Les paysages du Beaujolais évoquent ceux de la Toscane, à laquelle son art de vivre et son architecture sont parfois comparés. Une architecture et des décors qui se mirent fort tardivement au goût du jour, entendons celui de la Renaissance. L’âge d’or se trouve peut-être davantage à l’approche du Grand Siècle, qui vit les châteaux se transformer en demeures de campagne avec jardins, illustrant la réussite des nouvelles élites au service de la Couronne.
L’année 1527 marque la naissance du Beaujolais moderne, du Beaujolais français. Trahi par le connétable de Bourbon, François Ier en profite cette année-là pour confisquer ses terres et rattacher le Beaujolais au royaume. Le comté est définitivement intégré au gouvernement du Lyonnais, placé sous l’autorité de Théodore de Trivulce, marquis de Pizzighettone, élevé à la dignité de maréchal de France au lendemain de la bataille de Pavie.
Le château de Bagnols comprend quatre corps de bâtiment organisés autour d’une cour. On accède à cette dernière par une porte cloutée s’ouvrant dans le logis est, et précédée d’un pont-levis (XVe siècle), dont on distingue encore l’emplacement des flèches. Au XVIIe, cette entrée fut magnifiée par l’aménagement d’un portail à bossage.
Dans le domaine civil, la royauté s’appuie sur l’élite urbaine pour pourvoir les charges administratives et de justice locales. Constituée en généralité en 1542, la province regroupe trois entités : la sénéchaussée de Lyon et les bailliages de Forez et du Beaujolais, siégeant respectivement à Montbrison et à Villefranche. L’année suivante, François Ier entérine les nouvelles limites de l’ancienne baronnie des Beaujeu, cédée aux Bourbons en 1400, en détachant du Beaujolais les terres de la rive gauche de la Saône, dites « Beaujolais à la part de l’empire », qui formeront plus tard la principauté de Dombes. Trévoux, sa nouvelle capitale parlementaire, voit toutefois son siège demeurer à Lyon jusqu’en 1696 et ne parviendra jamais à rivaliser avec Villefranche. Si les ducs de Montpensier, branche cadette des Bourbons, recouvrent leurs droits sur le Beaujolais à la part du royaume dès 1560 (avec Louis III de Bourbon-Vendôme), ce n’est plus alors qu’à titre honorifique. Déjà, la bourgeoisie règne en maître. Alors que le processus de centralisation s’affirme avec la nomination des intendants et de leurs subdélégués au détriment des familles chevaleresques, on observe au XVIIe siècle la consolidation des revenus fonciers que concentrent entre leurs mains les familles marchandes anoblies par charges, notamment d’échevin.
Cultiver les signes du passé
Pourtant, la disqualification des hiérarchies féodales n’altère ni le prestige des titres nobiliaires ni la rentabilité des domaines. Au XVIe siècle, la sociologie des élites se renouvelle sans rupture apparente avec l’entrée en scène d’une bourgeoisie qui se glisse dans les bottes de la noblesse d’épée en en adoptant les codes et les mœurs. En quête de légitimité, les nouvelles familles continuent d’entretenir les maisons fortes devenues obsolètes. De multiples exemples en témoignent, tel celui du marchand et échevin de Lyon, Jean Camus, qui devient, en 1539, le titulaire de la seigneurie de Châtillon dont le siège est une puissante forteresse dominant la vallée de l’Azergues. La même année, les chevaliers de Thélis cèdent le fief du Sou à Claude de Gaspard, échevin de Villefranche, avec la charge de lieutenant général du Beaujolais qu’ils avaient reçue des sires de Beaujeu.
Une des rares lignées de chevaliers en Beaujolais à se maintenir sur ses terres, sans interruption jusqu’à la Révolution, est celle des Nagu, seigneurs de Varennes, anciens écuyers des sires de Beaujeu. Mais, là encore, on retrouve la marque de l’allégeance royale : Jean II de Nagu, qui entreprend en 1577 d’importantes transformations architecturales au château de Varennes, à la rencontre des vallées de Quincié et de Marchampt (remaniement de la cour d’honneur avec ses galeries aux arcs en anse de panier), contrôle militairement ces terres ancestrales pour le roi. Son fils, bailli et gouverneur de Mâcon, accomplit une carrière militaire des plus remarquables et jouit de la faveur de Marie de Médicis, puis de Louis XIII. En 1618, Varennes est érigé pour lui en marquisat.
