À la Renaissance et au XVIIe siècle, les chapelles et pièces d’apparat de certains châteaux de Haute-Auvergne se parent de peintures murales. Une manière pour leurs aristocratiques commanditaires d’afficher leurs valeurs et leurs goûts. Découverte des vestiges colorés d’un art du décor puisant ses racines dans la tradition médiévale.
Comme ailleurs, les murs des églises et des demeures de Haute-Auvergne ont été peints avec un triple souci, ornemental, moral et didactique. Ainsi, dès l’époque romane, l’absidiole nord du transept de l’abbatiale de Saint-Géraud d’Aurillac a-t-elle abrité une étrange faune marine aux couleurs sombres, difficile à interpréter aujourd’hui.
À l’époque gothique, diverses familles de Saint-Flour ont commandé des décors pour l’église des Dominicains, un peu à l’image des églises italiennes d’ordres mendiants. Une Vierge à l’Enfant, accompagnée d’un donateur et d’un évêque a d’abord été peinte, vers 1430-1440, sur le premier pilier sud. Puis, à la fin du siècle, la chapelle dédiée à saint Thomas, sur le côté nord, accueille des scènes figurant l’apôtre Thomas mettant sa main dans la plaie du Christ, ainsi qu’un sujet beaucoup plus rare, l’assassinat de saint Thomas Becket. Une niche peinte devait abriter une statue de saint Thomas d’Aquin, aujourd’hui disparue.
À la même époque, un artiste plus habile coloriste que dessinateur dépeint dans l’église de Jaleyrac les histoires de saint Michel, saint Christophe, sainte Agathe, saint Georges et saint Martin, surmontées par un Christ en majesté. Réalisée vers 1466-1482, la scène de joute chevaleresque, qui habille la hotte d’une cheminée des appartements que les chanoines se sont fait aménager dans les tours de la cathédrale de Saint-Flour, annonce les décors peints à la Renaissance sur les murs des châteaux de la Haute-Auvergne. L’oratoire du château d’Auzers recèle un décor formé d’arcades en anses de panier abritant plusieurs saints honorés par la famille des propriétaires. Un tel décor doit dater des années 1510 au vu du costume de certains personnages et des rinceaux aux lignes souples qui accompagnent les motifs architecturaux.
Décors renaissance
Édifié en 1439, le très authentique château d’Anjony, à Tournemire, appartient toujours à la même famille. À l’intérieur du puissant donjon flanqué de quatre tours, la grande salle ouvre, comme il se doit, sur la chapelle privée située dans la tour adjacente. Couverte par une voûte de douze voûtains articulés par des arcs brisés finement moulurés, la petite pièce de plan hexagonal est entièrement peinte vers 1525, moulures comprises. Son décor évoque la Passion du Christ, depuis l’entrée à Jérusalem jusqu’à la Pentecôte, intégrant force détails tirés des Évangiles ou des textes apocryphes. La Cène compte parmi les scènes les plus pittoresques du cycle avec L’Arrestation de Jésus au mont des Oliviers. Cette dernière scène intègre l’épisode de L’Essorillage de Malchus, qui montre simultanément saint Pierre coupant l’oreille du serviteur du grand prêtre avec un couteau à la large lame brillante, et Jésus remettant miraculeusement en place l’organe amputé.
Dans la salle des Preux d’Anjony. De gauche à droite : Judas Macchabée, Hector de Troie et le roi David. Au-dessus de leurs têtes en alternance avec des motifs de rinceaux, des inscriptions nous content leurs exploits.
Outre ces décors dévotionnels, le château d’Anjony possède un double portrait de Louis III, seigneur d’Anjony à partir de 1526, et du roi Saint Louis, son saint patron. Dans le troisième quart du XVIe siècle, une autre équipe de peintres, anonyme elle aussi, figure, à la demande de Michel d’Anjony, Neuf Preux sur la totalité des murs de la grande salle du donjon. Il s’agit de trois personnages de l’Ancien Testament – le roi David, Josué, Judas Macchabée –, de trois héros de l’Antiquité – Hector, Alexandre le Grand, Jules César – et de trois personnages de l’époque médiévale – le roi Arthur, Charlemagne, et Godefroy de Bouillon. Les propriétaires de l’époque, Michel d’Anjony et Germaine de Foix, apparaissent de part et d’autre de la cheminée. Vêtus avec recherche à la mode de leur temps, ils voisinent avec Mars et Vénus, symboles respectifs de la guerre et de l’amour. Une Conversion de saint Hubert a également été peinte près de l’entrée de la chapelle.
