Fauché dans le plein été de son âge et en pleine possession de son art, le peintre-graveur Louis-Joseph Soulas (1905-1954) nous a laissé une œuvre majeure de quelque quatre cents planches et d’une quarantaine de livres illustrés, moisson d’images dont une grande partie compose un hymne à la Beauce, sa terre natale, dont il a, inlassablement, retranscrit des paysages d’une plénitude et d’une poésie inégalées.
Rien que le noir et le blanc, le plein et le délié, le jour et le contrejour, rien que les traits si fins du burin (« des cheveux d’ange » – aimait-il à dire), et rien que la longue, si longue patience d’un artiste plein de probité et de retenue, de silence et d’ardeur : avec tout cela, et seulement cela (n’est-ce pas là la plus juste économie de moyens qui soit ?), Soulas est allé, d’instinct, au cœur des choses, se faisant l’interprète fidèle d’une Beauce « essentielle », saisie dans ses lignes de force, dans ses jeux d’ombre de lumière, dans ses horizons repoussés jusqu’à l’infini sous la course des nuages, dans ses travaux et ses saisons – temps des semailles et des moissons, temps des labours et des dormances…
C’est qu’il le connaissait mieux que personne, ce pays de pleine terre, de plein ciel et de plein vent, où il avait passé son enfance dans la ferme familiale de Lignerolles à Coinces, et dont il était, à jamais, tombé amoureux. Il y avait très tôt appris le dessin auprès de son père, cultivateur et apiculteur, qui aimait dessiner et qui allait l’orienter dans cette voie : dès 13 ans il entra à l’école Estienne à Paris où, durant quatre années, il apprit la gravure sur bois et le dessin avec d’excellents maîtres, dont Mathurin Méheut avec lequel il collabora dès sa sortie de l’école. Peintre-graveur au talent reconnu alors qu’il n’avait pas encore vingt ans, il commença à illustrer tantôt au burin, tantôt sur bois, pour des éditeurs d’art et de bibliophilie, les ouvrages de grands écrivains de son temps (Le Braz, Le Roy, Mauriac, Kipling, Valéry, Dorgelès, Vercors, Péguy, Bernanos, Genevoix bien sûr et tant d’autres), tout en participant aux plus importantes expositions parisiennes puis internationales. En 1939, il fut nommé directeur de l’École régionale des Beaux-Arts d’Orléans où il enseigna la gravure sur bois, sur cuivre, le croquis et le dessin d’art. Ses œuvres allaient entrer dans les collections des grands musées, en France et à l’étranger.
Le Faucheur, burin, 1932. Le fauchage « à la faux armée » munie de trois doigts de bois commençait « dès que la paille pétillait ». Le faucheur était suivi de la ramasseuse, qui formait des « javelles » de paille destinées à être liées plus tard. Le Semeur beauceron, burin, 1931. Comment ne pas songer ici au semeur de Zola ? « Jean, ce matin-là, un semoir de toile bleue noué sur le ventre, en tenait la poche ouverte de la main gauche, et de la droite, tous les trois pas, il y prenait une poignée de blé que, d’un geste, à la volée, il jetait. » Extrait de La Terre.
Dès lors reconnu comme l’un des meilleurs graveurs de sa génération, récompensé par de nombreux prix prestigieux, il allait son chemin, artiste sensible, secret et méditatif, travailleur acharné, affûtant son regard au plus près de la réalité, approfondissant la maîtrise et la force de son talent. Ne cédant jamais aux attraits faciles du succès. « Serré d’un bloc, fermé, taciturne, Beauceron des pieds à la tête… Mais cela, c’était l’apparence. Plus que fermé ou refusé, on le sentait attentif et tendu, comme aux aguets. » Tel le décrivait son ami Maurice Genevoix, dont il avait illustré Raboliot, en 1928, de somptueux bois gravés et Rémi des Rauches, en 1948, de planches gravées d’un burin d’orfèvre et de poète. Plus que jamais attaché à sa Beauce natale, il résidait le plus souvent possible à Lignerolles, dans la ferme léguée par son père et dans le moulin voisin qu’il acheta en 1938. Aujourd’hui remarquablement restauré et classé au titre des Monuments historiques, ce beau moulin de bois reste inséparable du nom et de l’œuvre de l’artiste. Et c’est dans le petit cimetière de ce village qu’il repose, depuis sa disparition brutale en 1954.
Si la Loire et la Sologne furent aussi ses paysages d’élection, son chant intérieur s’était, avant tout, nourri de la Beauce familière de son enfance, cette terre nourricière et généreuse, aux lourdes moissons inépuisablement engrangées, façonnée durement par les hommes qui depuis plus de deux mille ans y maintenaient l’ordre naturel des champs. C’était la Beauce en majesté de Péguy, celle des meules de foin, des alignements de javelles, des semeurs, des faucheurs et des glaneuses, celle de l’or des blés et du chant de l’alouette, celle du laboureur dans la brume de novembre, et des lourdes charrettes cahotant dans les ornières d’un chemin filant vers un ciel immense. Celle des grandes fermes recloses, des croix hosannières et du craquement des ailes des moulins tournant au vent coureur de plaine. La Beauce de bien avant la mécanisation et les technologies affolantes, bien avant les silos, les pylônes et les éoliennes défigurant un paysage d’où l’homme est désormais quasi absent. Grâces lui soient rendues de nous avoir laissé ces images, d’une telle concision, d’une telle précision, d’une telle poésie.
Images publiées avec l’aimable autorisation d’André et Catherine Soulas.
Pour en savoir plus : lire les articles « L’éloge du plat » et « Les grandes fermes de Beauce » parus dans le magazine VMF n° 299 de septembre 2021.
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