Bâtir des maisons « modernes »
Au XVIIe siècle, un désir de renouveau se manifeste et le Beaujolais connaît une certaine effervescence architecturale. La noblesse de « cloche » mobilise des sommes importantes pour réédifier des maisons modernes sur les fondements de maisons fortes, ne manquant pas parfois de chapeauter très symboliquement les tours de poivrières, comme au château de Janzé, à Marcilly-d’Azergues, élevé dans la décennie 1660 par le fils d’un libraire florentin, Barthélemy II Honoraty, échevin de Lyon (1647). De tous les châteaux au goût du Grand Siècle, celui de La Chaize, à Odenas, est le plus majestueux. Ses plans seraient dus à Jules Hardouin-Mansart, sollicité par François de La Chaize d’Aix, sénéchal de Lyon et du Lyonnais, dont la mère était la fille d’un prévôt des marchands de Lyon. Il en va de même pour le château de Varax, à Marcilly-d’Azergues, édifié pour Guillaume Puylata, héritier d’Octavio Mey, soyeux lyonnais d’origine florentine, connu pour avoir vendu à Louis XIV, en 1697, par l’intermédiaire du père La Chaise, le fameux « plat d’Achille », l’une des plus grandes pièces d’argenterie antique connues dans le monde.
Parmi les nobles bâtisses du XVIIe siècle en Beaujolais, on se doit d’évoquer l’admirable château de Saint-Trys, à Anse, édifié pour Jean-Baptiste Giraud, échevin de Lyon, qui acquit la seigneurie en 1672, ainsi que celui de Vaurenard, à Gleizé, élevé pour le marchand Claude Corteille, trésorier des finances de la généralité de Lyon. On découvrira également, aux portes du Mâconnais, le château de La Roche, à Jullié, petit Vaux-le-Vicomte édifié au milieu des années 1640 pour Aimé Charrier, écuyer et procureur du roi au bureau des finances de la généralité de Lyon, dont le fils devint baron de La Roche-Jullié. Le corps de logis encadré par quatre pavillons mansardés accompagne le plan axé d’un jardin à la française occupant la totalité de la terrasse dominant le vallon, selon un parti qui dégage une impression de majesté, à l’évidence savamment orchestrée.
La naissance d’un art de vivre
Accessoirement, les exemples cités ci-dessus soulignent que, contrairement aux idées reçues, le Beaujolais ne possède pas un patrimoine architectural de la Renaissance très significatif, sans doute parce que les familles susceptibles de bâtir n’avaient pas encore à cette époque la puissance financière nécessaire pour lancer d’importants chantiers. Fraîchement anoblies, elles se contentèrent dans un premier temps de modernisations partielles. L’aile Renaissance du vieux château de Jarnioux témoigne de ce parti, même si la réalisation est exceptionnelle en Beaujolais. En effet, son auteur est l’architecte lyonnais Philibert de L’Orme, appelé à Jarnioux par Antoine Bullioud, banquier et receveur général de Bretagne, qui avait acquis la seigneurie en 1545 et sollicita l’architecte après l’avoir fait travailler à Lyon pour son hôtel de la rue Juiverie.
Au-delà de la poterne du château de Jarnioux dont l’une des tours apparaît au premier plan, on découvre une demeure à l’architecture complexe. À gauche, l’ancien donjon, haut de 30 mètres, et le logis Renaissance ouvrant sur une vaste terrasse. À droite, s’élève en retour un corps de bâtiment des XVIIe et XVIIIe siècles.
Le plus souvent, la modernité se traduit par de simples remaniements des logis où l’on perce des baies, comme à la maison forte d’Épeisses, à Cogny, ou par l’aménagement des cours ouvertes de galeries à arcades en anse de panier, telle celle du château de Rapetour, à Theizé. Les toitures plates en tuiles que l’on retrouve beaucoup dans la région sont une caractéristique de l’architecture vernaculaire méridionale qui imprègne l’art de bâtir dans toute la vallée du Rhône.
