entre les écuries occupant le rez-de-chaussée et les salles du musée au-dessus. L’entrée s’effectuait dans la cour Lefuel (ex Caulaincourt), en vis-à-vis de la rampe du manège, sous un porche supporté par deux colonnes formant une terrasse carrée.
La chute de l’Empire entraîna la disparition des chevaux. Les locaux qu’ils avaient occupés, ainsi que les logements dépendant du service des écuries, échurent peu à peu au musée.
1 Christiane Aulanier, Le Nouveau Louvre de Napoléon, Éditions des Musées nationaux, Paris, 1953.
2 Lire à ce sujet : Christiane Aulanier, Le Nouveau Louvre de Napoléon, Éditions des Musées nationaux, Paris, 1953.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Ibid.
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