Les portraits en pied de Michel d’Anjony et de Germaine de Foix (photo), son épouse, entourent la cheminée de la salle des Preux. Celle-ci arbore une tenue précieuse à la mode des années 1575. Elle est accompagnée de Vénus et de l’Amour, figurés sur le manteau de la cheminée adjacente. La voûte du studiolo de La Vigne s’orne de motifs de rinceaux et de portraits en médaillons typiquement Renaissance. Parmi ces derniers on a pu identifier les jeunes amants babyloniens Pyrame et Thisbé. Le visage de Pyrame pourrait être celui de François de Scorailles, maître des lieux.
Tous les costumes, accessoires, ornements sont représentés avec un grand souci du détail et quantité de formes et de couleurs. De style médiéval, le rendu sommaire de la perspective laisse imaginer que son auteur a eu en main les xylographies de l’Armorial de la noblesse française. Exécuté vers 1455 par Gilles Le Bouvier, dit « le héraut Berry », compagnon d’armes de Charles VII (1422-1461), ce recueil contient en effet trois planches à l’effigie des neuf héros, figurés à cheval, sous des arcades et sur des sols de carrelages à la perspective incertaine. Excepté le percement d’une fenêtre au XVIIIe siècle, qui prive de sa tête l’éléphant d’Alexandre le Grand, la disparition de Jules César et l’intervention un peu lourde d’un restaurateur au moment de la découverte du décor, cet ensemble est remarquablement bien conservé. Il atteste le succès prolongé des thèmes chevaleresques à l’aube des temps modernes.
Autrefois propriété de la famille de Scorailles, le château médiéval de La Vigne, à Ally, conserve lui aussi un bel ensemble de peintures murales. Une restauration récente, menée à partir de 2014 par Jean-Yves Bourgain, permet de reconsidérer ce décor. Autrefois appelée « salle de justice », la petite pièce entièrement peinte située au sommet de l’une de ses tours est désormais identifiée comme un studiolo, lieu clos destiné à la méditation, à la lecture ou à la conversation. Deux registres de décors y cohabitent, à des emplacements nettement délimités. Sur les murs se déploie un Miracle de la conversion de saint Hubert, encore plus développé qu’à Anjony. Le peintre y a représenté la chasse et la nature, par le biais d’animaux et de chasseurs aux mouvements dynamiques, sur un fond de verdure évoquant l’art de la tapisserie. Articulé grâce à des frises de rinceaux de plusieurs couleurs, le décor se poursuit sur la voûte sous forme de tondi, médaillons de forme circulaire rappelant les médailles. Les récentes restaurations ont permis de déchiffrer les inscriptions identifiant les figures de Pyrame et Thisbé, amants malheureux dont la légende, rapportée par Ovide dans les Métamorphoses, inspirera l’histoire de Roméo et Juliette. Hagiographie et mythologie se côtoient donc dans cet espace, intime et raffiné, voué à la littérature et la réflexion. Le style pictural et les costumes représentés plaident en faveur d’une datation aux environs de 1530.
Mythologie et classicisme
Parmi les décors peints en Haute-Auvergne au cours du XVIIe siècle, celui du château de Montvallat à Chaudes-Aigues arrive en bonne place. Appartenant à la famille du même nom, incendié pendant les guerres de Religion, ce château a été reconstruit à partir de 1612. La grande pièce du premier étage et le cabinet adjacent ont fait l’objet d’un programme décoratif très soigné dans les années 1630. Les peintures ne sont plus appliquées directement sur les parois, mais sur des toiles, enchâssées sur les cheminées et dans des boiseries de petite taille et de forme rectangulaire, à la manière de certains décors de Fontainebleau et de Cheverny. Ici et là, les poutres des plafonds servent de support à des motifs floraux et paysagers de qualité. Les sujets mythologiques sont inspirés des gravures conçues par Nicolas Renouard, pour l’édition par Pierre Billaine des Métamorphoses d’Ovide de 1636, narrant entre autres l’Histoire d’Adonis.
Au château de Montvallat, la restauration menée en 2014 par Alix Laveau a redonné toute leur fraîcheur aux couleurs du cabinet des Métamorphoses (9 mètres carrés). French Heritage Society a contribué à son financement. Situé dans une tour d’origine médiévale du château, ce décor peint sur bois évoque les amours des dieux contés par Ovide et serait l’œuvre d’artistes italiens. Dans la pièce voisine du cabinet des Métamorphoses du château de Montvallat, la cheminée est revêtue d’un décor peint sur bois illustrant le mythe de Vénus et Adonis (Livre X des Métamorphoses d’Ovide). Suivie par la Fondation du patrimoine, la restauration de cette pièce est actuellement en cours de financement. L’ensemble du projet de restauration du château de Montvallat lui a également valu le soutien financier de la Mission Stéphane Bern.
Enfin, d’autres peintures murales ont encore été préservées à quelques kilomètres, dans l’oratoire de la tour du Couffour, qui a également appartenu à la famille Montvallat, et qui conserve notamment une belle Annonciation.
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