En fait, la modernité en Beaujolais demeure essentiellement attachée à l’âge louis-quatorzien qui correspond à l’épanouissement du modèle classique du château de villégiature. Toutefois, la vocation du domaine alentour était déjà surtout agricole, le Beaujolais s’affirmant au cours du XVIe siècle comme une riche terre de culture. Un partage très net des existences s’opéra dès lors entre le temps des affaires en ville et le temps du ressourcement sur le domaine campagnard. Les fermes, prés de pâtures et d’élevage, vignobles, vergers, viviers et potagers deviennent les plus beaux ornements d’une maison de maître, avec ses jardins. Les multiples châteaux du Beaujolais doivent être perçus comme l’élément d’un tout, organiquement liés à un environnement paysager où l’architecture tend à se fondre avec son terroir. Fruit d’une société de « gentilshommes » citadins, amoureux de la terre, qui échangèrent le prestige de l’épée contre les armes de la civilité et de la culture, le Beaujolais fait figure depuis la Renaissance d’intime jardin du Lyonnais.
Au château de Bagnols, la grande salle du premier étage est dotée d’une cheminée de la fin de la Renaissance et de peintures murales en trompe-l’œil. Ce décor est sans doute l’œuvre de membres de la Grande Fabrique de Lyon, école lyonnaise s’inspirant des industries textiles de la ville (soieries, damas…).
Les décors peints, un raffinement venu d’Italie
La plus belle marque de l’esprit italien en Beaujolais demeure les décors peints. Sur ce thème, on pense inévitablement à Bagnols, château du début du XIIIe siècle remanié par Gaspard Dugué, trésorier des finances de la généralité de Lyon, qui fit appel, en 1619, au peintre lucquois Pietro Ricchi, tout juste arrivé de Rome. Séjournant au château en 1673, la marquise de Sévigné n’en raillera pas moins la tristesse du castello encore fortifié. Le comblement des fossés et la création d’une large terrasse donnant sur un jardin régulier furent une entreprise du début du XVIIIe siècle, menée pour le marchand allemand établi à Lyon, Joseph Barthélemy Hessler. Les œuvres de Ricchi semblent avoir suscité un engouement certain auprès des familles de la région. Pour preuve, l’ensemble exceptionnel de fresques du maître au château de Fléchères, à Fareins, commandées vers 1624 par le prévôt des marchands de Lyon, Mathieu de Sève. Le château, qui se visite, est situé à quelques kilomètres de Villefranche, sur la rive gauche de la Saône, dans le Beaujolais à la part de l’empire.
Cette tradition de la fresque à la détrempe s’est maintenue de façon presque archaïque jusqu’au début du XVIIe siècle, parfois sous la forme du plus simple décor maniériste, à la façon bellifontaine de Rosso Fiorentino, ou, le plus fréquemment, de décors architecturés mêlant aux paysages imaginaires des ruines, palais et forteresses à la façon des capricci de Claude Gellée ou de Servandoni. Réalisés pour Charles François de Châteauneuf, alors évêque de Noyon, qui sera nommé archevêque de Lyon en 1731, les magnifiques trompe-l’œil qui subsistent au château de Rochebonne, à Theizé, en sont un bel exemple.
D’autres nombreux salons d’apparat de la région font preuve d’un tel raffinement, comme les fresques du salon de musique du manoir de La Garde à Jarnioux, réalisées au début du XVIIIe siècle par le peintre Jean Lugnot, artiste connu pour avoir également réalisé le plafond en trompe-l’œil de l’apothicairerie de l’hôpital de Thoissey. Elles furent commandées par Nicolas-Joseph de La Garde, banquier et marchand de Lyon, dont on retrouve au salon les armoiries accompagnées de figurines allégoriques féminines dénudées représentant la Justice et l’Intelligence, cohabitant avec une remarquable scène représentant un jeune homme en Narcisse se mirant dans l’eau d’une fontaine. Un peu moins d’un siècle après l’arrivée de Ricchi dans la région, le décor peint s’incarnait encore en remarquables réalisations.
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